Volontaires pour la défense de la patrie Ladji, le « libérateur » venu de Yoro

Volontaires pour la défense de la patrie Ladji, le « libérateur » venu de Yoro
Volontaires pour la défense de la patrie Ladji, le « libérateur » venu de Yoro

Africa-PressBurkina Faso. Dans la lutte contre le terrorisme, sa réputation dépasse les frontières de la province du Loroum. Ses actes de bravoure sont contés telles des anecdotes, dans le Nord du Burkina. Son « débarquement » à Sollé a sonné la déroute de l’ennemi. El hadj alias « Ladji » ou « Yoro », du nom du village du Mali voisin où il s’était installé, est une figure emblématique de la lutte anti-terroriste. Portrait !

Très peu d’écrits parlent de Ladji. Pourtant, les anecdotes sur ses actes courent les rues. En tout cas, dans la région du Nord du Burkina Faso. On dit de lui qu’il est capable de se rendre « invisible » aux combats et est « invincible » aux balles. Il serait aussi le « vainqueur» des terroristes dans la province du Loroum, celui qui les a contraints à demander une trêve et à « négocier » la paix. El hadj a su construire autour de sa personne, un véritable mythe. Toutes nos tentatives de nous rassurer d’un entretien avec lui, une fois à Sollé, ont été vaines. Des confrères de Ouahigouya et de Titao, au Nord du pays, nous ont déconseillé d’ailleurs toute idée de le rencontrer, him-self. Lorsque nous arrivions le dimanche 3 janvier 2021, à Sollé, nous avions rendez-vous avec le chef-adjoint des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), « Le Pétrolier ». « C’est déjà une chance que vous puissiez voir son adjoint », affirment certaines langues. Sur place, notre guide, sur instruction de « Le pétrolier », nous laisse devant des commerces. Un homme, vêtu d’une chemise grise, jean et barbu, vient à notre rencontre, dans l’optique de nous conduire au détachement militaire, basé à Sollé et au Quartier général (QG) des VDP. C’est plus tard que nous saurons qu’il s’agit, en réalité, d’El hadj. Sur le coup, nous sommes partagés entre joie (qu’il soit présent pour répondre à nos questions lui-même) et stupéfaction (sur sa capacité à se camoufler).
Né à Dédougou de parents paysans, originaires de Toufé dans le Loroum (Titao), celui qui allait devenir Ladji est confié à un maître coranique, à l’âge de cinq ans. Il apprend le Coran, à ses côtés, dans le village de Kelbo (province du Soum), avant de « mendier » dans les rues de Bobo-Dioulasso et de Dédougou. « C’est surtout à Bobo-Dioulasso que j’ai commencé à aimer l’armée. Quand j’étais à l’école coranique, on passait manger du « garba » au camp. Les militaires nous faisaient laver les plats et nous donnaient à manger. Depuis mon enfance, je rêvais d’être militaire», se souvient-il. Ensuite, il rejoint sa famille qui a migré à Yoro, au Mali.

« L’humiliation »

En 2002, le jeune Ladji se rend à la Mecque. Là-bas, il enchaîne les petits boulots et maîtrise le Coran. Il y rencontre sa première femme avec qui il a trois enfants. Aujourd’hui, il convole en justes noces avec trois épouses et est père de sept enfants. Il passe onze années de sa vie en terre saoudienne et participe au pèlerinage musulman. De retour à Yoro en 2013, il s’investit dans le jardinage. Ce qui lui réussit bien. « Je fais de la salade, du chou, des aubergines, du piment… J’ai de très bonnes récoltes. Je fais une recette de 1 500 000 à 2 000 000 FCFA tous les deux ou trois mois. Je ne parle même pas des dons que je fais aux proches », confie El hadj. Depuis son jardin, il a les échos des exactions des groupes terroristes dans les villages environnants. Puis, vient le tour de Yoro. « Ils (les terroristes, ndlr) sont arrivés chez nous un samedi, en binôme sur 37 motos. Ils ont fouetté les vieux, les vieilles, les femmes, les enfants… et les ont regroupés dans une mosquée afin d’écouter les prêches », relate-t-il, la tête baissée. Et d’ajouter : « d’autres personnes étaient gravement blessées, des vieilles pleuraient comme des enfants. C’était une véritable humiliation ». Les prêches « forcés » se sont poursuivis. Las, il a dû s’opposer, seul, aux « mauvaises personnes », comme il appelle les terroristes. Ladji raconte qu’un jour, il a eu une altercation verbale avec eux. « Les terroristes étaient une soixantaine. Je leur ai dit que notre mosquée était plus vieille qu’eux tous. Ce qui veut dire qu’il y a longtemps que nous sommes des musulmans et prions. S’il s’agit d’une nouvelle religion également, on ne force pas quelqu’un à se convertir à une religion », nous fait-il savoir. En réponse, « ils m’ont dit qu’ils avaient besoin d’hommes courageux comme moi et ont voulu me donner un numéro et de l’argent que j’ai refusés devant tout le monde ». Après cet incident, des villageois se plaignent de son attitude, craignant des représailles des groupes armés. Avec juste raison, se désole-t-il. Car, les exactions vont se multiplier… Des leaders d’opinion enlevés et exécutés… Des femmes, en quête de bois de chauffe, abattues. Il a dénombré près de 130 assassinats. Les populations sont contraintes de fuir Yoro. Fin stratège

Avec une quarantaine de jeunes, le jardinier troque ses arrosoirs contre les armes pour défendre les siens et leurs biens. « J’ai pris les armes pour défendre ma patrie, pour ne pas que mes parents et moi soyons soumis. Ce n’est pas une question d’argent, c’est pour l’amour de mon pays », se justifie-t-il, sur les raisons de son engagement dans la lutte contre le terrorisme. Isolé à Yoro, il décide de rentrer au Burkina Faso. Il s’installe à Sollé, village déjà pris au piège des terroristes. Aux côtés des Kolgwéogo, un groupe d’autodéfense, Yoro et ses
« soldats » galvanisent leurs « frères d’armes ». « Son arrivée a beaucoup changé la donne. Quand nous l’avons vu sur le champ de bataille, nous avons commencé à avoir confiance en nous-mêmes. Des jeunes qui hésitaient ont rejoint nos rangs », témoigne « Le pétrolier ». Ses qualités de rassembleur et de mobilisateur sont également vantées. Pour lui, c’est l’une des raisons, pour lesquelles il a été conduit à la tête des Kolgwéogo du Loroum, puis des VDP. Dans une vidéo, devenue virale sur les réseaux sociaux, on le voit, tenant une arme de guerre au milieu d’une foule, invitant les uns et les autres à s’engager dans la lutte contre le terrorisme. Il les exhorte surtout à ne pas s’en prendre à une communauté, car, estime-il, « ce n’est pas une guerre contre une ethnie ». Aussi, « Yoro » leur promet la fin des excursions des groupes armés. Sous sa houlette et avec l’aide des Forces de défense et de sécurité (FDS), ils ont mis en déroute les présumés terroristes les contraignant à appeler au dialogue. El hadj confirme l’entrevue, même s’il n’y a pas pris part. Il fait savoir que la rencontre a eu lieu en terre malienne à la demande des groupes armés. Ils ont demandé aux VDP, de déposer les armes ou de se rallier à leur cause et de ne plus travailler de concert avec l’armée. « Je n’étais pas d’accord avec ce qui a été dit. C’est un piège, une supercherie. Ils ont aussi exigé que nous laissions nos barbes pousser et coupions les pantalons. Nous avons refusé l’offre. Nous ne reconnaissons que l’autorité de l’Etat burkinabé, pas celle des terroristes », affirme-t-il, avec vigueur.
« L’Ivoirien », un de ses hommes de main, souligne le courage et la bravoure de « Yoro ». « Il n’a peur de rien », argue le jeune homme de la trentaine qui l’a vu combattre. Il le décrit comme un fin stratège et tacticien, rompu à l’« art de la guerre ». Durant notre séjour, nous l’avons « surpris » en train de jouer à des jeux de stratégies de guerre sur son téléphone portable. « C’est très différent de la réalité surtout du terrain sahélien, mais j’apprends beaucoup », se justifie Ladji.

Des pouvoirs surnaturels A chaque sortie de terrain, Yoro dirige lui-même les patrouilles, en tant que « commandant en chef ». Lors d’une d’entre elles, en notre présence, juché sur sa moto, il prend le devant des choses. Fière allure, il donne les instructions sur la tenue des positions et des précautions à prendre. Sur plusieurs images prises sur le théâtre des opérations, on le voit, arme de guerre en bandoulière, munitions autour du cou, chapeau de cow-boy vissé sur la tête, une barbe de quelques semaines, plusieurs bagues aux doigts des deux mains et des amulettes autour des bras. Yoro préfère l’appellation « bénédiction des parents » au terme « wack ». De nombreux VDP lui prêtent des pouvoirs surnaturels, à même de le rendre « invincible » aux balles et « invisible » aux combats. Yoro, lui-même, nous conte une scène d’échanges de tirs, digne d’un film hollywoodien, à la suite d’une embuscade tendue courant juin-juillet 2020, dans les environs de Sollé. La dernière en date dans la localité a fait six victimes, dont cinq VDP et un militaire. Ladji relate que ce jour-là, il a reçu deux roquettes, à la suite de combats acharnés. « La première est tombée sous mes pieds et la seconde a cogné ma hanche. Elles m’ont projeté. J’ai eu de petites blessures. Les militaires ont eu peur et m’ont évacué à Ouagadougou pour des soins. Pour moi, ce n’était que des égratignures », raconte El hadj. Ses informations sont confirmées par des hauts gradés du détachement militaire, basé à Sollé.
« Si Ladji n’avait pas été là ce jour, ce serait un véritable carnage.
Nos hommes étaient à court de munitions », ajoutent-ils.
Pour Yoro, la fin du terrorisme dans le Nord est une question de mois. Il exhorte le gouvernement à doter les militaires de matériels de guerre conséquents et à équiper les VDP et surtout à leur apporter (eux et leurs familles), une assistance alimentaire.

« Influent… craint… adulé… »

Au centre des confidences, Yoro est un « élément indispensable » de la lutte anti-terroriste dans le Nord, foi d’un journaliste local qui a requis l’anonymat. « Il est très informé et influent. Il a su unir les groupes d’auto-défense de la province du Loroum en une seule et unique entité. Son autorité est reconnue et incontestée. Lorsqu’il est arrivé, il n’a pas cherché à être le chef. Ce sont ses résultats au front qui lui ont conféré ce titre. Il fait l’unanimité », ajoute l’homme de média. Le patron des VDP/Loroum a sous sa tutelle une quarantaine de villages dans les communes de Sollé (24), Titao, Baraboulé et Banh au Burkina Faso, en plus de quelques villages du Mali. Le nombre de « combattants » sous sa coupe : 500… 600… 800… ? Silence radio ! Le journaliste insiste surtout sur la discrétion de l’homme qui calcule ses apparitions publiques et ses prises de parole. « C’est ce qui fait qu’on le craint», dit un gendarme.
Durant notre séjour, nous avons pu constater que Yoro est assez mobile, pour des « besoins de sécurité », selon ses mots. Au cours de notre entretien, nous avons dû nous déplacer dans plusieurs concessions. Ladji est assez sollicité. Il a le téléphone scotché en permanence à l’oreille. « Je suis un petit président (rires…). Les gens me font confiance, ils viennent se confier à moi. Dès que quelque chose se passe dans la zone, je suis informé. Il arrive que je me déplace pour aller résoudre le problème, souvent j’envoie quelqu’un », affirme-t-il. Les sollicitations ne se limitent pas aux questions de sécurité. Il est impliqué dans la résolution des tensions communautaires et familiales. « Les gens pensent que je suis riche. Ils viennent me demander à manger, de l’argent pour les scolarités de leurs enfants, pour aller se soigner… Je fais ce que je peux », nous confie-t-il, d’un ton faible. Yoro est « adulé » par tous. Des personnes du 3e âge, des femmes, des jeunes, des enfants… qui le reconnaissent, l’interpellent au passage, juste pour le saluer.
Originaire de Touffé, village situé à quelques encablures de Titao, ce foolsé compte s’établir définitivement à Sollé. « Je sens qu’on m’aime ici », dit-il. Il prépare déjà sa reconversion. Il est en quête de parcelles et souhaite réaliser un forage pour continuer son activité de passion… le jardinage.

 

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