Attaque de Solhan : pourquoi le Burkina Faso a du mal à vaincre les groupes armés ?

Attaque de Solhan : pourquoi le Burkina Faso a du mal à vaincre les groupes armés ?
Attaque de Solhan : pourquoi le Burkina Faso a du mal à vaincre les groupes armés ?

Africa-PressBurkina Faso Seydou Kabore est triste et traumatisé par ce qui s’est passé. Il raconte au correspondant de la BBC la nuit d’horreur vécue à Solhan. La scène se passe entre 2h et 5h du matin avec des assaillants qui passaient de maison en maison.

“Ils sont venus me demander de faire sortir la clé de la moto. J’ai pris la clé, je leur ai donnée. Ils m’ont dit de me coucher. Je me suis couché et j’ai essayé de fuir. C’est là qu’ils ont tiré sur moi. Quand ils m’ont tiré dessus, j’ai appuyé sur ma blessure pour m’enfuir. Dans la fuite, je suis tombé, puis je me suis relevé et je suis entré en brousse. J’ai dû courir pieds nus pour rentrer à Seba. C’est là que j’ai été conduit au centre de santé”, raconte le rescapé.

Le district sanitaire de Seba a reçu 40 blessés après l’attaque.

Matthieu Compaore, médecin chef du district de Seba, précise que sur les 40 blessés, 11 patients ont pu quitter le centre de santé tandis que 23 ont été évacués sur le Centre hospitalier régional (CHR) de Dori dont une partie a été redirigés vers Ougadougou, la capitale, au regard de la gravité de leurs blessures. Le pronostic vital du reste des blessés n’est pas engagé.

 

Dimanche, un total de 160 corps ont été récupérés dans ce que les responsables locaux de Solhan ont décrit comme trois fosses communes, a rapporté l’agence de presse AFP, et l’on craint que le bilan ne s’alourdisse encore.

“Ce sont les habitants eux-mêmes qui ont commencé à exhumer les corps et à les enterrer après les avoir transportés”, indique une source locale anonyme, selon l’AFP.

Des maisons et le marché local ont été brûlés lors du raid sur Solhan aux premières heures samedi matin.

Aucun groupe n’a revendiqué être à l’origine de ces violences, mais les attaques islamistes sont de plus en plus fréquentes dans le pays, notamment dans les régions frontalières.

Dans une autre attaque, vendredi soir, 14 personnes auraient été tuées dans le village de Tadaryat, à environ 150 km au nord de Solhan.

Le mois dernier, 30 personnes sont mortes dans une attaque dans l’est du Burkina Faso.

Comment comprendre la permanence de la violence djihadiste au Burkina Faso ?

Des analystes nous décryptent la situation suite à l’attaque meurtrière contre le village de Solhan, au cours desquelles au moins 160 personnes ont été tuées.

 

Le pays est confronté à une crise sécuritaire de plus en plus grave, comme beaucoup de ses voisins, car des groupes armés mènent des raids et des enlèvements dans une grande partie de la région.

“Même en dehors de l’attaque de Solhan, le Burkina est un pays qui est particulièrement dans l’oeil du cyclone djihadiste”, déclare Mohamed Maïga, directeur général du cabinet Aliber Conseil.

En mai dernier, l’armée burkinabè a lancé une opération de grande envergure en réponse à une recrudescence des attaques de groupes armés. Malgré cela, les forces de sécurité peinent à empêcher les violences qui ont contraint plus d’un million de personnes à quitter leur foyer au cours des deux dernières années.

“Cela interroge fortement la nature de l’approche de règlement de la crise qui reste essentiellement militaire et souvent néglige les dimensions de développement et humanitaire. Cette stratégie s’avère inefficace en termes de sécurisation des populations ainsi que de prise en charge des victimes de cette crise”, constate Rodrigue Kone, chercheur principal de l’équipe Sahel à l’Institute for Security Studies (ISS).

La région semi-aride du Sahel, en Afrique, est frappée par une insurrection depuis que des groupes armés islamistes ont occupé de grandes parties du nord du Mali en 2012 et 2013.

Les forces françaises sont engagées avec les armées du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, du Niger et du Burkina Faso au sein du G5 Sahel pour combattre les militants particulièrement actifs dans la zone dite des “trois frontières” aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Mais cette semaine, la France a interrompu sa coopération militaire avec le Mali en raison du récent coup d’État dans ce pays.

La stratégie des VDP (Volontaire pour la défense de la patrie) est-elle la bonne ?

Il y a une semaine durant une visite, le ministre de la Défense Chérif Sy assurait que la zone était sécurisée. L’attaque de Solhan a eu lieu dans un des villages visités.

La sécurité était assurée par les Volontaires pour la défense de la patrie, des villageois bénévoles qui se mettent en groupe pour protéger les populations.

Une approche controversée choisie depuis le début de l’année 2020.

“[La zone des “trois frontières”] est très vaste et difficilement maîtrisable par les militaires. Le gouvernement burkinabè a pris l’option de “communautariser la sécurité” pour être le premier verrou de sécurité en termes de renseignement mais aussi d’action”, explique Rodrigue Kone.

Selon ce chercheur, ces villageois sont “formés en moins d’une quinzaine de jours”.

“Cette approche comporte des risques pour les civils car elle expose ces acteurs qui sont le premier verrou de sécurité à faire sauter pour les groupes armés et ils sont indirectement identifiés comme des figures représentatives de l’Etat, qui constitue l’ennemi numéro 1 pour les groupes djihadistes”, déclare le chercheur de l’ISS.

D’ailleurs ces dernières années, les violences contre les civils ont décuplé.

“On sait tous que ce n’est pas la bonne approche, mais ce sont des zones tellement vastes qu’elles sont incontrôlables par l’armée qui a des effectifs très réduits et qui n’a ni les moyens techniques, ni la formation nécessaire jusqu’à présent pour couvrir de façon efficace le territoire burkinabè”, dit Mohamed Maïga.

 

“On sait très bien que dans beaucoup de pays quand on procède à l’armement de milices civiles cela va sur des dérives très sanglantes, des règlements de comptes entre villageois ou communautés dont la raison d’être est souvent liée à des vieux conflits qui n’ont rien à voir avec la situation que ces miliciens sont censés aider à résoudre”, ajoute Lemine Ould Mohamed Salem, journaliste et auteur du livre L’Histoire secrète du Djihad.

 

Le Burkina et la communauté internationale ont-ils abandonné la zone des trois frontières?

Il y a des opérations militaires constantes dans la zone.

En début d’année, l’opération Eclipse, qui regroupait l’opération Barkhane et les forces armées du Niger, du Burkina et du Mali, a mobilisé 5.300 hommes.

Une goutte d’eau si l’on considère que le Sahel représente 5,3 millions de km2.

Récemment, l’armée burkinabè a lancé l’opération Houne (“dignité” chez les Peuls).

« La stratégie internationale consiste à accompagner l’Etat burkinabè dans l’occupation de ses territoires au Sahel et l’implantation de services étatiques, mais cette politique peine à se mettre en place par manque de moyens », relève Mohamed Maïga.

“C’est une guerre d’occupation territoriale qui se joue entre l’Etat et les groupes djihadistes et que ces derniers sont en train de gagner depuis des années”, dit-il.

De plus selon l’analyste, les combattants des groupes armés djihadistes sont recrutés localement et ont une meilleure connaissance ainsi qu’une meilleure compréhension du territoire que les effectifs de l’armée souvent des gens très jeunes et qui ne connaissent pas bien le terrain.

Quel est le groupe responsable des attaques de Solhan ?

Dans la zone, le Jnim (Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans- Ansaroul Islam) et l’État islamique au grand Sahara (EIGS) s’affrontent et se livrent une compétition pour le contrôle des territoires.

L’attaque n’a pas encore été revendiquée mais plusieurs signes semblent montrer que l’EIGS pourrait être responsable de cette attaque.

Le groupe armé a perpétré des attaques du même type dans la zone frontalière de l’ouest du Niger.

“On pourrait soupçonner un retour de l’EIGS dans la région car le signe marqueur du mode opératoire de l’EIGS sont ces attaques de masse contre les civils”, pointe Rodrigue Kone.

“D’ailleurs dans le cas de ses attaques au Niger, l’EIGS avait mis en avant la coopération entre la population et l’Etat pour justifier ce ciblage communautaire”, ajoute-t-il.

L’analyste relève en outre que le numéro deux de l’EIGS dans la zone est décédé il y a quelques semaines et a été remplacé par Abou Brahim, originaire de cette région du Sahel au Burkina.

Cette relève pourrait expliquer une volonté d’implanter la présence de l’EIGS dans cette région.

Les cibles habituelles du JNIM sont plutôt l’armée ou les représentants de État, ajoute Lemine Ould Mohamed Salem, journaliste et auteur du livre L’Histoire secrète du Djihad.

 

Qu’est-ce qui explique cette stratégie de terreur et de tuerie de masse ?

L’objectif pourrait être double.

D’une part, les attaques contre les civils procèderaient d’une volonté de marquage du territoire ou une action punitive contre des acteurs communautaires qui coopèrent avec les autorités burkinabè, estime Mohamed Maïga.

“S’attaquer aux populations, c’est pour se montrer ainsi que sa capacité de destruction, pour faire peur aux autorités et à toute personne qui tente de s’opposer à eux. Le groupe djihadiste qui tape le plus fort, c’est celui qui sera entendu, celui dont on va parler le plus”, explique-t-il.

De plus, le village de Solhan se trouve dans une région d’exploitation de l’or ce qui confère à la localité un potentiel économique fort.

“Dans la stratégie d’expansion des groupes extrémistes violents, le contrôle des richesses économiques locales et de l’économie criminelle constitue un levier important pour se financer, recruter et mener des actions opérationnelles”, souligne Rodrigue Kone.

Il rappelle qu’au Mali, le groupe armé concurrent, le JNIM, prélève un “impôt sur l’or” pour pouvoir se financer.

Pour Lemine Ould Mohamed Salem, cette attaque pourrait également signaler un “repositionnement” de l’EIGS.

“Cela pourrait vouloir dire que l’EIGS, le groupe le plus présent dans cette région, après avoir subi un certain nombre de pression de la part des forces françaises et de celles de la sous-région, se retrouve obligé de mener des opérations d’envergure dans des régions beaucoup plus éloignées de sa base historique, la région de Ménaka au Mali”, estime-t-il.

“On sait tous que ce n’est pas la bonne approche, mais ce sont des zones tellement vastes qu’elles sont incontrôlables par l’armée qui a des effectifs très réduits et qui n’a ni les moyens techniques, ni la formation nécessaire jusqu’à présent pour couvrir de façon efficace le territoire burkinabè”, dit Mohamed Maïga.

La stratégie des VDP a été très controversée depuis la création de ce corps de milice tant au Burkina Faso qu’ailleurs.

“On sait très bien que dans beaucoup de pays quand on procède à l’armement de milices civiles cela va sur des dérives très sanglantes, des règlements de comptes entre villageois ou communautés dont la raison d’être est souvent liée à des vieux conflits qui n’ont rien à voir avec la situation que ces miliciens sont censés aider à résoudre”, rajoute Lemine Ould Mohamed Salem.

 

Comment les populations victimes sont-elles soutenues par les autorités?

Après l’annonce de l’attaque de samedi, le président burkinabé Roch Kabore a déclaré trois jours de deuil national, écrivant dans un tweet que “nous devons rester unis contre les forces du mal”.

Il a qualifié l’attaque de “barbare” et a déclaré que les forces de sécurité tentaient de retrouver les auteurs de l’attentat.

Il s’est rendu au chevet des blessés de l’attaque tertoriste de Solhan.

Le Premier ministre burkinabè, Christophe Dabiri et cinq membres de son gouvernement se sont rendus dans la région.

“Malgré tous les efforts que nous avons fait sur le plan militaire, sur le plan sécuritaire, sur le plan social et développemental, nous avons connu cette attaque massive. Il était bon que nous venions saluer les populations, les réconforter et leur dire que le gouvernement est attentif à ce qui s’est passé et prendra toutes les dispositions pour que la situation puisse revenir à la normale, c’est à dire assurer la sécurité de cette partie du territoire”, a dit le ministre.

Il a également promis que la tuerie ne restera pas impunie et affirmé que les forces armées sont en ratissage dans la zone pour sécuriser les populations.

Les autorités burkinabè ont également interdit la circulation des deux et trois roues dans les provinces de l’Oudalan et du Yagha.

Selon les témoins les assaillants estimés au moins à 200 hommes circulaient sur des motos.

L’exploitation artisanale de l’or est aussi interdite selon le gouverneur de la région du Sahel.

Cependant malgré cette réponse les populations semblent être livrées à elles-mêmes, selon Lemine Ould Mohamed Salem.

“Une très grande partie des victimes des exactions ou des groupes djihadistes dans le Nord du Burkina Faso, ainsi que les responsables communautaires se plaignent souvent d’être abandonnées par État qui n’a plus les moyens de prendre le contrôle de l’ensemble des régions concernées”, dit l’analyste.

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