BOAD, BIDC… Face à l’AES, les banques de développement ouest-africaines restent sereines

BOAD, BIDC… Face à l’AES, les banques de développement ouest-africaines restent sereines
BOAD, BIDC… Face à l’AES, les banques de développement ouest-africaines restent sereines

Thaïs Brouck

Africa-Press – Burkina Faso. Alors que le Mali, le Burkina Faso et le Niger, réunis au sein de l’Alliance des États du Sahel, ont décidé de quitter la Cedeao, que vont devenir les engagements des banques régionales de développement ?

La rencontre a des allures de symbole, comme si les liens avaient besoin d’être retissés. Le 1er mars, Serge Ekué est reçu en audience par le capitaine Ibrahim Traoré. Vêtu de son habituel treillis, pistolet à la ceinture, le président de la transition au Burkina Faso accueille celui de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).

« Nous avons évoqué la situation des différents projets et nous avons regardé dans quelle mesure ils pourraient correspondre à la vision stratégique du chef de l’État et de son gouvernement », déclare Serge Ekué, à l’issue de l’entretien. Le Béninois l’affirme alors: « La BOAD est engagée à poursuivre ses investissements dans le pays. »

Trois jours plus tard, le 4 mars, le conseil d’administration de la BOAD se réunit à Lomé. Et Serge Ekué tient sa promesse. L’institution valide trois nouveaux investissements en faveur du Burkina Faso pour un total de 59 milliards de F CFA (90 millions d’euros). La BOAD décide d’appuyer le secteur agricole, notamment la filière coton, ainsi que la Société d’exploitation des phosphates du Burkina (SEPB). L’institution va aussi participer au financement de l’élargissement d’une route de la capitale.

Triple départ de la Cedeao

La banque régionale de développement n’avait plus accordé de prêt à destination du Pays des hommes intègres depuis juin 2023. Il faut dire qu’entre-temps, le contexte régional a beaucoup évolué. Le 26 juillet, le Niger voisin est le théâtre d’un coup d’État perpétré par le général Abdourahamane Tiani.

En réaction, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) décide de sanctions inédites à l’encontre de Niamey. L’organisation sous-régionale menace même d’intervenir militairement pour rétablir le président nigérien déchu Mohamed Bazoum dans ses fonctions. Mais, soutenu par les juntes au pouvoir au Mali et au Burkina Faso, le régime tient.

Les trois pays décident finalement d’envisager leur avenir en commun. Le 16 septembre, ils créent l’Alliance des États du Sahel (AES), une alliance militaire mais également politique et économique. Si bien qu’à la fin de janvier 2024, Abdourahamane Tiani, Ibrahim Traoré et Assimi Goïta (Mali), les trois leaders putschistes, vont au bout de leur logique et quittent la Cedeao avec « effet immédiat ».

L’annonce fait l’effet d’une bombe, tant du côté des opérateurs économiques que de celui des partenaires financiers des trois pays. Car si le départ du Niger, du Mali et du Burkina Faso de la Cedeao se concrétise, que deviendront les milliards de F CFA engagés sous formes de prêts ou de garanties par les banques régionales de développement ?

Plus de 300 millions de dollars d’encours

À l’heure actuelle, les trois pays représentent un peu moins d’un quart (23 %) du portefeuille de la BIDC, la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao. L’institution présidée par George Agyekum Donkor a par exemple investi dans l’interconnexion électrique entre le Mali et la Côte d’Ivoire, dans la route entre Kaya et Dori au Burkina Faso, mais également dans plusieurs banques commerciales locales « afin de soutenir le développement des PME ».

« Au total, nous avons 321 millions de dollars d’encours dans ces trois pays, détaille Komlan Adjavon, le directeur du département risque de la BIDC. Mais nous n’avons aucun contentieux. Malgré les positions politiques exprimées, ils continuent de rembourser, en dehors du Niger qui était sous sanctions et dont les avoirs étaient gelés. Mais nous n’avons aucun doute sur le fait que Niamey va reprendre les paiements. »

Même situation du côté de la BOAD, dont l’actionnariat est majoritairement constitué des huit États membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) et de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO).

« Lorsque les pays sont sous sanctions, nous gelons nos opérations et nos décaissements, et les remboursements des prêts sont suspendus », confiait Serge Ekué à Jeune Afrique, lors d’une rencontre en octobre 2023. Sollicitée, la BOAD n’a pas souhaité donner suite à notre demande d’interview. Mais les nouveaux investissements consentis par son institution au Burkina Faso ou au Mali semblent indiquer que les relations avec l’EAS sont au beau fixe.

« Après la Cedeao, l’AES sous-entend parfois qu’elle pourrait quitter l’Uemoa », rappelle un économiste de la région sous couvert d’anonymat. Et d’estimer que « les nouveaux investissements consentis par la BOAD au Mali et au Burkina sont peut-être des gages donnés aux juntes pour qu’elles restent dans le giron de l’Union ».

Seulement 8 % du PIB de la région

En dépit du contexte, les banques de développement de la région ne tirent pas la sonnette d’alarme. « Ces trois pays ne représentent que 8 % du PIB de la région, explique Komlan Adjavon, de la BIDC. Les conséquences de leur départ pour les fondamentaux de la BIDC, c’est-à-dire sa liquidité, ses ratios de fonds propres, sa capacité à lever des ressources ou encore la qualité de ses actifs, serait extrêmement négligeable. »

Les trois pays du Sahel font également partie des quatorze actionnaires que compte le Fonds africain de garantie et de coopération économique (Fagace). L’institution établie à Cotonou propose des garanties sur les emprunts souscrits par des entreprises privées ou mixtes ayant leur siège et leur champ d’activité principal dans l’un des États membres.

« Nous avons fait des stress-test et il n’y pas de risques pour la Fagace, balaye Nguéto Tiraïna Yambaye, son directeur général. Mali, Niger et Burkina Faso payent leurs contributions normalement. Nous avons garanti des prêts accordés par des institutions financières à l’intérieur de ces pays, mais notre engagement est limité. D’ailleurs, il n’y a pas de raisons pour qu’ils quittent notre institution. »

Investissements bloqués pour la BIDC

En clair, les banques de développement relativisent les conséquences du divorce entre l’AES et la Cedeao. Seule la BIDC verrait son actionnariat chamboulé, car les trois pays en détiennent environ 6 % du capital. « Cela représente environ 33 millions de dollars de capital libéré pour les trois. Leurs parts seraient rachetées par les autres actionnaires régionaux », anticipe Komlan Adjavon.

Au final, c’est l’AES qui paie le plus lourd tribut en se privant d’une source de financement supplémentaire. Car en attendant l’épilogue, la BIDC a déjà bloqué tout nouvel investissement au profit du trio sahélien.

Source: JeuneAfrique

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