Matteo Maillard
Africa-Press – Burkina Faso. L’un est activiste, chantre de la junte d’Ibrahim Traoré. L’autre est journaliste, dans le viseur des autorités burkinabè. La guerre à laquelle se livrent ces anciens alliés devenus ennemis jurés cristallise celle qui se joue entre partisans du retour à la démocratie et thuriféraires du pouvoir militaire.
C’est une rivalité ancienne qui s’est ravivée ces derniers mois, attisée par les revers subis par l’armée burkinabè face aux jihadistes du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM). D’un côté, Newton Ahmed Barry, journaliste exilé en France, ex-président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) organisateur des élections de 2020. De l’autre, Ibrahima Maïga, activiste exilé aux États-Unis, d’où il contribue à l’« IB Mania » via Telegram, X et, surtout, Facebook, plateforme sur laquelle il totalise plus de 1,2 million d’abonnés. Il y a fait le lieu de ses attaques envers son antagoniste privilégié.
Un jour il cible « Newton Ahmed Barry et sa clique de vendus », le suivant il titre l’un de ses posts: « Newton Ahmed Barry ou la perfidie en héritage ». Ibrahima Maïga reproche à celui que ses proches comme ses adversaires surnomment « NAB » ses dénonciations répétées des échecs militaires de la junte face au terrorisme. Ce dernier déplore « une armée en peine qui se fait décimer chaque jour », dénonce les « violations des droits de l’homme répétées », et s’attaque aux « escadrons de la mort » du « tyran IB » qui enlèvent opposants et journalistes.
La famille du journaliste a été victime de cette politique répressive du régime d’Ibrahim Traoré. Des neveux du journaliste ont été enlevés et sa mère de 85 ans, malade, a été expulsée du domicile familial, désormais occupée par des soldats, a-t-il raconté sur Facebook. À l’origine de cette éviction, le journaliste pointe une menace proférée quelques mois auparavant par l’activiste pro-IB.
« Rentrer dans le rang »
De fait, les propos d’Ibrahima Maïga sont suivis d’effets. Le 17 septembre 2024, il indexe le journaliste de France 24 Wassim Nasr, exigeant contre lui des sanctions. Elles interviendront quelques jours plus tard: les parquets des trois pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) ouvrent des enquêtes pour « association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, complicité d’acte terroriste et apologie du terrorisme ».
Le même mois, Ibrahima Maïga multiplie les appels contre les opposants. « Il faut forcer leurs familles à les pousser à rentrer dans le rang. La chose que nous traversons est beaucoup plus importante que leurs misérables vies et que les misérables vies de toutes leurs familles réunies », lance-t-il dans une vidéo postée sur X. Courant septembre, les forces de sécurité burkinabè enlèveront près d’une dizaine d’opposants politiques ou de membres de leurs familles. Parmi eux: Ada Koné Diallo, épouse de l’ex-député-maire de Dori, Abdoul Aziz Diallo, ou encore Aziz et Yasmine Bassolé, enfants de Djibril Bassolé, ancien ministre vivant en exil, soupçonné par la junte d’ourdir un complot contre Ibrahim Traoré.
Par sa virulence, distillée dans des publications quotidiennes qui dépassent souvent les 10 000 vues, l’activiste salue les actions répressives des forces de sécurités contre les « apatrides », formule consacrée par les soutiens des juntes sahéliennes pour dénigrer leurs cibles intérieures. Ses cibles extérieures sont les représentants de « la presse terroriste française », mais aussi le président ivoirien Alassane Ouattara, accusé de vouloir déstabiliser la junte, et dont il qualifie les soutiens d’« ADOmoutons ». Mais Newton Ahmed Barry reste sa « bête noire ».
2015: la rupture
Pourtant, les deux hommes n’ont pas toujours été ennemis. Leur première rencontre remonte à la révolte de 2011. Ibrahima Maïga, alors enseignant et journaliste, publie une série d’articles dénonçant la corruption au sein du régime de Blaise Compaoré. Il devient une cible du Régiment de sécurité présidentielle (RSP), auquel il entend échapper.
Des amis le présentent à Newton Ahmed Barry, alors rédacteur en chef du bimensuel L’Événement, qui saisit une organisation de journalistes basée aux États-Unis afin de permettre à son confrère d’y obtenir l’asile politique. Ibrahim Maïga poursuit un temps ses activités depuis son exil américain, publiant des pamphlets anti-Compaoré. Son confrère NAB, resté au Burkina Faso, subit de « graves menaces », affirmant même craindre pour sa vie.
C’est en 2015 que leur relation va se tendre, après l’élection de Roch Marc Christian Kaboré. Ibrahima Maïga accuse Newton Ahmed Barry de soutenir un régime inefficace contre la progression jihadiste venue du Mali voisin. La même année, il diffuse des documents classifiés transmis par des officiers mécontents.
En 2016, Newton Ahmed Barry est nommé président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Il organisera la dernière élection démocratique du pays, en novembre 2020, à l’issue de laquelle Kaboré est élu pour un second mandat avec 57,74 % des voix. Maïga ne le lui pardonnera pas.
De Damiba à Traoré
Depuis les États-Unis, où il a obtenu la nationalité, Ibrahima Maïga fonde « Sauvons le Faso », et organise des manifestations. La dernière marche anti-Kaboré se tient le 22 janvier 2022. Le 24, le président burkinabè est renversé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Lors de l’investiture de ce dernier, le 16 février 2022, Ibrahima Maïga sera l’un des deux seuls civils présents sur l’estrade aux côtés des putschistes.
Il semble intouchable. Le 21 février 2022, l’activiste est visé par des poursuites judiciaires lancées par le procureur du Faso, Harouna Yoda pour « outrage contre un dépositaire de l’autorité publique » et diffusion des procès-verbaux sur les réseaux sociaux. Mais Ibrahima Maïga ne sera finalement pas inquiété. Et, parmi les nombreux activistes pro-Damiba, il sera l’un des seuls à préserver ses prébendes lorsque celui-ci sera à son tour renversé, le 30 septembre 2022, par le jeune capitaine Ibrahim Traoré et ses hommes. Le procureur Harouna Yoda, de son côté, a été « réquisitionné » en août dernier pour aller combattre sur le front, où il est resté quelques mois.
Newton Ahmed Barry, lui, bataille contre le pouvoir et ses thuriféraires. Il en paie le prix. Le 20 juillet 2023, en butte à des attaques de toutes parts et, sentant l’étau se resserrer, il est contraint de fuir. « Il a fallu que je parte pour préserver ma vie. Mais je suis loin d’être le seul », confiait-il à Jeune Afrique en février dernier.
Depuis le 1er avril, le journaliste figure sur la liste noire des individus « activement recherchés pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » par les autorités burkinabè. Au même titre que les criminels les plus violents du pays, Jaffar et Ousmane Dicko, les chefs d’Ansarul Islam, la branche burkinabè du JNIM, organisation affiliée à Al-Qaïda.
Guerre de communication
Aux États-Unis, Ibrahima Maïga travaille pour la Mandate democracy foundation, une ONG qui revendique défendre la démocratie participative. Un emploi qu’il cumule avec son activisme en ligne, où il est devenu le fer de lance de la stratégie de guerre informationnelle de la junte d’Ibrahim Traoré.
Tandis que ses éléments de langage apparaissent dans les briefings de la présidence, il livre à ses abonnés des « informations exclusives » sur les opérations, obtenues auprès de ses contacts à l’état-major. Et s’il n’a aucun titre officiel, il semble avoir l’oreille de tous. Alors que son frère aîné, Saïdou Maïga, a été nommé ambassadeur à Dakar en octobre 2023, l’activiste se concentre sur le front des réseaux sociaux.
Entre stars internationales comme Beyoncé ou R. Kelly chantant les mérites d’Ibrahim Traoré dans des vidéos générées par IA et la multiplication de comptes fraîchement créés vantant les mérites de la junte, l’offensive y est massive. Des contenus produits majoritairement en anglais, qui ont fait du putschiste burkinabè une coqueluche des réseaux panafricains anglophones et afro-américains. Une communication de guerre pour laquelle le gouvernement burkinabè a débloqué, début avril, un budget supplémentaire de 500 millions de CFA.
Source: JeuneAfrique
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