Entre réconciliation et poussée djihadiste, le Burkina Faso dans l’impasse

Entre réconciliation et poussée djihadiste, le Burkina Faso dans l'impasse
Entre réconciliation et poussée djihadiste, le Burkina Faso dans l'impasse

Africa-Press – Burkina Faso. Plus sombre » : en ces deux mots pourrait se résumer la situation sécuritaire dans laquelle se trouve le Burkina si l’on se fie à une note trimestrielle, d’avril à juin 2022, produite par l’ONG Interpeace. « Ce trimestre a été marqué par un activisme poussé des groupes organisés armés » dans les quatre régions du pays les plus touchées par l’hydre terroriste que sont le Centre-Nord, l’Est, le Sahel et la Boucle du Mouhoun. L’ONG explique que les incidents enregistrés au cours du deuxième trimestre se chiffrent à « 416 contre 207 au premier trimestre, soit un taux de 215 % », tandis que le nombre de personnes déplacées internes du fait des violences frôle la barre des 2 millions.

Et pourtant, début juillet, c’est tout un pays qui avait placé l’espoir d’une décrue des attaques avec le retour au pays de l’ancien président Blaise Compaoré, exilé en Côte d’Ivoire, depuis qu’il a été chassé du pouvoir en 2014. Or, force est de constater que l’étau terroriste s’est encore resserré sur le Burkina, après seulement quelques jours d’accalmie. Dès la mi-juillet, la pression des groupes armés terroristes s’est accentuée.

L’onde de choc est partie du nord du pays, où deux attaques simultanées ont visé des infrastructures. Vendredi 15 juillet, un pont situé à une centaine de kilomètres au nord de Ouagadougou, reliant la capitale à plusieurs autres villes, dont Kaya et Dori, a été dynamité par des hommes armés. Le même jour, une attaque similaire a visé le pont qui relie, lui, les villes de Kongoussi et Djibo, toujours dans la partie nord du pays. Pendant plusieurs heures, le trafic routier a été perturbé sur ces axes avant que les deux infrastructures ne soient raccommodées, l’une par des riverains appuyés par des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des supplétifs civils de l’armée, l’autre par une société minière, selon des témoins. Objectif : isoler les populations, permettre que les terroristes restent confondus à la population et mettre en difficulté l’armée dans ses manœuvres.

Les raisons d’une pression inédite

La stratégie de l’isolement de certaines parties du territoire n’est pas nouvelle, mais elle gagne du terrain ces dernières années, huit ans après l’apparition du phénomène djihadiste au Pays des hommes intègres en 2015. Il y a tout particulièrement le cas emblématique de la ville de Djibo, située à 200 km de Ouagadougou et proche de la frontière malienne. Depuis le mois de février, Djibo vit sous blocus des groupes armés terroristes, qui empêchent les 350 000 habitants de sortir ou de vaquer à leurs occupations. La cité sahélienne a déjà connu pareille situation en 2020, puis en 2021.

Pour Hamadoum Tamboura, il ne fait aucun doute que cette pression terroriste est liée au récent discours plus offensif des nouvelles autorités issues du coup d’État du 24 janvier et qui fait croire à « une montée en puissance de forces de défense et de sécurité », pointe le porte-parole du cadre de concertation des organisations de la société civile du Soum, province dont relève la ville martyrisée de Djibo.

Début juin, lors d’un point bimensuel des opérations de l’armée, le directeur du Commandement du théâtre national des opérations (COTN) – structure créée pour planifier, conduire et coordonner la défense nationale –, le lieutenant-colonel Yves Didier Bamouni a fait directement le lien entre l’officialisation de l’élimination de deux chefs terroristes et les représailles contre les populations civiles qui ont suivi courant mai.

À côté du discours victorieux, les autorités ont annoncé la création, dans les régions les plus touchées par le terrorisme, de « zones d’intérêt militaire » que les populations devraient libérer le moment venu afin de faciliter des opérations militaires. « En faisant croître la pression, les groupes armés veulent montrer qu’ils ont encore une capacité de nuisance malgré les annonces d’élimination de certains chefs terroristes. En sabotant par exemple des ponts, ils coupent le ravitaillement des villes », commente Hamadoum Tamboura.

« À chaque fois que l’État essaie de reprendre du terrain, les groupes armés font tout pour démontrer que ce sont eux qui dictent finalement la cadence », analyse le journaliste et ecrivain, Atiana Serge Oulon, auteur du livre « Comprendre les attaques armées au Burkina Faso. Profils et itinéraires des terroristes ». Et d’ajouter : « Ce n’est pas exclu que cette pression soit une réponse à ce que l’autorité centrale a décidé comme actions sur le terrain. »

Les fruits peu visibles de la rencontre des présidents

Au-delà de l’activisme des groupes armés se pose la question purement politique des effets du retour au pays de Blaise Compaoré – condamné à la perpétuité pour la mort de Thomas Sankara en octobre 1987 – et la rencontre au sommet des chefs d’État. Ces deux événements étaient censés augurer une décrispation du climat sécuritaire. Il faut souligner que durant la gouvernance de Compaoré, alors que le Mali et le Niger étaient pris d’assaut par le djihadisme, le Burkina Faso a longtemps été épargné. Pour de nombreux experts, l’influence de Blaise Compaoré et ses relations dans de nombreuses sphères politique, économique ou religieuse dans la sous-région, y était pour beaucoup.

Pour Hamadoum Tamboura, « la rencontre entre le président Damiba et ses prédécesseurs ne s’est pas tenue comme prévu du fait des absences, dont la plus remarquée fut celle de Roch Kaboré. Il aurait fallu que tous les présidents soient là, qu’à terme ils fassent une déclaration commune qui aurait tenu lieu d’appel à l’endroit de leurs concitoyens », estime ce leader de la société civile. « La situation dans laquelle nous nous trouvons est telle qu’il faut privilégier cette réconciliation. Chacun des anciens chefs d’État a une popularité aussi bien au sein de la population qu’au sein de l’armée, avance-t-il. Dans certains villages, par exemple, Blaise Compaoré est toujours populaire. Il en est de même dans l’armée. C’est évident qu’étant lui-même militaire, il a toujours des hommes dans l’armée qui l’apprécient », poursuit Hamadoum Tamboura.

L’acte de contrition de Blaise Compaoré

Parmi ceux qui croient dur comme fer à une solution de la crise sécuritaire par la réconciliation, il y a visiblement en première ligne Blaise Compaoré lui-même. Moins de trois semaines après son séjour éclair dans son pays natal, l’ancien chef de l’État a dépêché depuis Abidjan une délégation à Ouagadougou pour y livrer un message à ses compatriotes, ceux-là qui l’ont pourtant contraint à quitter le pouvoir huit ans plus tôt. Aux Burkinabè, le message de Blaise Compaoré – porté par sa fille, Djamila Compaoré et le conseiller spécial du président ivoirien, Ally Coulibaly – est celui du « pardon » et de la mobilisation autour de l’intérêt supérieur de la nation. « Face à cette situation dramatique et critique que vit notre chère patrie, nous n’avons d’autres choix que de taire nos divergences pour sauver notre patrimoine commun, le Burkina Faso. Cette nation, qui nous a été léguée par nos aïeux, mérite mieux que le sort funeste que des terroristes veulent lui réserver. C’est pourquoi j’appelle tous nos compatriotes, les filles et fils du pays, de l’intérieur comme de l’extérieur, à une union sacrée, à la tolérance, à la retenue, mais surtout au pardon pour que prévale l’intérêt supérieur de notre nation », a fait savoir Blaise Compaoré. « Pour ma part, je demande pardon au peuple burkinabè pour tous les actes que j’ai pu commettre durant mon magistère, plus particulièrement à la famille de mon frère et ami Thomas Isidore Noël Sankara. J’assume et déplore, du fond du cœur, toutes les souffrances et drames vécus par toutes les victimes durant mes mandats à la tête du pays et demande à leurs familles de m’accorder leur pardon. » Prise de conscience tardive ? Vraie repentance ou calcul politicien ? Dans tous les cas, ce message de l’ancien n’a pas manqué de faire réagir.

« Les groupes armés dictent l’agenda »

Mais, réconciliation ou pas, « il ne faut pas s’attendre à une amélioration tout de suite du tableau sécuritaire », soutient le journaliste-écrivain Atiana Serge Oulon. « La pression est tout à fait, je dirai, naturelle puisque ce sont ces groupes armés qui dictent l’agenda des militaires sur le terrain », explique le directeur de publication du bimensuel L’Événement. Et de poursuivre en ces termes : « Les témoignages concordent sur le fait qu’il n’y a pas d’action sur le terrain pour stopper l’expansion des groupes armés. Les différents détachements militaires sont toujours dans une position défensive. Même si çà et là il y a des actions de démantèlement de bases terroristes, mais cela n’est pas mis ensemble dans le cadre d’une stratégie globale de lutte. La preuve en est que quelques jours après le coup d’État, une commission ad hoc a été mise en place pour réfléchir et finaliser la stratégie nationale de lutte contre le terrorisme mais n’a pas encore rendu son rapport », analyse t-il. Autant d’aspects qui montrent à souhait que l’impasse est bien là et que les défis restent titanesques pour les nouvelles autorités qui maintiennent malgré tout leur promesse aux Burkinabè de lendemains meilleurs.

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