Jean Van Wetter : « La logique de partenariat est réclamée par les pays africains »

Jean Van Wetter : « La logique de partenariat est réclamée par les pays africains »
Jean Van Wetter : « La logique de partenariat est réclamée par les pays africains »

Africa-Press – Burkina Faso. Le directeur général de l’agence belge de développement détaille au « Point Afrique » la stratégie globale du royaume qui a fait de l’Afrique sa priorité.

« Quelles sont les raisons qui expliquent que les quelque 1 000 milliards d’euros d’aides publiques au développement (APD) en Afrique au cours des cinquante dernières années n’ont pas amélioré de façon significative les économies africaines ? » À l’heure où les cartes de la géopolitique mondiale sont redistribuées et que le nombre de donateurs, proposant des modèles alternatifs comme les BRICS, ne cesse d’augmenter, cette question, posée par les chercheurs Jean-Luc Buchalet et Christophe Praet dans leur livre Le futur de l’Europe se joue en Afrique (Éditions Eyrolles), mérite d’être discutée. Depuis l’ère des indépendances des années 1960, en effet, la politique de développement menée par les pays occidentaux n’a pas vraiment contribué à endiguer l’indigence sur le continent. Ainsi, selon l’Institut sud-africain d’études de sécurité, « avant la pandémie liée au Covid-19, plus de 445 millions de personnes – représentant 34 % de la population africaine – vivaient en dessous du seuil de pauvreté ». Directeur général de l’agence belge de développement Enabel, Jean Van Wetter dresse un état des lieux du secteur tout en proposant des pistes de réflexion lors d’une rencontre à Bruxelles avec Le Point Afrique. Entretien.

En 2018, la Coopération technique belge (CTB) a changé de nom pour devenir Enabel. Pourquoi les autorités fédérales belges ont-elles estimé nécessaire de renommer votre organisation ?

Jean Van Wetter : C’était plus qu’un changement de nom, c’était aussi un changement de loi. L’ancien ministre de la Coopération, Alexander De Croo, voulait réformer l’agence CTB en la dotant d’une nouvelle ambition et d’un nouveau nom pour sortir de la logique de la coopération dite « classique » en étant – c’est un jeu de mots inspiré par le mot anglais « enable », qui veut dire « rendre possible » – un acteur qui contribue à un processus de changement dans les zones géographiques où nous opérons, comme en Afrique, tout en étant conscient que notre organisation ne peut révolutionner à elle seule ce processus. En effet, le budget annuel d’Enabel est de 350 millions d’euros, ce qui équivaut à un budget total d’un gros hôpital bruxellois. Avec une telle somme, peut-on prétendre à révolutionner la gouvernance, l’agriculture, le changement climatique dans les 21 pays où nous sommes présents ? Je ne crois pas et, de ce fait, je pense que nous ne sommes qu’une contribution qui a un certain impact.

Lors du dernier Sommet Afrique-France de Montpellier de 2021, des intervenants ont interpellé le président Macron en lui demandant justement de modifier le nom de l’Agence française de développement (AFD) ainsi que le fonds de cette dernière pour améliorer la coopération au développement entre l’Hexagone et le continent. Dans quelle mesure le changement de nom en Enabel a-t-il été bénéfique, tant pour votre organisation que pour vos partenaires en Afrique ?

À l’heure des chocs mondiaux, comme le changement climatique, il faut sortir de la logique d’assistance pour se tourner vers une logique de partenariat. Bien sûr, il y aura toujours des crises humanitaires, des conflits, voire des zones plus fragiles qui auront besoin d’assistance. Cependant, sur le moyen terme, la logique de partenariat devrait s’établir, laquelle est d’ailleurs réclamée par les pays africains. Dans ce contexte, il faut être très ouvert par rapport à ses intentions et aux raisons pour lesquelles on fait un partenariat. Ceci requiert donc des changements de terminologie, de vocabulaire et d’approche où la détermination des priorités doit venir à 50 % d’un côté et 50 % de l’autre.

De quelle manière ?

En 2050, une personne sur quatre dans le monde sera africaine. Alors que la population européenne vieillit et stagne, l’âge médian en Afrique est de 20 ans. Le développement du continent africain est donc une opportunité extraordinaire pour l’Europe en étant un foyer de créativité et d’innovation. Face aux chocs mondiaux, comme le changement climatique voire le choc démographique, il est nécessaire de mettre sur pied un modèle de coopération qui aille dans les deux sens avec des échanges techniques, de savoir-faire et technologiques, pour résoudre ensemble nos défis communs.

La guerre d’Ukraine a diminué l’aide octroyée aux pays africains, selon l’OCDE. Pensez-vous que ce conflit pourrait changer le paradigme de la collaboration entre les pays donateurs et les partenaires du continent ? Dans quelle mesure ?

Force est de constater que la nature de la géopolitique a bien changé, ce avant même le début de la guerre en Ukraine. Il y a 30 ans effectivement, le monopole de la coopération était entre les mains de pays industrialisés comme le Japon, voire les États-Unis. Cependant, au cours des dernières années, un nombre croissant d’acteurs sont apparus, comme la Turquie qui a développé une stratégie de développement via le commerce, voire l’Inde qui s’appuie fortement sur sa diaspora. Mais aussi des pays africains comme l’Égypte qui ont un budget de développement de 150 millions d’euros, ou le Maroc qui cherche des coopérations triangulaires. Donc, il y a une multiplication d’acteurs nés de la redistribution des cartes de pouvoir au niveau international qui impacte les relations avec les pays occidentaux.

En parlant des pays occidentaux justement, l’Afrique a perçu au cours des 18 dernières années plus de 805 milliards de dollars d’aides publiques au développement sans vraiment changer la donne. Par comparaison, le plan Marshall a financé la reconstruction de l’Europe à hauteur de 173 milliards de dollars actuels. Pourquoi cet apport massif d’aide sur le continent n’a pas permis d’endiguer la pauvreté – car celle-ci, selon de récents rapports d’organisations internationales, ne cesse d’augmenter ?

Je pense qu’il faut différencier les contextes. Le plan Marshall était un plan de reconstruction de pays en guerre qui étaient déjà industrialisés. Pour le continent africain, beaucoup d’États n’ont pas encore connu cette industrialisation massive, car ils partaient d’une situation plus pauvre que les pays européens avant l’initiative américaine. Donc, on parle d’une base qui était beaucoup plus complexe. De plus, malgré les montants cités dans votre question, ils restent relativement faibles. En cause, les financements globaux annuels alloués au développement par les pays industrialisés représentent l’équivalent du budget de la santé au Royaume-Uni. Dans ce contexte, il s’avère nécessaire de savoir comment et où investir l’argent en étant plus en capacité de mesurer les résultats et l’impact sur le terrain. En ce sens, je pense que les bailleurs doivent devenir plus sélectifs par rapport aux projets qu’ils financent.

Comment ?

Je pense qu’un bon projet de développement regroupe des partenaires qui mettent tous de l’argent parce que, si tout est sur la base du don et que la priorité choisie par le projet est trop orientée par le bailleur, l’appropriation sera moins forte du côté du receveur. Pour donner une métaphore, c’est comme si une personne reçoit un cadeau dont il n’a pas envie. Que fait-il dans ce contexte ? Généralement, il range ce dernier tel quel sur une étagère et c’est tout.

Dans un débat organisé en avril par le West Africa Think Tank (WATHI), l’anthropologue Olivier de Sardan expliquait que « l’aide au développement est une rente qui a des effets pervers » qui n’encourage pas la prise d’initiatives et l’autonomie des États. Êtes-vous d’accord avec son observation ?

Il y a effectivement un problème dans le secteur quant au manque de transparence dans les projets donnés qui ne marchent pas. Très souvent, parce que l’on parle ici d’aides issues de deniers publics, il apparaît difficile de justifier une aide octroyée à un pays tiers. Cependant, la transparence de l’échec devrait exister par redevabilité envers les partenaires. Dans ce contexte, l’approche chinoise me paraît intéressante en ce sens qu’elle utilise une logique plus transactionnelle, même dans les projets de coopération, où les partenaires osent dire qu’une initiative donnée ne fonctionne pas et qu’il est nécessaire de l’arrêter. Idem du côté anglo-saxon où l’échec est célébré dans une logique d’apprentissage.

L’un des exemples concrets cité par ce chercheur est qu’« un expert international compétent mais qui ne connaît pas la réalité du fonctionnement d’un service de maternité, d’un centre de santé, d’une école dans une localité du Niger, du Mali ou d’ailleurs ne peut pas anticiper les effets inattendus d’une nouvelle politique censée améliorer la délivrance d’un service ». Dans le cadre des recrutements dans un projet donné, pensez-vous que les agences de développement prennent assez en compte cette réalité ?

Dans le cadre d’Enabel, nous la prenons en compte. Nous avons plus de 2 000 collaborateurs et collaboratrices qui sont à 80 % des nationaux issus de pays où nous sommes actifs. Pour comparer avec Expertise France ou l’AFD, on est beaucoup plus décentralisé et on possède un modèle qui est beaucoup plus local. Dans tous les pays africains, nous avons des conseillers stratégiques nationaux qui possèdent une bonne connaissance du contexte et qui nous aident à s’assurer que nos initiatives rentrent pleinement dans le contexte local. Est-ce maintenant suffisant ? Je ne pense pas, car l’on reste un acteur étranger et une amélioration des connaissances liées aux jeux de pouvoir locaux est nécessaire.

La Source: Le Point

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