Le Burkina Faso sous l’effet d’un 2ème Coup d’Etat militaire en moins de 8 mois

Le Burkina Faso sous l’effet d’un 2ème Coup d’Etat militaire en moins de 8 mois

Anouar CHENNOUFI

Africa-Press – Burkina Faso. Nous avons tous appris par le biais des médias locaux qu’un groupe d’officiers burkinabé a annoncé avoir pris le pouvoir dans le pays, après s’être soulevé contre le chef du Conseil militaire de la transition, le Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba.

Les officiers, qui ont « destitué » Damiba, conduits par le capitaine Ibrahim Traoré qui fût désigné « Président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) », ont annoncé la fermeture des frontières terrestres et aériennes du Burkina Faso jusqu’à nouvel ordre, tout en procédant à la fois à la dissolution du gouvernement et de l’Assemblée législative de transition, en suspendant également la Constitution.

Ainsi, ce qui était annoncé comme une mutinerie, dans la matinée du vendredi 30 septembre, a finalement débouché sur un coup d’Etat perpétré par des putschistes qui se réclament du (MPSR) et qui ont affirmé que « le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba a été démis de ses fonctions de président du MPSR ».

Selon le communiqué publié par le MPSR, le nouvel homme fort serait le capitaine Ibrahim Traoré, commandant d’artillerie de la première région militaire basée à Kaya dans le centre nord du pays.

Qui est en fait le Capitaine Ibrahim Traoré ?

Le capitaine Ibrahim Traoré est un officier de l’armée burkinabè qui a fait sa formation à l’Académie Georges Namoano de Pô, située dans la région du centre sud.

C’est un brillant soldat qui fut vice major de la 12è promotion de l’Académie Georges Namoano (2010-2012). Il est de la même promotion que le capitaine Sidsoré Ouédraogo qui avait lu à la télévision nationale la première déclaration du coup d’état du 24 janvier 2022. Ils avaient opéré ensemble le coup d’état contre l’ex président Roch Kaboré.

Après son école de formation en 2012, il a appliqué en artillerie plusieurs fois au Maroc y compris son perfectionnement et a toujours servi dans l’artillerie. Il était aussi le porte-parole des officiers lors des réunions avec le président Paul-Henri Damiba, à qui il reprochait certaines décisions prises.

Le président Paul-Henri Damiba avait nommé le capitaine Traoré en mars, chef d’artillerie du 10è Régiment de Commandement d’Appui et de Soutien (RCAS) basé à Kaya (100 km de Ouaga) dans la première région militaire au Centre nord.

Ibrahim Traoré a servi plusieurs fois dans le détachement militaire de Namissiguia, une zone en proie au terrorisme dans la région du Nord. « C’est un soldat valeureux », « c’est un bon combattant », affirme un soldat qui a fait les mêmes terrains que lui.

Le nouveau président a aussi fait les missions de maintien de la paix, précisément la MINUSMA au Mali. En avril 2018, lors de l’attaque complexe du camp de la MINUSMA à Tombouctou, il a fait preuve de bravoure. Il a été félicité par le chef de la MINUSMA pour la riposte organisée contre l’attaque terroriste.

Ainsi, âgé seulement de 34 ans Ibrahim Traoré renverse le président Paul-Henri Damiba qui portait leur espoir le 24 janvier 2022 et il devient le nouveau patron du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration(MPSR).

Une fois de plus, le Burkina Faso entre dans le cycle des coups d’État militaires

Depuis l’an dernier, le Burkina Faso est devenu l’épicentre des violences dans le Sahel, avec plus d’attaques meurtrières qu’au Mali ou au Niger en 2021. Plus de 40% du territoire s’est trouvé hors du contrôle de l’Etat, selon des chiffres officiels, sachant que depuis plusieurs années, le pays est la cible des attaques des groupes armés.

Pourtant, l’homme fort de la junte militaire au pouvoir qui a été écarté samedi, en l’occurrence le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, qui avait pris lui-même le pouvoir à la suite d’un coup d’État commis fin janvier de cette année contre le Président constitutionnellement élu Roch Marc Christian Kaboré, avait promis de faire de la sécurité sa priorité. Cependant, la situation ne s’est guère améliorée et les attaques meurtrières, touchant des dizaines de civils et soldats, se poursuivent toujours.

Pour rappel, pour le lieutenant-colonel devenu président en janvier dernier, l’alerte de ce putsch est en tout cas très sérieuse, sachant qu’il venait de rentrer en début de semaine de New York, où il a participé à l’Assemblée générale des Nations unies. Damiba essuyait jusqu’à présent des critiques régulières sur son incapacité à régler la crise sécuritaire qui plombe son pays, mais jamais il n’avait été à ce point défié par une partie de l’armée.

Il semble entre-autres que ceux qui sont derrière ce putsch cherchaient à mettre fin au règne transitoire du colonel Damiba, après 8 mois, de la même manière qu’il est arrivé au pouvoir. Il intervient également dans le contexte d’une lourde défaite subie par l’armée burkinabé dans le nord du pays, au cours de laquelle celle-ci a perdu des dizaines de ses soldats.

D’autant plus qu’au cours des dernières semaines, l’armée a été la cible de plusieurs attaques, signe de la détérioration continue de la situation sécuritaire, que Damiba est arrivé au pouvoir sous prétexte de l’améliorer, un gage dont peu a été atteint, selon les observateurs.

Il faut préciser que les partisans du nouveau coup d’Etat au Burkina Faso, ont souligné que le Lieutenant-colonel Damiba n’a pas été à la hauteur de sa mission, pour eux « Damiba a échoué et le peuple n’est pas content. Et nous allons effectivement sortir aujourd’hui pour montrer au monde entier que nous ne voulons plus de cet homme. En ce moment, nous avons des soldats très aguerris qui ont pris le pouvoir et nous les soutiendrons jusqu’à ce que le terrorisme soit chassé de notre pays ».

Mais, dans cette mêlée chaotique, Damiba n’a pas hésité à rendre public un communiqué, le samedi soir, dans lequel il aurait appelé le capitaine Ibrahim Traoré et ses hommes à revenir à la raison, pour dit-il éviter une guerre fratricide au Burkina Faso.

Comment cette mutinerie a eu lieu ?

Selon les mêmes sources locales, au terme d’une journée marquée par des tirs dans le quartier du siège présidentiel de la capitale, Ouagadougou, un groupe constitué d’une quinzaine d’officiers de l’armée burkinabé, dont certains portaient des masques faciaux pour ne pas être reconnus, s’est exprimé à la télévision nationale en fin d’après-midi.

« Le lieutenant-colonel Damiba a été démis de ses fonctions de chef du Mouvement national pour le salut et la réforme », a déclaré l’instance dirigeante de l’armée dans un communiqué lu par l’un des membres du groupe, qui a expliqué que le capitaine Ibrahim Traoré était devenu le nouveau chef du conseil militaire.

Le groupe militaire a tenu à préciser que la « détérioration continue de la situation sécuritaire dans le pays nous a poussé à assumer nos responsabilités, motivés par un objectif suprême, restaurer la sécurité et l’intégrité de tout notre territoire ».

A noter que durant cette semaine, des hommes armés soupçonnés de faire partie des groupes terroristes ont attaqué un convoi qui allait approvisionner la ville de Djibo (au nord du pays) en produits alimentaires essentiels.

Onze militaires ont été tués, 28 autres blessés et cinquante civils portés disparus dans cette attaque, selon le dernier bilan officiel. Hormis les décisions prises (déjà citées plus haut), un couvre-feu a été imposé de neuf heures du soir à cinq heures du matin, jusqu’à nouvel ordre.

Qui serait derrière ce coup d’Etat, et pour quelles raisons ?

D’après les slogans scandés par les citoyens qui ont infesté les rues de la capitale Ouagadougou, et de certaines autres villes, le nom du colonel Emmanuel Zoungrana a été est évoqué, parmi d’autres, notamment près de la place de la Nation à Ouagadougou, où plusieurs centaines de personnes s’étaient rassemblés pour demander, entre autres :

• la libération du Lt-Col Zoungrana,
• la coopération militaire avec la Russie
• et le rejet de la présence militaire française au Sahel. Cela ne serait pas la première fois que cet officier militaire, actuellement emprisonné, tente d’interférer avec le pouvoir burkinabé.

Qui est donc le Lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana ?

Accusé d’avoir tenté de renverser l’ancien président Kaboré en janvier 2022, le 10 du même mois, le lieutenant-colonel est arrêté avec sept autres militaires arrêtés en même temps que lui, soupçonné de préparer une tentative de coup d’État.

Cependant, deux semaines plus tard, ce fût le Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba qui affirmait avoir « mis fin au pouvoir » du président Kaboré.

En revenant à Zoungrana, l’officier serait passé par le Pyrathée militaire du Kadiogo (PMK), le camp d’entraînement de Pô, et avait aussi dirigé le 25e régiment parachutiste commando (RPC).

Il était aussi le chef de corps du 12e régiment d’infanterie commando (RIC) à Ouahigouya, jusqu’au 16 décembre 2021. À cette date, il a été relevé de son poste par décret présidentiel car il faisait partie d’un plan de renouvellement hiérarchique.

Son nom circule donc en tant que « chef instigateur de ce coup d’État »… Par ailleurs, la tension a pris de l’ampleur au Burkina Faso, lorsque des manifestants ont notamment pris pour cibles, des bâtiments français en soutien aux putschistes.

Selon eux, la France serait accusée de collusion avec le Lieutenant-colonel Damiba qui vient d’être déchu par les putschistes, et un incendie attribué à des citoyens en colère s’est déclaré devant l’ambassade de France à Ouagadougou, et un autre devant l’Institut français à Bobo-Dioulasso, à l’ouest du pays.

D’ailleurs, des manifestants stationnés devant l’ambassade de France à Ouagadougou scandaient avec des porte-voix : • La patrie ou la mort, on va gagner…

• Nous ne voulons pas, nous ne voulons plus de la France…
• On ne veut plus de la France… On ne veut plus de la France en Afrique. Nous n’en voulons plus…
• A bas la France…
• Nous faisons appel à la Russie…

Néanmoins, la France a condamné dans la soirée du samedi « avec la plus grande fermeté » les attaques ciblant son ambassade au Burkina Faso, indiquant à ce propos que la sécurité de (ses) compatriotes » était sa « priorité », au lendemain d’un coup d’Etat militaire.

Rétrospective sur le coup d’Etat de Janvier 2022 : implication de la France ?

Analysant ce coup d’Etat, Dr Saïd Nada, titulaire d’un doctorat en Sciences politiques de l’Université du Caire, a écrit que la contagion des coups d’État militaires s’est propagée en Afrique de l’Ouest et au Sahel d’une manière remarquable qui indique qu’il ne s’agit pas seulement de rébellions contre la dictature des dirigeants, ou leurs échecs internes, ou les caprices de ceux qui les dirigent. Les événements qui se déroulent en Afrique de l’Ouest et au Sahel, et même dans la plupart des régions du continent, ainsi que les événements qui se déroulent au niveau mondial, et les changements/changements qui les accompagnent dans le système international, indiquent tous la métaphore de la troisième guerre mondiale, qui a en fait commencé en secret, puis est devenue claire et évidente. Ce n’est plus un secret qu’il y a un grave conflit mondial sur les ressources et les emplacements stratégiques, et étant donné que l’Afrique a une énorme quantité de ressources naturelles ressources, et une bonne quantité d’emplacements et de corridors stratégiques, elle a accueilli – contre son gré – les tours préliminaires de cette guerre elle est un « candidat sérieux » pour accueillir ses finales.

Le chercheur suggère que la France est impliquée dans la planification, la direction et le soutien du coup d’État du Burkina Faso, après avoir pressenti l’existence d’un complot russe pour pénétrer son influence dans le pays. Compte tenu de la force des premières indications à ce sujet, d’autant plus que l’information sur la demande formulée par Damiba à « Kaboré » de demander l’aide des Russes serait de source inconnue et attribuée à des proches du président, c’est-à-dire du parti au pouvoir du président, il est probable qu’il s’agisse d’inciter l’Occident contre le chef du coup d’État, et il est également concevable que le chef du coup d’État lui-même – malgré sa coopération avec la France – soit à l’origine de cette information comme une manœuvre pour obtenir des acquis, et demander plus de soutien français et occidental.

Aussi, l’hypothèse de sauver la nation et de restaurer l’État, sa perception est difficilement imaginable de la part d’un lieutenant-colonel qui a gagné la confiance du président, à moins d’un mois de sa promotion à la tête de la troisième division de l’armée, qui est responsable de la sécurité de la capitale, surtout depuis les politiques du président en matière de santé, d’éducation et d’infrastructures, bien qu’elles n’aient pas été suffisantes.

Cependant, c’était mieux que ce qui a été dit, et les protestations contre ses politiques de sécurité n’étaient pas persistantes ou assez fortes pour soutenir cette hypothèse, de plus, si la raison principale était l’échec sécuritaire, il aurait été logique de donner aux récents changements gouvernementaux et militaires apportés par le président un délai pour porter leurs fruits, ce qui signifie que celui qui a organisé le coup d’État avait pris sa décision indépendamment de l’étendue, la nature et l’efficacité de la réponse du président, et que le coup d’État n’était pas contraire à la vérité en raison de politiques de sécurité principalement inefficaces.

Quant à l’hypothèse des simples orientations subjectives du putschiste, qu’elle ait été motivée par la simulation de ce qui s’est passé dans les pays voisins ou motivée par la volonté de puissance, elle ne suffit pas à elle seule à mener le coup d’État sans ingérence ni soutien extérieur.

Les ambitions qui viennent de l’extérieur

Il importe de noter que le Burkina Faso possède plusieurs ingrédients qui placent le pays au centre de l’attention des puissances internationales et régionales avides d’étendre leur influence en Afrique, dont les plus importantes sont ces deux facteurs :

• Richesses et ressources naturelles :

Les grandes richesses du Burkina Faso sont convoitées par les puissances internationales et leurs entreprises. Dans ce contexte, des études indiquent que le pays possède une énorme quantité de minerais tels que l’antimoine, la bauxite, le ciment, le cuivre, l’or, le plomb, le calcaire, le manganèse, le marbre, le nickel, le phosphate, l’argent et le zinc, et les grandes puissances et leurs entreprises rivalisent pour nouer des partenariats avec le régime en place dans ce pays.

• Emplacement stratégique :

Bien que le Burkina Faso soit un pays enclavé, cependant, il assure la médiation de la région de l’Afrique de l’Ouest et constitue une porte d’entrée stratégique vers et depuis les pays des régions de l’Afrique de l’Ouest, du Centre et du Nord, ainsi que les pays de la région du Sahel et du Sahara et les pays riverains du golfe de Guinée. La présence ou la concentration au Burkina Faso, tout en le prenant comme base de départ, donne un avantage stratégique qui permet d’élargir et d’étendre l’influence dans cette région importante de l’Afrique, riche en richesses et ressources naturelles diverses.

Genèse des coups d’Etat ayant marqué le Burkina Faso depuis son indépendance en 1960
1966

Le 3 janvier, l’armée prend le pouvoir à la suite de grèves et de manifestations contre l’austérité. Le président Maurice Yaméogo, au pouvoir depuis l’indépendance, est remplacé par le chef d’état-major Aboubakar Sangoulé Lamizana. En 1974, à la suite d’une importante crise politique, la Constitution est suspendue et l’Assemblée dissoute.

1980

Le 25 novembre, après 14 ans à la tête de l’Etat, le président Sangoulé Lamizana est à son tour renversé. Un Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN), dirigé par le colonel Saye Zerbo, prend le pouvoir.

1982

Le 7 novembre, un Conseil de salut du peuple (CSP), présidé par le commandant Jean-Baptiste Ouedraogo, renverse le colonel Saye Zerbo. Le capitaine Thomas Sankara, qui joue un rôle important dans ce coup d’Etat, est nommé Premier ministre le 10 janvier 1983.

1983

Le 4 août, le capitaine Thomas Sankara, entre-temps écarté du pouvoir, est porté à la tête d’un “Conseil national de la Révolution” (CNR) et instaure une “révolution démocratique et populaire”. Le coup d’Etat est dirigé par son frère d’armes, le capitaine Blaise Compaoré.

1987

Le 15 octobre, Blaise Compaoré, que des divergences sur la manière de conduire la « révolution » opposaient à Thomas Sankara, prend le pouvoir lors d’un coup d’Etat meurtrier : le père de la « révolution » burkinabè est tué ainsi que 12 de ses collaborateurs. Le procès de l’assassinat de Thomas Sankara, qui fait toujours l’objet d’un culte, s’est ouvert en octobre 2021 à Ouagadougou.

2014

Le 31 octobre, Blaise Compaoré est chassé par la rue pour avoir voulu modifier la Constitution et se maintenir au pouvoir.

2022

-Le 24 janvier, des militaires en uniforme conduits par le lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba annoncent à la télévision publique avoir pris le pouvoir et chassé le président Marc Roch Christian Kaboré.

-Le 30 septembre de la même année, un groupe d’officiers militaires conduit cette fois-ci par le Capitaine Ibrahim Traoré renverse le président de la transition, Paul Henry Sandaogo Damiba.

Pour le moment « a situation est encore confuse », selon la presse burkinabè, qui fait état ce 30 septembre, de coups de feu dans la capitale, signe selon elle d’un mécontentement grandissant au sein de l’armée. Nous y reviendrons donc avec de nouveaux détails dans les prochains jours…

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