Arianna Poletti
Africa-Press – Burkina Faso. La Première ministre italienne se présente volontiers aux dirigeants africains comme une alliée anti-colonialiste et anti-paternaliste. Un discours qui tranche avec ses actes, notamment en matière de politique migratoire.
Rarement les membres du gouvernement de Giorgia Meloni auront fait autant d’allers-retours en Méditerranée. Après plusieurs visites sur la rive sud – dont trois à Tunis – accompagnés de la promesse que l’Italie réussira à « mettre en place un blocus naval » pour empêcher la traversées des migrants irréguliers, le mois de septembre a été marqué par un nombre record d’arrivées sur la petite île italienne de Lampedusa, laquelle n’avait pas observé un tel afflux depuis 2016. Entre janvier et septembre 2023, le ministère italien de l’Intérieur a enregistré l’arrivée de 115 000 migrants dans le pays. Ils étaient 62 000 en 2022.
La question migratoire n’est pourtant plus présentée comme une menace incontrôlable ou une « invasion » par la Première ministre italienne ou son radical ministre des Transports, Matteo Salvini, ancien titulaire de l’Intérieur. « L’Italie ne peut plus se permettre de faire face à un été de débarquements de migrants », twittait Meloni en juin 2022.
Alternative à la France
Un an plus tard, alors que le centre d’accueil de Lampedusa d’une capacité de 400 places doit faire face à la présence de 7 000 personnes, Giorgia Meloni semble peser ses mots lorsqu’elle s’adresse à l’opinion publique nationale. Bien que le discours anti-migrants suscite des ovations publiques dans la péninsule, c’est surtout sur le continent africain que la cheffe du gouvernement essaie de se faire entendre.
Sa proposition ? « Un modèle vertueux de coopération non prédatrice entre l’Union européenne et les pays africains » en échange du « contrôle des frontières » et de la « lutte contre la propagation inquiétante du radicalisme islamiste », présentait-elle dans son discours inaugural au Parlement, fin 2022. « Nous souhaitons retrouver notre rôle stratégique en Méditerranée après des années de recul », ajoutait-elle avant de présenter sa stratégie africaine.
ENTRE L’ITALIE DE GIORGIA MELONI ET LA FRANCE D’EMMANUEL MACRON, LES TENSIONS SONT PALPABLES
À l’heure où le sentiment anti-français se propage dans de nombreux pays d’Afrique francophone, Rome se présente comme l’alternative à la politique de la France et de ses alliés en Afrique, volontiers qualifiée de paternaliste et néocolonialiste par ses détracteurs.
Entre l’Italie de Giorgia Meloni et la France d’Emmanuel Macron, fragilisée par la série de récents coups d’État au Sahel, les tensions en matière de politique africaine sont palpables. Les derniers événements au Niger, où le président Mohamed Bazoum a été à son tour renversé par un putsch, le 26 juillet, en sont la preuve.
Dans une récente interview à l’agence de presse italienne Agenzia Nova, l’ambassadeur algérien à Rome, Abdelkrim Touahria, a déclaré que l’Italie pouvait apporter une « grande contribution » à l’initiative algérienne visant à résoudre la crise nigérienne de manière pacifique afin d’éviter toute intervention militaire de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), soutenue par la France.
« La contribution de l’Italie est très importante, notamment dans le cadre de la dernière conférence internationale sur le développement et les migrations qui s’est tenue à Rome. Cette initiative italienne est étroitement liée à ce qui se passe en Afrique », a déclaré l’ambassadeur Touahria. En janvier, Giorgia Meloni s’était rendue à Alger pour négocier des accords énergétiques privilégiés avec l’Algérie, accompagnée par le patron de la multinationale italienne Eni, Claudio Descalzi, partenaire principal de la compagnie algérienne Sonatrach.
Voyages en Tunisie
Plus récemment, c’est en Tunisie que Meloni s’est faite remarquer. En moins d’un mois, elle s’est rendue trois fois à Tunis, dont une accompagnée de son homologue néerlandais Mark Rutte et de la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. Elle y a notamment enfin obtenu la signature d’un mémorandum entre l’UE et la Tunisie, le 16 juillet 2023. Une « réussite commune obtenue grâce à la médiation de l’Italie », affirme une source diplomatique à Rome. 105 millions d’euros devraient bientôt être débloqués par l’UE avec l’objectif de « stopper l’immigration depuis la Tunisie ».
Des voix critiques se sont pourtant élevées en Europe. Selon le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, citant une note interne du ministère allemand des Affaires étrangères, Berlin n’a guère apprécié de ne pas être davantage consulté dans les négociations entre Bruxelles et Tunis. Cette contestation aurait trouvé une oreille attentive auprès de la directrice générale du service juridique du Conseil européen, Emer Finnegan, qui pourrait remettre en question la validité de l’accord pourtant présenté comme un modèle.
LE CONSEIL EUROPÉEN AINSI QUE LE SERVICE DIPLOMATIQUE DE L’UE AURAIENT ÉTÉ ÉCARTÉS DES DISCUSSIONS
Ledit Conseil ainsi que le service diplomatique de l’UE auraient été écartés des discussions, pour lesquelles aucune consultation préalable avec des représentants de la société civile n’a été organisée. Dans un communiqué publié le 14 septembre, le médiateur européen a demandé à la Commission européenne si elle « avait réalisé une évaluation de l’impact sur les droits de l’homme avant de signer ce protocole ».
Entretemps, plusieurs eurodéputés, dont le président du groupe politique Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), ont demandé le retrait de l’accord voulu par Giorgia Meloni. Le même jour, six d’entre eux se sont vus refuser l’entrée en Tunisie.
Sommet sur la migration à Rome
Le 23 juillet, une semaine après la signature de cet accord contesté, Giorgia Meloni accueillait dans la capitale les dirigeants de plusieurs pays d’Afrique du Nord, du Proche-Orient et du Golfe. Sur les photos officielles de sa Conférence sur la migration et le développement, elle apparaît souriante, assise au milieu de ses alliés émirati, Mohamed Ben Zayed, et tunisien, Kaïs Saïed – lequel avait soufflé l’idée de ce sommet à son hôte lors de ses voyages à Tunis.
Annoncée à la dernière minute, la conférence de Rome a contribué à renforcer l’image que Meloni essaie de se bâtir depuis son arrivée au pouvoir : celle d’une dirigeante amie des chefs d’État africains, d’une défenseuse d’une vision « non coloniale » des relations diplomatiques entre les rives nord et sud de la Méditerranée. « En Afrique, Rome veut adopter une approche égalitaire. Une politique qui n’est pas paternaliste mais qui, au contraire, aide ces nations, les accompagne, tente d’intervenir dans leurs difficultés », a-t-elle déclaré à cette occasion.
Ces propos ne sont pas nouveaux, et font écho au discours anti-français qu’elle tenait avant d’être nommée à la tête du Conseil. « Fratelli d’Italia [le parti de Meloni] tente depuis longtemps de braquer les projecteurs sur les questions [néocoloniales] qui, à travers l’immigration de masse, nous touchent de près », expliquait-elle en février 2019 lors de la présentation d’une conférence intitulée « L’économie des anciennes colonies françaises d’Afrique et le franc CFA ».
Monnaie coloniale française
Quelques mois plus tard, Meloni sort un billet de son portefeuille pendant une émission télévisée très populaire en Italie. « Connaissez-vous ce billet ? Il s’agit de la monnaie coloniale française, le franc CFA, utilisée pour exploiter les ressources des nations africaines, déclare-t-elle devant les caméras. Et voici un enfant qui travaille dans une mine d’or au Burkina Faso, l’un des pays les plus pauvres au monde. »
Surfant sur ces propos traduits en anglais, en français et en arabe, et devenus viraux sur les réseaux sociaux, Meloni parvient à faire oublier ses positions ouvertement racistes et anti-migratoires, en se transformant en défenseuse des droits des peuples africains francophones. Quatre ans plus tard, ses vidéos circulent encore sur le web et font le bonheur des tous les détracteurs de l’ancienne puissance coloniale française.
« Substitution ethnique en cours »
Giorgia Meloni, nouvelle égérie de la lutte contre le néocolonialisme en Afrique ? Il y a pourtant de quoi en douter. Dans le livre « Mafia nigériane – Origines, rituels et crimes » dont elle est co-auteure, la cheffe du gouvernement expose une vision ouvertement raciste des Nigérians et, plus largement, des migrants africains vivant en Italie. Elle y parle ainsi de « demandeurs d’asile au-dessus des lois » et n’hésite pas à dénoncer la « substitution ethnique en cours » dans son pays causée par des peuples « rétrogrades », « qui ont encore recours à la sorcellerie ».
CE QUI CHANGE AVEC MELONI, C’EST AUSSI L’EFFACEMENT DE LA MÉMOIRE COLONIALE ITALIENNE DANS LA RHÉTORIQUE DE SON GOUVERNEMENT
En avril 2023, c’est en Éthiopie, ancienne colonie italienne, que Meloni a symboliquement choisi d’annoncer son « Plan Mattei pour l’Afrique », une série d’accord énergétiques qui visent à faire de l’Italie « une charnière naturelle et un pont énergétique entre la Méditerranée et l’Europe ». Le modèle de coopération bilatérale qu’elle propose, et qu’elle entend dupliquer ailleurs sur le continent : plus de fonds et d’équipements pour les forces de défense et de sécurité, en échange d’une intensification de la lutte contre l’immigration et de nouveaux accords énergétiques avantageux pour Rome.
Ce qui change avec Meloni, c’est aussi l’effacement de la mémoire coloniale italienne dans la rhétorique de son gouvernement. Un phénomène que l’historien italien Angelo del Boca appelait « Italiani brava gente » (« Les Italiens sont des gens bien ») selon lequel, malgré la brutalité de leur système colonial passé, les Italiens considèrent qu’ils s’étaient comportés comme des « gens bien ». Une idée qui n’a finalement jamais été remise en question et qui continue de justifier les choix politiques du gouvernement actuel.
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press