« Pour Barkhane, il s’agit bien d’une “réarticulation” complète »

« Pour Barkhane, il s’agit bien d’une
« Pour Barkhane, il s’agit bien d’une "réarticulation" complète »

Africa-Press – Burkina Faso. Le 17 février dernier, le président français Emmanuel Macron a fait l’annonce officielle du départ de l’opération Barkhane. Dans le sillage des difficultés de collaboration avec la junte de Bamako, la fin de cette mission antidjihadiste a eu un effet boule de neige dans tout le Sahel. Du Niger au Burkina Faso, le sentiment antifrançais a explosé. On a ainsi pu lire sur des milliers de messages Facebook et Twitter que le Mali était « enfin libéré ». Le général Laurent Michon, commandant actuel de l’opération, revient sur la réalité ainsi que sur les détails importants de cette transition, qui ne se fait pas sans douleur.

Le Point Afrique : On dit que Barkhane ne va pas se « redéployer » mais plutôt se « réarticuler ».
Général Laurent Michon :

C’est exact. Je ne suis pas le seul à vouloir transformer profondément cette opération. D’ailleurs, on peut dire que l’on va vers une fin de Barkhane dans son état actuel, c’est assez clair. Ce n’est pas seulement la crise politique au Mali qui en est la cause. Un « redéploiement » donnerait l’idée qu’on prend Barkhane et qu’on la dupliquerait au Niger ou ailleurs. Et ce n’est absolument pas notre intention ni même celle de nos partenaires européens ou africains. Il s’agit bien d’une « réarticulation » complète où l’on fait un effort pour une coopération plus étroite encore, pour savoir mieux répondre aux souhaits de chacun des pays.

« En pratique, nous avons déjà commencé à nous réarticuler et à transmettre aux FAMa ou à la Minusma un certain nombre de postes dans le nord Mali », indique le général Laurent Michon, commandant de l’opération Barkhane.

© Etat-major des armées

Nous allons par ailleurs réduire le nombre de Français de 5 000 à 3 000 dans une zone qui sera plus étendue. Mais le vrai changement, c’est quand même l’arrivée des Européens au sol. C’est assez nouveau au Sahel. Bien que ce soient des soldats aguerris, c’est un risque militaire important pour les dix pays qui les envoient. Mais c’est aussi un vrai « game changer ».

En pratique, nous avons déjà commencé à nous réarticuler et à transmettre aux FAMa ou à la Minusma un certain nombre de postes dans le nord du Mali. Nous allons poursuivre ce transfert de sécurité à Gossi, d’où nous partirons fin avril, à Menaka, à la fin juin, et à Gao à la fin août.

Comment cette réarticulation va-t-elle se passer au Niger et au Tchad ?

Pour le Niger, M. Bazoum doit faire approuver le recours à l’aide occidentale militaire d’ici à quelques jours ou semaines, c’est en débat dans son Parlement. Nous attendons comme tout le monde cette décision devant la représentation nationale nigérienne. Ensuite, si les Nigériens le souhaitent, nous poursuivrons le partenariat de combat au Liptako nigérien et, s’il y a d’autres demandes en termes de coopération, nous regarderons si nous pouvons y répondre.

Pour le Tchad, il va y avoir une petite réadaptation du dispositif à court terme, qui ne changera pas ce que nous faisons déjà à Abéché et Faya. Nous allons surtout accélérer notre coopération avec l’armée tchadienne, notamment dans la zone lacustre, puisque Boko Haram est toujours à nos portes. De même, il y aura une petite évolution du dispositif aérien avec un détachement qui sera en permanence ici.

Avec le départ, qu’avez-vous comme retours de la population malienne ?

À Gossi, les gens sont tristes et déçus que nous partions, c’est évident. Parce qu’ils ont peur d’un vide sécuritaire que nous essayons d’éviter en transférant notre poste aux FAMa. Mais après, ce sera de leur responsabilité entière. Sur un plan du développement et de l’aide humanitaire, nous allons terminer les projets en cours sans savoir ce qu’il se passera après… À Menaka, où nous avons apporté un certain niveau de sécurité par notre action avec les Européens de Takuba (qui sont essentiellement là), c’est le même sentiment, les gens ne sont pas spécialement heureux de nous voir partir. Même chose à Gao, car les gens mesurent ce que nous avons apporté avec le temps.

Que pensent vos hommes de ce départ ?

À l’automne dernier, les capitales européennes se sont concertées pour continuer l’action pendant deux ans, et même l’étendre, parce que ça marchait bien politiquement et militairement. Les Européens de Takuba sont donc extrêmement désappointés que cela s’arrête d’un coup. C’est également très difficile pour les militaires français. Quelle que soit l’opération, ici au Sahel et au Mali en particulier, lorsqu’on s’est investi dans sa mission, comme caporal, comme sergent, ou simple militaire, c’est toujours un déchirement de partir.

Pour le général Laurent Michon, « les militaires français sont pourtant fiers de la mission accomplie, que ce soit ceux d’aujourd’hui ou ceux qui sont passés ».

Les militaires français sont pourtant fiers de la mission accomplie, que ce soit ceux d’aujourd’hui ou ceux qui sont passés. On a l’habitude de dire que l’on a fait un miracle par jour avec un nombre extrêmement réduit de forces, de moyens, de véhicules blindés, d’avions et même d’hommes aux vues des étendues de territoires.

Un scénario malien pourrait-il se reproduire au Tchad ?

Il y a plutôt une question d’instabilité liée à des groupes armés revenant de Libye. Il y a tout un tas de gens du Nord qui se retrouvent ainsi au chômage et qui pourraient être une menace pour le Tchad, voire des attaques encouragées et dirigées par les Russes pour déstabiliser le pays. La transition politique actuelle est un sujet délicat. Je constate toutefois que le dialogue commence à Doha. Si ce dialogue politique qui inclut un certain nombre de groupes armés est bien suivi d’un dialogue national tel que c’est annoncé, il n’y a guère de raisons que le Tchad explose.

Les forces armées tchadiennes sont par ailleurs les forces les plus respectées dans le Sahel. C’est un pays qui est entouré de risques à ses frontières et qui, pour autant, respecte ses engagements en termes internationaux. Ça ne se passe pas forcément comme ça partout en Afrique. Nous coopérons donc très bien avec eux, et nous avons beaucoup d’interactions de militaires à militaires sur les différentes actions.

Quels sont les rapports de la population du Tchad avec Barkhane ?

Nous avons beaucoup moins d’hommes ici et donc de contacts avec la population locale. Les contacts sont très bons à Faya et à Abéché, mais à N’Djaména on a surtout un poste de commandement qui sort très peu et qui commande les opérations dans l’ensemble du Sahel. On n’a pas de théâtre d’opérations ni de déploiement. Le rapport avec la population n’est donc pas du tout le même qu’ailleurs, ça n’est pas aussi intense qu’au Mali ou au Niger.

Comment faire pour protéger le golfe de Guinée alors que ça n’est pas la zone de Barkhane ?

Ce que je vois, c’est que la menace djihadiste descend aux frontières, dans le nord des quatre pays que sont le Bénin, le Togo, le Ghana et la Côte d’Ivoire. Les interactions, avérées, entre l’EIGS et Boko Haram, c’est un sujet que nous surveillons. Il y a des échanges de savoir-faire, d’armes, etc.

On attend donc les intentions d’Abidjan ou de Cotonou. Il y a des échanges de renseignements entre alliés. On partage ce que nous voyons avec les opérationnels locaux ou l’attaché de défense. S’il y a des souhaits d’être aidés, que ça soit en coopération organique (formation, équipement, infrastructure) ou que ça soit en coopération plus opérationnelle, nous répondrons favorablement.

À Barkhane actuellement, « on attend donc les intentions d’Abidjan ou de Cotonou. Il y a des échanges de renseignements entre alliés. On partage ce que nous voyons avec les opérationnels locaux ou l’attaché de défense ».

La stratégie des terroristes est d’exploiter toutes les faiblesses des États qui ne sont pas toujours très solides. Parce que certains territoires sont immenses et donc difficiles à contrôler. D’autres ne sont pas très riches, ou ont des problèmes interethniques, avec des zones délaissées, de forêts ou de déserts…

Les terroristes sont toujours très forts pour exploiter ces endroits, ces zones de friction, pour y semer le chaos et en vivre. D’ailleurs, ils l’ont même théorisé dès 2004. Dans Le Management de la sauvagerie, tout est expliqué. C’est un modèle qui a eu son heure de gloire au Moyen-Orient. Mais pour ce qui est de l’Afrique de l’Ouest, on en a encore pour une décennie à se battre ensemble face à cette menace qui n’est pas éternelle. Cependant, vu la démographie, c’est forcément très compliqué à combattre.

Que penser de la multiplication des groupes djihadistes dans de nombreux pays africains ?

Pour un certain nombre de bandits de grand chemin, il est beaucoup plus noble de s’habiller en djihadiste pour dire « voyez comme mon combat est noble », martelant des causes idéologiques ou religieuses à la population, alors qu’ils ne sont absolument pas pieux. Ils ne sont même pas musulmans, dans le sens où ils ne connaissent même pas les règles élémentaires musulmanes. Par leur comportement, il y a même un véritable déni de ce qu’est le véritable islam. Je pense que les gens réellement habités par l’idéologie djihadiste sont finalement assez peu nombreux.

Au sein de l’opération Barkhane, le personnel féminin joue un rôle important.

Dans les guerres non conventionnelles, il y a toujours un mélange d’idéologie, d’enrichissement ou de conquête de territoire. En tout cas, il n’y a jamais une cause unique. Les terroristes qui vont vers le golfe de Guinée vont vers des endroits avec plus de richesses. Un trafiquant a intérêt au chaos, tout comme un terroriste. Il y a donc là de vrais intérêts convergents.

En revanche, l’idéologie djihadiste a été exprimée, définie, et donc c’est bien ces gens-là qui sont nos ennemis. Et pas les trafiquants. Moi je suis militaire et je me bats contre un ennemi nommé et identifié. Lorsqu’on agit ou lorsqu’on ouvre le feu, ce n’est jamais contre quelque chose de flou, c’est toujours très précis et vérifié.

Quelle est votre analyse sur la montée de Wagner dans les pays africains ?

Je pense qu’il y a un ressentiment profond des populations, que je comprends parfaitement, une exaspération qu’il y ait toujours du terrorisme au bout de huit ans. Et donc, ils cherchent un recours ailleurs. Sauf que là, le remède est pire que le mal.

Dans la partie du Mali que je ne connais pas, à savoir le Centre et le Sud, qui nous est par ailleurs interdite de survol, j’assiste comme tout le monde à une offensive des FAMa avec l’aide des mercenaires russes. J’observe comme tout le monde qu’il y a des choses qui se passent bien pour les populations, et d’autres qui se passent clairement un peu moins bien.

Au sein de l’opération Barkhane, les outils sont multiples pour glaner le maximum de renseignements et mener des opérations contre les terroristes islamistes.

© État-major des armées

De toute façon, les mercenaires de Wagner transgressent toutes les règles imaginables, allant jusqu’à modifier le droit des pays comme on l’a vu en RCA à propos du droit minier. Au Mali, ils sont probablement en train de faire la même chose. C’est quelque chose qui va être globalement néfaste pour les pays qui les accueillent. Car on le sait, ils prennent et ils jettent.

L’influence russe étant devenue incontestable sur le continent, l’invasion ukrainienne va en plus faire augmenter le prix des denrées alimentaires et de l’énergie. La crise alimentaire déjà naissante va donc sans doute s’amplifier.

Très présents en RCA et Libye, pourraient-ils s’intéresser aussi au Tchad ?

Oui, bien sûr, et sans doute pour deux raisons. Le Tchad est un pôle de stabilité, ils vont donc essayer d’y semer le chaos. Ensuite, dans la guerre d’influence contre la France, perturber un allié, ça les intéresse aussi. On voit d’ailleurs déjà quelques manifestations anti-françaises à N’Djaména. Mais nous avons aussi les preuves des montants donnés par Wagner aux gens : 2 000 francs CFA pour aller manifester l’après-midi, 10 000 pour brûler un drapeau français… C’est une méthode qui a fait ses preuves ailleurs.

Malgré l’influence des réseaux sociaux, j’ose espérer que la réalité va finir par s’imposer quand même. Je suis assez confiant sur le long terme, sur le fait que les gens comprennent que l’Europe et la France investissent des milliards de francs CFA pour les pays du Sahel sans avoir d’autres intérêts que celui de la stabilité. Dans 5, 10, ou 20 ans, on se rendra compte qu’il y a ceux qui aident vraiment, qui payent le prix du sang pour des intérêts communs.

* Propos recueillis le 10 mars 2022 au Camp Kosseï à N’Djaména.

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