
Aurélien Llorca
Africa-Press – Burkina Faso. La ministre des affaires étrangères, Catherine Colonna, l’a affirmé au Monde : la Françafrique n’existe plus, elle serait même « morte depuis longtemps ». Pourtant, l’opinion publique et les représentants de l’élite politico-économique d’une grande partie du continent africain contestent, ou du moins nuancent, cette affirmation. Certes, une partie de cette opinion est influencée par les réseaux sociaux, sur lesquels une forme de populisme antifrançais prospère, et pas seulement à l’initiative de puissances étrangères puisque cette image négative de la présence française en Afrique préexistait à son instrumentalisation récente, y compris en Afrique anglophone ou lusophone.
Néanmoins, les esprits éclairés du continent, conscients des enjeux de ce monde et peu sensibles à la propagande, ne sont pas dupes de la nécessité de la France de défendre ses intérêts nationaux, comme tout Etat disposant d’une stature globale et d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, dans un contexte de remise en cause de son influence et de celle de l’Occident.
Car la politique étrangère de la France conserve les mêmes objectifs de « puissance d’influence mondiale » qui avaient conduit à la conception de la Françafrique du général de Gaulle, dont l’un des piliers était justement de contenir l’influence de Moscou qui, à l’époque, menait déjà la fronde contre l’Occident. Ce qui a changé, c’est que la France et les démocraties occidentales ont désormais des scrupules à mettre en œuvre certains moyens traditionnels d’exercice de la puissance et de la contre-influence, des méthodes que le bloc qui s’est (re) constitué en opposition à l’Occident ne se refuse pas d’employer : « fake news », soutien aux coups d’Etat, envoi de mercenaires, prédation économique, etc.
« Ni paternalisme, ni faiblesse »
Le changement résulte ainsi plus dans l’évolution des moyens « tolérés » que dans les objectifs. Il faudrait ainsi maintenir la France en Afrique, sans accoler les deux termes, et en se privant de certaines prérogatives de puissance. Cette ligne d’équilibre a d’ailleurs été définie par le président de la République, Emmanuel Macron, lors de son discours aux ambassadeurs à la rentrée 2023, par un « ni-ni » combinant « ni paternalisme, ni la faiblesse, parce que sinon on n’est plus nulle part ».
La diplomatie française se retrouve donc à devoir regagner sa place sur le continent, du moins à la conserver, pour continuer d’« exister » en tant qu’acteur global, tout en se refusant, à raison, d’employer les méthodes d’antan : la force militaire, l’action clandestine, les réseaux parallèles, la puissance économique parapublique, qui ont constitué le socle du modèle postcolonial.
Comment dès lors sortir du malentendu ? Il faudrait tout d’abord abandonner cette diplomatie directive, appuyée par une communication institutionnelle dépassée, qui a souvent eu le don d’agacer ses interlocuteurs sur le continent par son relent paternaliste.
Ensuite, acter la mort de la Françafrique impose également de mettre en sommeil l’outil militaire, trop souvent brandi, à tort ou à raison, exposé et médiatisé à outrance. La France et son armée sont ainsi apparues responsables, au sein des opinions sahéliennes, de la dégradation rapide d’une situation sécuritaire face à laquelle l’opération « Barkhane » n’était pourtant pas dimensionnée, illustrant à nouveau l’obsolescence de ces moyens traditionnels d’exercice de la puissance, et la nécessité pour la France de changer de stratégie pour la défense de ses intérêts en Afrique.
Redorer son image Ce « désengagement constructif », tant politique que militaire, permettrait ainsi à la France de sortir de l’ornière. En réinvestissant l’ensemble de son réseau diplomatique et ses moyens humains, techniques et financiers dans le soft power, la France pourrait bâtir avec les pays du continent africain, dans un contexte de changement climatique, un nouveau partenariat économique, scientifique et financier, sur le long terme, avec humilité et empathie, à l’écoute des besoins des entrepreneurs, du monde rural et de la société civile.
La France pourrait dès lors devenir un partenaire fiable et discret du changement, en partageant intelligemment sa maîtrise des technologies de demain, son savoir-faire dans l’agriculture, les infrastructures et les industries d’aujourd’hui, avec le soutien de sa puissance financière. C’est ainsi que la France pourrait redorer son image, et mieux défendre ses intérêts, en apportant par ses actes, la qualité et la sincérité de son engagement, une contribution positive à l’avenir du continent africain et de sa jeunesse.
A rebours de ces attentes, la nouvelle stratégie française en Afrique semble prendre forme ces dernières semaines à travers l’emploi de nouvelles « armes » avec des mesures de rétorsion contre les artistes du Mali, du Burkina et du Niger et la suspension des visas, délivrés notamment aux étudiants de ces mêmes pays. Pas sûr que cela contribue à dissiper le malentendu sur la mort de la Françafrique auprès des futures élites et décideurs du continent africain. Bien au contraire, il se pourrait que cela renforce l’idée qu’il ne s’agit que de sa nouvelle itération.
Source: Le Monde
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