retour controversé de Blaise Compaoré au pays

retour controversé de Blaise Compaoré au pays
retour controversé de Blaise Compaoré au pays

Africa-Press – Burkina Faso. Voilà un moment qui ne manquera pas de compter dans l’histoire politique du Burkina. Après huit ans d’exil en Côte d’Ivoire, l’ex-président Blaise Compaoré est revenu dans son pays. Il en avait été chassé par la rue qui avait ainsi marqué son mécontentement alors qu’il tentait une modification de la Constitution pour conserver le pouvoir qu’il détenait déjà depuis 27 ans, et ce, sans partage. La circonstance qui vaut ce retour est du fait des nouvelles autorités en place à Ouagadougou. Celles-ci se sont engagées sur une voie de « réconciliation nationale » d’autant plus urgente que les violences causées par les groupes armés terroristes ont déjà fait plus de 2 000 morts, près de deux millions de déplacés internes, et mis environ 40 % du territoire hors du contrôle des forces gouvernementales.

L’ex-président Blaise Compaoré et son épouse peu après leur retour à Ouagadougou le 7 juillet 2022.

© DR

Pour ce faire, les autorités se sont fendues mercredi d’un communiqué dont voici la teneur : « Le président du Faso, le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba rencontre, le vendredi 8 juillet 2022 à Ouagadougou leurs excellences les anciens chefs d’État du Burkina. Sont invités à cette rencontre de haut niveau autour des questions liées à l’intérêt supérieur de la nation leurs excellences Roch Marc Christian Kaboré, Michel Kafando, Yacouba Isaac Zida, Blaise Compaoré et Jean-Baptiste Ouédraogo. »

Un retour attendu et fêté par ses partisans

Jeudi, les saints Thomas n’avaient plus de quoi douter à l’annonce du retour effectif de Blaise Compaoré vers 14 heures, heure locale. Blaise Compaoré est rentré à bord d’un vol spécial pour ensuite être conduit dans une résidence à quelques jets de pierres de là, dans la discrétion la plus absolue. À l’aéroport de Ouagadougou, des dizaines de partisans ont fait le déplacement pour accueillir celui dont le retour au bercail a longtemps été souhaité, sans grand succès, par des organisations de la société civile.

Malgré l’interdiction de tout rassemblement aux alentours de l’aéroport par les forces de l’ordre, ces inconditionnels de l’ancien chef de l’État ont tenu à manifester leur joie de voir « enfin » se concrétiser ce qu’ils appelaient de tous leurs vœux. « Le retour de Blaise Compaoré marque beaucoup l’histoire de notre pays. Qu’on dise de lui du bien ou du mal, c’est avant tout un fils du Burkina Faso. J’en suis fier, c’est comme si je venais de renaître », se réjouit Thibault Nana au milieu d’un groupuscule en liesse.

Les partisans et autres inconditionnels de Blaise Compaoré ont manifesté leur joie à la suite du retour de leur champion à Ouagadougou le 7 juillet 2022.

© Bernard Kaboré

Pour les militants et sympathisants du CDP, le parti de Blaise Compaoré, le retour de ce dernier ne peut être passé sous silence. Dans une déclaration faite la veille, le CDP a salué l’initiative des autorités de la Transition : « Notre parti soutient la nature, la philosophie et les objectifs poursuivis par le président du Faso. Nous l’invitons solennellement à poursuivre dans cette dynamique en facilitant le retour des exilés politiques et la libération des prisonniers de faits en politique », lit-on dans le communiqué signé du président du parti, Eddie Komboïgo.

Un débat est engagé au sein de l’opinion

Dans les rues de Ouagadougou, c’est moins l’entrevue entre le chef de l’État et ses prédécesseurs qui donne matière à débat. C’est plutôt l’arrivée même de celui qui a été jugé par contumace et condamné à la perpétuité par la justice de son pays pour l’assassinat de son prédécesseur, Thomas Sankara et douze autres personnes le 15 octobre 1987 qui est au cœur des échanges.

Pour une bonne partie de l’opinion, le principe qui devrait guider le retour des exilés politiques d’une manière générale et de Blaise Compaoré en particulier est simple : « Pas de réconciliation sans justice. » Dans son communiqué, la présidence de la République avait d’ailleurs pris le soin de préciser que « cette rencontre importante pour la vie de la Nation n’entrave pas les poursuites judiciaires engagées contre certains ». C’est le souhait de Bazoin Badolo, étudiant en droit. « Nul n’est au-dessus de la loi, et il faudrait que la loi soit appliquée dans toute sa rigueur. Blaise Compaoré doit répondre à la justice burkinabè dans la mesure où il n’y a pas eu de grâce présidentielle en sa faveur. si l’on passe à la réconciliation sans que les auteurs de certaines injustices ne passent pas devant la justice, ce sera difficile d’apaiser la colère d’une partie des Burkinabè. Or ce sont ces colères qui génèrent les tensions et les fractures sociales », indique l’étudiant en master.

Dans un communiqué, les avocats des ayants droit de Thomas Sankara n’y sont pas allés de main morte pour appeler les autorités judiciaires à « prendre leurs responsabilités », rappelant notamment la décision rendue le 6 avril 2022 par la chambre de jugement du tribunal militaire de Ouagadougou qui a reconnu Blaise Compaoré coupable des faits de complicité d’assassinat. Le collectif d’avocats, rappelant par ailleurs qu’un mandat d’arrêt international contre Blaise Compaoré est encore d’actualité, a interpellé « avec insistance les autorités judiciaires à prendre toutes leurs responsabilités, notamment faire arrêter et déférer monsieur Blaise Compaoré devant la justice du Burkina Faso afin que force reste à la loi ».

Président de la Coordination nationale pour une transition réussie (CNTR), Pascal Zaïda estime que ce retour de l’ « enfant terrible de Ziniaré » est « précipité et inopportun », constatant qu’il n’y a pas eu d’assises nationales ou un collège de sages qui a statué sur le retour des exilés politiques. « Blaise Compaoré a été condamné à vie. Le faire venir sans qu’il passe par la justice, c’est défier la justice burkinabè », s’indigne Pascal Zaïda.

Président de la Coordination nationale pour une transition réussie (CNTR), Pascal Zaïda estime que ce retour de l’ « enfant terrible de Ziniaré » est « précipité et inopportun »

© Bernard Kaboré

Pour ce leader de la société civile, « il faut activer des mécanismes juridiques pour arriver à quelque chose d’objectif, étant donné que Blaise Compaoré a été condamné, qu’il a le statut d’ancien chef d’État et que dans la Constitution l’amnistie a été levée ».

« Les criminels doivent être réconciliés avec les tribunaux »

Alors qu’il y a 8 ans il avait été le fer de lance de la contestation contre le pouvoir de Blaise Compaoré, le Balai citoyen, organisation de la société civile, s’aligne derrière le CNTR. « Nous ne cessons de le rappeler depuis des années : vouloir sacrifier la justice sur l’autel des arrangements polico-diplomatiques et d’une prétendue réconciliation nationale est un leurre, une comédie institutionnelle qui fait le lit du terrorisme », a-t-il indiqué dans un communiqué. « L’impunité nourrit le terrorisme. Ce pays a des valeurs bâties sur un socle de dignité, d’intégrité, de don de soi et de justice sociale. Toute personne qui s’associe à cette forfaiture souillera son honneur et portera l’entière responsabilité du délitement de notre société. Les criminels doivent être réconciliés avec les tribunaux, seule condition pour un État de droit et un vivre ensemble harmonieux », a ajouté le Balai citoyen.

Dans une déclaration, l’UNIR-MPS, parti de l’ex-majorité présidentielle, a enfoncé le clou. « Le pari de l’unité est un préalable indispensable et incontournable pour gagner la guerre loin de tous calculs ou de toutes spéculations machiavéliques à caractère de récupération politicienne qui fragilise davantage notre cohésion et notre unité nationale. Tout en adhérant pleinement au processus de la réconciliation, l’UNIR-MPS refuse tout bâillonnement de la démocratie et toute culture de l’impunité », a réagi le parti sankariste. Et d’inviter les magistrats à « exercer pleinement leur indépendance si chèrement acquise du fait du peuple burkinabè en procédant purement et simplement à son arrestation à sa descente de l’avion, car aucune réconciliation ne saurait enjamber la vérité et la justice ».

La justice peut attendre…

Pour bien des Burkinabè, la justice peut pourtant attendre, au nom de la réconciliation nationale et de « l’unité autour de l’essentiel » à savoir la lutte contre le terrorisme. Harouna Kafando, vendeur d’accessoires de téléphones, n’attend rien de plus que « le retour de la paix », peu importent les questions liées à la justice. « Face à l’urgence sécuritaire et le besoin pressant d’une réconciliation entre les Burkinabè, justice peut attendre », soutient le commerçant. C’est aussi l’avis de Mohamine Ouédraogo, lui aussi commerçant : « Je suis content que l’ancien chef de l’État revienne dans son pays. Il pourrait être d’un grand apport d’idées dans la recherche de solutions aux problèmes actuels du pays », dit-il convaincu que le phénomène terroriste est lié à une absence de cohésion sociale, elle-même causée par les crises politiques.

« Face à l’urgence sécuritaire et le besoin pressant d’une réconciliation entre les Burkinabè, justice peut attendre », soutient Harouna Kafando, commerçant.

© Bernard Kaboré

Un retour qui pourrait aider à décrisper l’atmosphère politico-sécuritaire ? Le journaliste éditorialiste Issiaka Lingani y croit : « Ce que j’entends dans la rue, du commun des Burkinabè, c’est que ce que pays a besoin de paix interne, comme si tout le mal résidait en son âme. Ce pays a besoin que ses fils se retrouvent. Ce besoin est réel. Maintenant, il y a des clivages politiques qui font que c’est plus ressenti selon les opinions. Du côté des sankaristes, il est sûr qu’on souhaite voir en prison Blaise Compaoré. Or au CDP, on ne jure que par Blaise Compaoré. Au-delà de ces aspects politiques, il y a que dans tous les pays du monde, les citoyens ont besoin de se retrouver dans les moments de crise autour d’un minimum de consensus pour lequel chacun se bat. Il vous souviendra qu’au début de la crise sécuritaire, Roch Kaboré a accusé Blaise Compaoré d’être derrière les attaques. Cette accusation a été grave d’autant qu’elle a pesé sur les moyens et le sérieux mis pour traiter le problème », analyse le directeur de publication de L’Opinion.

… au nom de la réconciliation

Passer outre la justice en faveur de Blaise Compaoré et d’autres exilés politiques, des analystes et observateurs et surtout des partisans de l’ex-président y voient une nécessité sans laquelle la réconciliation ne sera pas une réalité. Et ce ne sont pas les exemples qui manquent. « Au Nigeria, la guerre du Biafra a fait deux millions de morts. À l’époque, les Nigérians ont accepté de mettre fin à la guerre sans un seul procès. Le sécessionniste Odumegwu Emeka Ojukwu avait même participé aux élections présidentielles suivantes. En Algérie, il y a eu autant de victimes de violences politiques, mais il n’y a pas eu de procès au nom de la loi sur la Concorde nationale sous Bouteflika », explique Issiaka Lingani.

Thibault Nana a la même perception du sort à réserver à l’ex-président de retour dans son pays, s’appuyant lui aussi sur l’exemple d’autres pays.

“Blaise Compaoré pourrait bénéficier d’une grâce présidentielle au nom de la réconciliation », soutient Thibault Nana.

© Bernard Kaboré

« La justice n’a pas commencé avec Blaise Compaoré. Combien de peuples ont fait arrêter leurs présidents pour mal gouvernance, combien les ont jugés puis graciés et ont fini par s’entendre pour développer leurs pays ? Les exemples sont nombreux. En Côte d’Ivoire à côté, les violences politiques ont fait plus de 3 000 morts. Laurent Gbagbo, traduit devant la Cour pénale internationale et acquitté, est revenu dans son pays. Il s’est réconcilié avec son challenger Alassane Ouattara. Blaise a certes été condamné mais il pourrait bénéficier d’une grâce présidentielle au nom de la réconciliation », soutient Thibault Nana.

Autant de points de vue contradictoires montrent combien le sujet est fort de symbole pour tous les Burkinabè. Au moment où l’heure s’avère très grave pour le pays, trouver le chemin du consensus ne peut qu’être ardu. De quoi nécessiter un vrai dépassement. Le Burkina actuel le pourra-t-il ? L’avenir le dira.

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