Africa-Press – Burkina Faso. Harouna Dicko est un averti et un observateur de la vie nationale, peu connu du grand public, mais certainement plus par les institutions, au regard du travail méticuleux qu’il fournit depuis bientôt deux décennies: celui d’interpeller face aux manquements des lois. Une revue de presse renseigne qu’il a été véritablement révélé à la scène politique en 2006, lorsque, seul contre tous, il a réussi à faire reporter les élections municipales, en opposant au pouvoir d’alors, le non-respect du code électoral, notamment en ce qui concerne le renouvellement des démembrements de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Depuis lors, Harouna Dicko, celui-là même qui s’est (à titre pédagogique) porté candidat à la présidentielle 2005 (il était le président du Rassemblement politique nouveau) et qui a dû abdiquer par faute de moyens pour payer la caution de cinq millions de francs CFA, n’a de cesse d’interpeller les pouvoirs sur les manquements vis-à-vis des lois, quand bien il n’a parfois pas gain de cause.
Le pouvoir du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) n’échappe pas à son combat, seul ou avec d’autres citoyens burkinabè. Par cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, Harouna Dicko, discret mais affable, revient sur le dernier mémorandum qu’il a coproduit (le 28 août 2024) avec le citoyen Abdoul Aziz Congo, sur le projet de loi portant révision de la Constitution que le gouvernement avait acheminé à l’Assemblée législative de Transition pour adoption avant de le retirer de cette plénière du 2 septembre qui devait s’y pencher. Dans ce mémorandum, Harouna Dicko et Abdoul Aziz Congo exhortent leurs compatriotes burkinabè à l’union des forces, et le chef de l’État à réunir les filles et les fils du pays autour d’une table. Lecture !
: Lundi, 2 septembre, alors qu’on s’attendait à l’adoption par l’Assemblée législative de transition du projet de loi portant révision de la Constitution, on a appris avec surprise qu’il a plutôt été retiré par l’initiateur, c’est-à-dire l’exécutif, et sans que les motifs soient dévoilés. Cette actualité renvoie tout de suite, pour ceux qui suivent l’actualité, à ce mémorandum que vous avez co-signé le mercredi, 28 août 2024, et par lequel vous avez démontré que le texte ne peut pas être adopté dans le contexte actuel du pays. Pouvez-vous revenir plus dans les détails sur ce mémo, qui ont été les destinataires du document et comment avez-vous accueilli le retrait ?
Harouna Dicko: Nous vous remercions de l’occasion que vous nous donnez en tant que signataires du mémorandum. Alors, permettez-nous de répondre ensemble, monsieur Abdoul Aziz Congo et moi-même.
Abdoul Aziz Congo: Pour commencer, nous avons bien accueilli le retrait du projet de loi, puisque c’était l’objet de notre mémorandum. Nous remercions le gouvernement pour ce retrait. En fait, le projet de loi retiré portait révision de la Constitution. Pourtant, la Constitution dispose très clairement, en son article 165, qu’aucune procédure de révision de la Constitution ne peut être engagée ni poursuivie, lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire.
Or, aux dires du ministre d’État, ministre de la Défense et des Anciens combattants, lors de son évaluation annuelle par le Premier ministre, le 7 août 2024, il reste actuellement 31% du territoire à reconquérir pour pouvoir recouvrer l’intégrité du territoire. C’est pourquoi, lorsque le 21 août 2024, le gouvernement a adopté ce projet de révision de la Constitution dans le contexte où il est porté atteinte à l’intégrité du territoire, nous avons saisi le Conseil constitutionnel de notre point de vue citoyen, à travers le mémorandum que nous avions publié la veille. Le 2 septembre, le gouvernement a retiré le projet du vote, et nous, nous osons croire qu’il (gouvernement) est maintenant dans la logique du respect de la Constitution ; ce que nous avons toujours souhaité. Par conséquent, nous ne pouvons que féliciter le gouvernement pour cette décision.
Dans le même mémorandum, vous avez appelé également à une sorte de consultation du peuple sur le pouvoir de la transition. Quel est l’objectif recherché à travers cette démarche que vous suggérez ?
Harouna Dicko: Aujourd’hui, le mot peuple est galvaudé. C’est au moment où les terroristes portent atteinte à l’intégrité de notre territoire et à notre souveraineté nationale à hauteur de 31% que, sous les yeux tolérants des autorités, des citoyens burkinabè s’autoproclament peuple, en ostracisant d’autres Burkinabè qui sont de loin plus méritants qu’eux du titre de citoyen. Nous pensons que, pour que le pays retrouve la force nécessaire de recouvrer son intégrité territoriale et sa souveraineté nationale, il appartient au chef d’Etat d’œuvrer à la cohésion sociale, qui est une mission à lui assigner par la Charte modifiée du 25 mai 2024.. Pour cela, il faut qu’il entende réellement la voix du peuple et non uniquement la voix de ses thuriféraires.
Le retrait est acté ; que doit-on faire maintenant ?
Abdoul Aziz Congo: Lors du retrait du projet de loi, le lundi 2 septembre, le gouvernement a, par la voix du ministre Amadou Dicko (ministre délégué auprès du ministre de l’Agriculture, des Ressources animales et halieutiques, chargé des Ressources animales, ndlr), promis de plus amples informations par la suite ; attendons la suite !
Vous, Harouna Dicko, avez été révélé au public, notamment aux avertis des questions de droit et des institutions, il y a plus d’une décennie maintenant, lorsque vous avez réussi à, seul contre tous, faire reporter des élections, amener des gouvernements à revoir des actes,… et depuis lors, vous êtes dans cette dynamique d’interpellation vis-à-vis des textes en vigueur. Quelle est la portée d’un tel combat pour le pays, les populations burkinabè, et les difficultés dans un contexte national où ces questions ne sont pas comprises par la masse ?
Harouna Dicko: Mais c’est une réalité que les populations appréhendent mal les questions politiques par le fait de l’échec des partis politiques dans leurs missions constitutionnelles d’animation de la vie politique, de l’information saine et l’éducation adéquate du peuple pour l’expression démocratique du suffrage. Ces missions sont aussi dévolues individuellement à tous les citoyens depuis 2015 par la Constitution. Aujourd’hui, à deux, nous continuons à interpeller, et le gouvernement et les citoyens, au respect des textes en vigueur, notamment la Constitution qui a pour objet la liberté, et que le chef de l’État doit préserver, respecter, faire respecter et défendre. C’est la Constitution qui balise le vivre-ensemble dans un pays, en définissant des droits et des devoirs que les citoyens doivent respecter. Même dans la jungle où il n’y a pas de Constitution écrite, les animaux obéissent à des lois qui leurs sont propres.
: Avant ce mémo sus-évoqué, vous avez signé bien d’autres notes d’interpellation, dont celle-là qui a prouvé, alors que l’acte était projeté, que le président Ibrahim Traoré ne pouvait pas être investi par le Conseil constitutionnel. Dans cette ambiance de transition politique, n’est-ce pas une mission risquée que vous vous êtes assigné ?
Harouna Dicko: Nuit et jour, les voitures et les motos circulent, pourtant il y a des risques d’accidents. Lorsqu’on a le permis de conduire et qu’on respecte le code de la route, il y a moins de risques. La Constitution donne des droits politiques à tout Burkinabè, mais elle dit qu’il faut en jouir dans le respect des lois, c’est ce que nous faisons. Dans nos interpellations, nous ne sortons pas du cadre légal. Concernant l’investiture du chef de l’État comme président du Faso, nous constatons qu’elle n’a pas eu lieu comme nous l’avions souhaité dans notre pétition en juin (juin 2024, suite aux assises nationales, ndlr), mais le Premier ministre n’a pas encore rapporté sa note circulaire du 7 juin 2024, qui impose cette appellation constitutionnelle.
Abdoul Aziz Congo: Le risque est partout, et dans tout. Les victimes du terrorisme ont-elles bravé des risques ? Comme les Mossis disent, « Sans la permission de Dieu, nul ne peut ôter la vie ».
De leader politique, vous, Harouna Dicko, avez décroché de ce paysage partisan, pour faire cavalier seul sur ce terrain de la légalité. Pourquoi avez-vous refusé, et refusez-vous toujours, de faire alliance avec les hommes politiques dans votre combat (surtout que vous partagez parfois le même idéal) ?
Harouna Dicko: Nous avons toujours voulu le rassemblement des citoyens sur les bases de la vérité, de l’intégrité et de la légalité. Aujourd’hui, nous constituons un groupe de citoyens. Vous nous voyez bien ensemble, monsieur Congo et moi-même, parce que nous partageons le même idéal politique sur ces bases.
: Finalement, faut-il comprendre que vous êtes de ceux-là qui estiment que l’une des principales sources des difficultés du Burkina réside dans le non-respect des textes qu’il s’est lui-même donné, librement ?
Harouna Dicko: En effet, nous sommes d’accord avec ce diagnostic. Mais, que faut-il faire pour remédier aux difficultés du pays ? Si tous les usagers respectent le code de la route, il y aura certainement moins d’accidents. Aussi, si tous les citoyens, en commençant par les autorités, respectent principalement la Constitution, le pays sera sur la voie du développement, à très court terme. Un pays ne peut pas se développer dans l’incivisme et la division.
Ne rencontrez-vous pas des difficultés qui vous amènent parfois à vous interroger sur la nécessité de poursuivre un tel combat au nom de l’intérêt général ?
Harouna Dicko: Nous avons quand même souvent de la satisfaction morale, sans trop de peine. Par exemple, récemment avec le respect de la Constitution par les autorités, pour l’investiture à la présidence du Faso en juillet et pour la révision de la Constitution le 2 septembre. Cela nous encourage à poursuivre.
Comment analysez-vous la posture des hommes politiques et leaders d’opinion de façon générale (car, il y a quelques-uns qui sortent du lot), d’observer le silence dans le contexte actuel du pays ?
Abdoul Aziz Congo: Il appartient aux populations de les juger.
Êtes-vous parfois consultés par les autorités du moment et/ou responsables d’institutions, sur ces questions de fond que vous soulevez à travers vos mémorandums et pétitions ?
Harouna Dicko: Nous n’avons pas encore été consultés par les autorités actuelles, mais nous constatons qu’elles réagissent souvent positivement par rapport à des questions de fond sur lesquelles nous ne manquons pas d’occasion pour opiner de façon légale, tout en leur faisant des suggestions. Par exemple, à propos de l’appellation du chef de l’État par le titre constitutionnel de président du Faso, le 5 juillet 2024, nous avons adressé une lettre ouverte au Premier ministre qui nous a répondu ; ce qui est déjà un acte bienséant. Dans sa correspondance, il a évoqué la perspective d’interaction positive avec nous, et en retour, nous lui avons assuré de notre disponibilité de patriotes qui ont toujours agi dans le respect des principes de l’État de droit et de la démocratie. Aujourd’hui, avec la renonciation à l’investiture du chef de l’État comme président du Faso, et avec le retrait du projet de loi portant révision de la Constitution, nous osons penser que les autorités sont maintenant, peut-être, dans la dynamique du respect des principes du droit.
À vous le message de fin !
Harouna Dicko: Il n’est pas facile de prendre quelqu’un qui vous dit de le prendre, mais sans le toucher. Nous appelons tous nos compatriotes, les autorités en particulier, à l’union de nos forces afin que le Burkina Faso recouvre son intégrité territoriale par la cohésion sociale et l’unité nationale renforcées. Pour cela, il faut une vraie rencontre au niveau national ; qu’elle soit dénommée ‘‘assises nationales’’, ‘‘forum national’’, ‘‘conférence nationale’’ ou ‘‘dialogue national’’, pourvu qu’elle permette à tous les segments de la vie nationale de se parler franchement pour enfin baliser notre vivre-ensemble. En vue de cette rencontre, nous avons déjà transmis une proposition écrite au chef de l’Etat et à toutes les personnalités morales, que sont les cinq anciens chefs d’Etat, les trois présidents des faîtières religieuses et le président du Conseil supérieur de la chefferie coutumière et traditionnelle.
Abdoul Aziz Congo: Notre pays a véritablement besoin d’une réconciliation nationale. Nous interpellons le chef de l’État à réunir les filles et les fils du pays autour d’une table. Enfin, nous interpellons les personnalités coutumières et religieuses, à faire respecter les engagements et les accords qui sont passés par elles.
Interview réalisée en ligne par Oumar L. Ouédraogo
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