Maÿlis Dudouet
Africa-Press – Burkina Faso. Les jeux vidéo se sont fait une place centrale dans le quotidien des Africains. Et en particulier dans leurs smartphones. Un gameur sur dix, dans le monde, est africain. Un ratio qui est appelé à croître de manière exponentielle dans les années à venir. Avec une croissance de 12 % entre 2023 et 2024, le marché africain du jeu vidéo enregistre déjà une progression six fois plus importante que celle observée à l’échelle mondiale (+2 % seulement). Un levier de croissance à très haut potentiel pour le continent: le chiffre d’affaires total généré par les industries créatives vidéoludiques en Afrique y est passé de 1,6 à 1,8 milliard de dollars en un an. Seule ombre – massive – au tableau: si le secteur des créateurs de jeux se développe, les acteurs du continent ne captent encore qu’une très faible partie de cette manne.
Premier constat: le marché vidéoludique africain suit, peu ou prou, la même courbe – exponentielle – que celle de la pénétration des portables. Les « afrogameurs » sont en effet avant tout très actifs sur leurs mobiles (près de 90 % des jeux pratiqués sur le continent le sont sur smartphone). Or, selon les chiffres du Global System for Mobile Communication (GSMA), le nombre d’utilisateurs de mobile est passé de 489 à 527 millions entre 2023 et 2024.
Le poids des smartphones
« L’Afrique est tournée avant tout vers le mobile. Les gens jouent de plus en plus souvent sur leur smartphone dans les bouchons, le bus et les lieux publics », souligne Michael Oscar, cofondateur de la plateforme nigériane Africacomicade. « Et c’est un phénomène qui va s’inscrire dans la durée: les Africains ne vont pas, du jour au lendemain, lâcher leurs portables pour se tourner massivement vers les consoles de salon. »
Le développement des infrastructures, particulièrement lent dans certaines régions, joue cependant un rôle clé dans le développement de ce marché. La GSMA – qui évalue le taux d’accès à l’internet mobile en Afrique a à peine 30 % – estime ainsi qu’il faudra attendre 2030 pour que l’usage de la 4G dépasse celui de la 3G sur le continent.
Autre phénomène de fond, que confirme une étude menée conjointement par Carry1st, éditeur sud-africain de jeux vidéos, en collaboration avec la société néerlandaise Newzoo: il n’y a pas de corrélation exacte entre l’augmentation du nombre de joueurs et la croissance du marché en valeur. Comme le montre le graphique ci-dessous, entre 2023 et 2024, alors que le nombre de gameurs africains n’a augmenté « que » de 10 % – passant de 342 à 349 millions –, le volume du marché a pour sa part progressé de 12,5 % (de 1,6 à 1,8 milliard de dollars).
Ce poids du mobile dans le marché africain se reflète dans une récente étude publiée par Maliyo Games, un studio nigérian, qui souligne notamment que les smartphones « représentent 90 % du marché en raison de l’accessibilité des prix abordables » des appareils et des données. Autre confirmation que vient documenter ce rapport, le poids massif que pèsent, sur le marché continental, cinq pays: l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria, l’Algérie et, dans une moindre mesure, la Tunisie. L’Afrique du Sud, en première place de ce podium, affichait ainsi des revenus totaux de l’ordre de près de 112 millions de dollars en 2024, après un pic à 116 millions de dollars en 2023. « Malgré cette baisse, l’Afrique du Sud reste le marché le plus lucratif de la région », notent les auteurs du rapport.
Une tendance qui se confirme encore en resserrant la focale sur les jeux les plus plébiscités par les gameurs, des casse-tête de bonbons acidulés de Candy Crush aux batailles royales multijoueurs de Pubg Mobile, en passant par le jeu de création Roblox. C’est ce qu’on fait les auteurs du rapport « L’État de l’industrie des jeux en Afrique en 2024 », qui ont analysé les revenus générés par les dix jeux les plus téléchargés dans les quatre principaux marchés du continent.
Mais qu’en est-il des jeux « made in Africa » ? Ils sont encore loin de concurrencer les jeux asiatiques ou occidentaux, mais commencent à se faire une place de plus en plus respectable. Bien qu’inondée de licences étrangères, l’Afrique de l’Ouest héberge ainsi un vivier prometteur de développeurs, comme en témoigne le recensement des studios établi par Maliyo Games. Un rôle moteur qui doit beaucoup à l’effervescence du secteur au Nigeria, qui accueille, en Afrique, le plus grand nombre de studios, suivi de près par l’Afrique du Sud.
Encore minoritaires sur la scène des jeux vidéos en Afrique, les fabricants de consoles ont pourtant consenti des investissements massifs pour tenter de conquérir ce marché, qui compte pas moins de 1,5 milliard de joueurs potentiels. Mais, outre les questions de coût et d’infrastructures – sur un jeu sur console, un délestage a un effet autrement plus frustrant que sur un jeu mobile… –, il y a également un aspect culturel. « Les consoles sont encore associées à une élite, qui a des moyens plus importants que le reste de la population. Les jeux mobiles resteront particulièrement populaires dans les années à venir, car ils sont plus abordables », insiste Michael Oscar.
Un constat qu’espèrent faire mentir les géants du secteur. À l’instar de Sony et de son emblématique Playstation. En 2023, le mastodonte japonais a lancé le Sony Innovation Fund, un fonds d’investissements de 10 millions de dollars destiné à financer des start-up en phase de démarrage dans le secteur des jeux vidéos, mais aussi de la musique, du cinéma et de la distribution de contenus sur le continent. La même année, le groupe tokyoïte a ouvert un incubateur dédié: le Middle East North Africa Hero Project (MENA Hero Project), qui a pour vocation de former et recruter les développeurs maghrébins de demain.
De nombreuses initiatives publiques voient également le jour, à l’instar, notamment, des réflexions en cours au Maroc, qui entend créer une « cité du jeu vidéo » à Rabat, pour un budget évalué à 260 millions de dirhams (environ 24 millions d’euros). Une chose est sûre: si le continent doit encore passer de très nombreux niveaux, le secteur ne cesse d’engranger les records et est encore loin du « game over ».
Source: JeuneAfrique
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