Afrique numérique : comment relever le défi de la formation des jeunes

Afrique numérique : comment relever le défi de la formation des jeunes
Afrique numérique : comment relever le défi de la formation des jeunes

Africa-Press – Burkina Faso. Pas moins de huit ministres africains en charge du numérique et près de 700 personnes ont fait le déplacement d’Antananarivo pour assister aux 12es Assises de la transformation digitale en Afrique (ATDA), pour lesquelles Madagascar a littéralement déroulé le tapis rouge. Et c’est d’ailleurs le président malgache Andry Rajoelina en personne qui est venu ouvrir les débats avant de prendre le temps de visiter le village du numérique. Il faut dire qu’avec l’élection présidentielle qui se profile, en novembre prochain, même s’il n’a pas encore annoncé sa candidature, il a tout intérêt à mettre en avant un des secteurs où le pays a fait des progrès notables, notamment en termes de connectivité et de développement des services.

Du fait de son insularité et de sa position géographique entre l’Afrique et l’océan Indien, Madagascar bénéficie, grâce aux quatre câbles sous-marins qui la desservent, d’une des meilleures connexions en Afrique. Elle est devenue une des destinations privilégiées dans les services de Business Process Outsourcing (externalisation de certaines activités d’une l’entreprise) et de la relation client (call centers), à l’image de la Tunisie, du Maroc ou de sa voisine Maurice.

C’est la première fois que les ATDA se font en Afrique subsaharienne, et ce, après avoir été accueillies au Maroc en 2021 à l’université Mohammed-VI-Polytechnique, où l’alternance entre l’Europe et l’Afrique avait été décidée. Chaque année, ces assises organisées par Mohamadou Diallo, président de CIO Mag et fondateur des ATDA, réunissent les acteurs de la transformation digitale des secteurs publics, privés, de la société civile et des bailleurs de fonds autour de problématiques liées aux enjeux de la transformation numérique sur le continent.

« Nous sommes ici pour partager nos expériences, nos bonnes pratiques et nos stratégies en matière de transformation digitale… avec pour thème principal le capital humain comme catalyseur d’un système numérique africain performant », précise Tahina Michel Razafindramalo, ministre du Développement numérique, de la Transformation digitale, des Postes et des Télécommunications de Madagascar dont le ministère s’est largement impliqué dans l’organisation de ces deux jours de conférences. « Les besoins en compétences dans le numérique en Afrique s’élèveront à 230 millions de personnes d’ici à 2030. Nous couvrons à peine 5 à 10 % de ces besoins selon les pays. Je vous laisse imaginer l’ampleur de ces défis qui nous attendent », a lancé Mohamadou Diallo en ouvrant ces Assises. « Face à cette menace liée au dividende démographique, cette population jeune reste une formidable opportunité pour nos pays. En revanche, si nous ratons ce virage, cela se transformera en bombe dont l’explosion aura des effets dévastateurs pour l’ensemble de la planète », poursuit-il.

Pour entrer dans le vif du sujet, huit ministres responsables du numérique – Burundi, Comores, Ghana, Madagascar, Maurice, Mauritanie, République du Congo et la Zambie – ont présenté les stratégies déployées pour relever les défis du numérique de leurs pays respectifs. L’accès pour tous reste une préoccupation, notamment dans les zones rurales. Ils ont évoqué les effets bénéfiques de la transformation digitale sur le secteur public à travers la gouvernance, la transparence et la lutte contre la corruption et considèrent que la transformation digitale demeure un des principaux leviers de développement économique. Ils ont également évoqué l’importance de la cybersécurité, de la coopération entre les pays pour la mise en place du roaming et de la création d’une identité numérique pour tous. Les ministres ont mis l’accent sur l’éducation et la formation des jeunes dans le domaine du numérique et l’importance de la maîtrise des outils informatiques.

Des programmes de formation ont été lancés pour doter les jeunes de compétences numériques et encourager la participation des femmes. « La jeunesse africaine est la clé de notre succès. Nous devons veiller à ce que cette jeunesse soit dotée des compétences nécessaires pour naviguer dans cet environnement numérique. Il est impératif d’investir dans l’éducation », a soutenu Deepak Balgobin, ministre mauricien de la Technologie, de l’Information, de la Communication et de l’Innovation. De son côté, Ursula Owusu-Ekuful, ministre du Ghana, a insisté sur la place qui devait être réservée aux femmes. Un programme annuel permet de former, de région en région, 1 000 filles, 100 enseignants par an dans le domaine des TIC, avec des écoles dotées de matériel informatique. En Côte d’Ivoire, 01 Talent met en place un campus dédié aux femmes.

Si les initiatives et les formations se multiplient, le déficit en termes de compétences numériques demeure. « Aujourd’hui, nous avons environ 700 ingénieurs formés par an à Madagascar, ce qui est insuffisant pour répondre à la demande locale », constate Tahina Michel Razafindramalo. Le continent africain ne dispose que de 750 000 développeurs, selon une étude Google, rappelle, en visioconférence, Karim Sy, fondateur de Jokkolabs et partenaire de 01 Talent Africa. Du coup, de grandes entreprises sur le continent mettent en place des formations pour répondre à leurs propres besoins et former leurs collaborateurs.

« Chez Axian, cela fait une dizaine d’années que nous travaillons sur la formation. Nous avons commencé avec une Energy Academy, puis nous avons lancé une Sale Academy et une Finance Academy », explique Hassanein Hiridjee, directeur général d’Axian. Le groupe, un géant malgache, se déploie à travers de nombreuses activités à Madagascar, des télécoms à l’énergie en passant par l’immobilier et l’innovation, mais aussi dans une dizaine de pays sur le continent. « Face à ce besoin exponentiel en formations, nous avons lancé Axian University, il y a 6 ans, un projet beaucoup plus ambitieux qui réunit les formations de toutes les filières mais aussi les soft skills afin de répondre aux besoins de nos collaborateurs, de la base jusqu’au top management. Axian University a dispensé 70 000 heures de formation pour le groupe l’an dernier », détaille-t-il. Avec un chiffre d’affaires de 1,9 milliard de dollars et 6 500 employés, un nombre multiplié par deux depuis 2019, on comprend que la formation soit une priorité.

Axian University a déménagé dans ses nouveaux locaux en 2022 vers le quartier des affaires d’Andraharo à Antananarivo. Sur 1 000 m2, l’université accueille en présentiel 150 collaborateurs qui viennent des 35 sociétés du groupe. « Nous avons des labos de langues, des laboratoires techniques (télécoms et énergie) mais aussi un amphithéâtre », détaille Caroline Meurisse, directrice d’Axian University. Grâce aussi à sa plateforme digitale qu’elle développe en fonction des besoins, Axian University peut couvrir entre 80 et 90 % des besoins en formations de l’ensemble du groupe. Dans le domaine du numérique, elle met aussi en place deux formations diplômantes en alternance, un master en data et un autre en cybersécurité. « Nous ne parvenions pas à recruter ce type de profil, c’est pour cela que nous avons décidé d’ouvrir ces deux formations », commente Caroline Meurisse.

Il faut dire que les systèmes universitaires peinent à suivre cette révolution numérique. « Avec des technologies qui avancent très vite, il nous faut repenser l’approche de la formation. […] Si on ne fait pas attention, à la fin de la formation, celle-ci est déjà dépassée. L’intérêt est alors de s’orienter vers des approches peer-to-peer (apprentissage par les pairs) développées par l’École 42 de Xavier Niel, puis chez 01 Talent mais aussi à la Web Academy (Epitech) », explique Karim Sy. L’apprentissage se fait sans professeurs ni cours didactiques mais à travers des projets et en équipe, proche des conditions de travail. De son côté, 01 Talent propose même une embauche, dès le début de la formation, avec des partenaires comme Atos à Dakar. La sélection est sévère : au Sénégal, pour 9 500 candidatures, 100 ont été retenues.

Bonne nouvelle, Madagascar va bientôt accueillir une antenne de l’École 42 en partenariat avec le groupe Axian. Les bâtiments de la future école se situent juste en face de ceux d’Axian Academy. En cours de rénovation, les anciens locaux d’un call center seront livrés fin août avec une ouverture prévue dans les mois suivants. L’approche se veut inclusive, du fait que la sélection ne se fait pas sur diplôme mais sur les aptitudes testées pendant une période intense dite « piscine ». La formation est gratuite. « À Madagascar, nous avons 30 000 compétences à combler dans le numérique. L’École 42, sur un cycle de 18 mois, formera 150 étudiants par promotion », précise Caroline Meurisse. Il faut s’y mettre à plusieurs ! »

De son côté, Carole Rakotondrainibe, qui dirige la plateforme Nexta, un incubateur de start-up du groupe Axian, explique que l’accompagnement des entrepreneurs passe aussi par la formation : « Nous avons un peu plus de 200 modules de formation. Rien qu’en 2022, nous avons formé plus de 2 000 personnes sur les métiers du digital. »

Au niveau du continent, la Smart Africa Alliance, une initiative panafricaine pour favoriser le développement du numérique en Afrique, a lancé un programme, Smart Africa Digital Academy (SADA), pour renforcer les compétences numériques des décideurs et des gouvernements dans les pays intéressés. Six pays se sont déjà engagés dans ce programme qui propose des formations avancées en TIC, en intelligence artificielle et cybersécurité. La Sierra Leone rejoint ainsi le Rwanda, le Ghana et la République du Congo, le Bénin et la Côte d’Ivoire. D’autres devraient suivre, comme le Burkina Faso, la Tunisie, le Kenya et Djibouti. Grandes entreprises, PME, start-up mais aussi secteurs publics, tous les pans de la société ont besoin de compétences numériques pour se développer. Les initiatives se multiplient sur le continent, que ce soit pour la formation initiale et en formation continue, ce qui est heureux car les besoins sont immenses.

Une fois qu’ils ont éduqué et formé, les pays africains sont confrontés à la fuite des cerveaux. « Comment retenir les compétences ? » s’interroge Kamalidini Souef, le ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Économie numérique des Comores, qui raconte que sur les 25 jeunes formés en master 2 dans le domaine du numérique, 6 mois après, 24 sont partis à l’étranger. La seule qui est restée a fait ce choix pour rester auprès de sa mère malade. Selon lui, il faut réfléchir à des normes internationales pour retenir les talents.

De son côté, Tahina Michel Razafindramalo observe que ce phénomène de fuite des cerveaux ne se fait pas tout juste à la sortie des études, mais après trois à cinq ans d’expérience dans les entreprises ou l’administration. « Il n’y a pas eu beaucoup de départs en 2020 et 2021 avec le Covid, mais, de mémoire, en 2022, c’est quasiment 300 personnes qui sont parties à l’étranger avec les « visas talent ». C’est un long combat, un combat politique, car l’ambassade en France ne sort pas les chiffres des visas talent, versus visas touriste et visas business. Beaucoup de visas touriste sont refusés, mais je ne connais aucun visa talent qui a été refusé », pointe-t-il.

Au niveau mondial, il existe un déficit de talents formés, comme en France, au Canada et aux États-Unis. La concurrence joue à plein et chacun tente d’attirer les bons profils. Un phénomène que Karim Sy qualifie de guerre des talents. À chacun de trouver ses recettes pour conserver ses talents, les faire grandir. « Une entreprise performante, la qualité de vie au travail, du challenge mais aussi facilité la mobilité entre Madagascar et le continent et vice et versa », propose Hassanein Hiridjee.

On le voit, la transformation digitale en Afrique exige des investissements importants dans le capital humain, notamment en termes de formation, d’éducation, d’entrepreneuriat, de sensibilisation, d’infrastructures et d’inclusion numérique. Des enjeux qui impliquent le concours de tous : gouvernements, entreprises, institutions éducatives et société civile.

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