Aviation Africaine Face à la Reprise et aux Défis

Aviation Africaine Face à la Reprise et aux Défis
Aviation Africaine Face à la Reprise et aux Défis

Africa-Press – Burkina Faso. Avec une croissance passagers deux fois supérieure à la moyenne mondiale, l’Afrique confirme son potentiel dans le transport aérien, même si elle demeure un petit joueur. Mais les fonds bloqués, la sécurité, les coûts (taxes et redevances) et la géopolitique menacent son envol.

L’Afrique se présente de plus en plus comme l’un des marchés les plus dynamiques du transport aérien mondial, bien qu’elle ne représente encore qu’environ 2% à 3% du trafic passagers global. Après avoir amorcé sa reprise post-covid, le secteur poursuit sa trajectoire ascendante observée en 2023 et 2024. Sur les quatre premiers mois de l’année 2025, la demande de passagers sur le continent a bondi de +9,1% par rapport à la même période en 2024, un taux supérieur à la moyenne mondiale (+6%). Ce chiffre, tiré du dernier Media Briefing de l’Association internationale du transport aérien (IATA), présenté lors de sa 81e assemblée générale annuelle à New Delhi, place l’Afrique devant le Moyen-Orient (+6% également) en termes de croissance du trafic.

Au-delà de cette performance conjoncturelle, les perspectives de long terme confortent l’optimisme des professionnels du secteur: selon les projections de l’IATA, le nombre de passagers africains pourrait atteindre 345 millions d’ici 2043 contre environ 160 millions aujourd’hui, soit une croissance annuelle moyenne de 3,7%. Un chiffre légèrement en retrait du rythme prévu pour le Moyen-Orient (+3,9%), mais significatif pour un continent longtemps à la traîne. « L’Afrique, tout comme le Moyen-Orient, verra son trafic doubler d’ici 2043 », a rappelé Kamil Al-Awadhi (photo), vice-président régional pour l’Afrique et le Moyen-Orient (AME).


Une reprise qui masque des déséquilibres

Cette dynamique de croissance ne doit pas masquer les fragilités persistantes du secteur aérien africain. Certes, le continent améliore progressivement son taux de remplissage des appareils: avec un coefficient de remplissage (PLF) de 74,5%, il progresse de 1,2 point par rapport à l’an dernier. Mais ce taux reste nettement inférieur à la moyenne mondiale, qui atteint 81,8%. Un écart symptomatique des difficultés structurelles qui plombent la rentabilité des compagnies locales, en particulier la fragmentation des marchés, le manque d’infrastructures et la faible interconnexion intra-africaine. La faiblesse des liaisons intra-africaines – à peine 20% des vols – freine l’intégration régionale, tandis que plus de 75% des passagers internationaux empruntent des compagnies non africaines. Un déséquilibre qui souligne l’urgence de renforcer la compétitivité des transporteurs locaux.

Par ailleurs, si le segment passagers se redresse, le fret reste en net recul. La demande cargo en Afrique a chuté de 5,5% sur les quatre premiers mois de 2025, à rebours de la tendance mondiale (+3,4%). Cette contre-performance pèse sur des compagnies qui s’appuyaient traditionnellement sur le fret pour équilibrer leurs comptes dans un environnement de marge déjà faible. « On constate une baisse de la demande cargo à la fois en Afrique et dans la région MENA, c’est une tendance commune », a indiqué Al-Awadhi.

Fonds bloqués: un fardeau financier persistant

Le principal sujet d’inquiétude pour les compagnies aériennes opérant en Afrique reste toutefois celui des fonds bloqués. A fin avril 2025, l’IATA estime à 1,28 milliard de dollars le montant total de devises bloquées dans le monde par des gouvernements qui empêchent les compagnies étrangères de rapatrier leurs recettes. L’Afrique et le Moyen-Orient concentrent à eux seuls 85% de cette somme, soit 1,1 milliard de dollars, dont 919 millions pour le seul continent africain.

« L’an dernier, nous nous sommes beaucoup concentrés sur le Nigeria, qui avait plus de 850 millions de dollars bloqués. Ce problème est maintenant réglé. L’Egypte et l’Ethiopie ont aussi enregistré des améliorations significatives », a expliqué Kamil Al-Awadhi. Ces progrès contrastent avec d’autres pays comme le Mozambique (205 millions), la zone CEMAC (191 millions) ou encore l’Algérie (178 millions), toujours en haut du classement.

« Cela prend beaucoup de temps, mais nous y travaillons pays par pays. C’est un processus lent et complexe », insiste le responsable qui voit dans ces blocages un obstacle majeur au développement. « Le blocage des fonds affecte directement la capacité des compagnies à maintenir leurs opérations et compromet l’attractivité des marchés concernés », résume-t-il.


Un environnement économique défavorable

A rebours des ambitions affichées par les Etats, l’environnement économique de l’aviation en Afrique reste peu compétitif. C’est le coût même d’exploitation d’une compagnie aérienne en Afrique qui pénalise le développement du secteur. « Si je devais lancer une compagnie aérienne aujourd’hui, je ne choisirais pas l’Afrique », confie Al-Awadhi.

Selon l’IATA, le carburant y est en moyenne 17% plus cher qu’ailleurs dans le monde, les taxes et redevances atteignent jusqu’à 15% de surcoût, les frais de navigation aérienne excèdent de 10% la norme mondiale, tandis que la maintenance, l’assurance et le financement pèsent 6 à 10% de plus que sur d’autres marchés. Résultat: un modèle économique sous tension, où les prix des billets s’envolent, ce qui grève l’accessibilité du transport aérien pour les passagers.

« Exploiter une compagnie aérienne en Afrique coûte tout simplement plus cher », constate Kamil Al-Awadhi, ex-PDG de Kuwait Airways. A cela s’ajoute, selon lui, un problème de fragmentation politique: « Dès qu’il s’agit d’ouverture du ciel, les Etats africains se montrent favorables en réunion, mais sur le terrain, ils retombent dans une logique de protection de leur pavillon national ». Cette réticence freine la mise en œuvre du Marché unique du transport aérien africain (MUTAA), censé libérer les liaisons intra-africaines.

Le contraste est saisissant avec les dynamiques en cours au Moyen-Orient, où la coordination entre Etats du Golfe s’accompagne d’investissements planifiés sur plusieurs décennies. « Certains pays prévoient l’évolution de leur infrastructure aérienne sur 20 à 30 ans, tandis qu’en Afrique, beaucoup réagissent dans l’urgence, sans feuille de route claire », déplore-t-il. L’écart se creuse également sur la capacité à mutualiser les efforts pour unifier les régulations ou appuyer les Etats en transition.

Un lourd passif en matière de sécurité

Autre ombre au tableau: la sécurité des vols. En 2024, l’Afrique a enregistré un taux d’accidents de 10,59 par million de vols, un chiffre dix fois supérieur à la moyenne mondiale (1,13) et en forte hausse par rapport à 2023 (8,36). Au total, le continent a enregistré dix accidents, dont les plus fréquents étaient des sorties de piste, suivis d’incidents liés au train d’atterrissage. 40% de l’ensemble de ces accidents impliquaient des appareils à turbopropulseurs, souvent utilisés sur des liaisons domestiques ou régionales mal desservies. Cependant, aucun accident mortel n’a eu lieu depuis 2023.

Face à cette situation, l’IATA mise sur son initiative « Focus Africa » et le programme CASIP (Collaborative Aviation Safety Improvement Program), qui vise à mutualiser les efforts des compagnies, autorités de régulation et prestataires aéroportuaires pour renforcer la culture de la sécurité sur le continent. Mais les disparités entre Etats demeurent importantes, faute de volonté politique ou de moyens suffisants.

Le Moyen-Orient, de son côté, présente une situation plus stable, avec un taux d’accident légèrement en baisse (1,08 en 2024 contre 1,12 en 2023), malgré les tensions régionales.

Une navigation perturbée par la géopolitique

Les conflits et crises diplomatiques restent un facteur de risque majeur pour le transport aérien dans la région AME. Depuis début 2024, plusieurs espaces aériens ont été fermés ou restreints: le Soudan, l’Iran, le Mali, la RDC ou encore le Liban, entraînant la mise en place de « Contingency Coordination Teams (CCT) » pour définir des routes alternatives.

La situation reste particulièrement tendue dans la zone sahélienne, où les survols sont désormais interdits, selon la nationalité des avions. Le Mali, par exemple, interdit désormais l’accès à son ciel à tout appareil ayant survolé l’Algérie, en réponse à une mesure équivalente. Ces fermetures entraînent des détours coûteux pour les transporteurs et une pression sur les couloirs aériens restants, indique Kamil Al-Awadhi.

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