Chine-Afrique : le continent face à la baisse des financements de ses infrastructures par Pékin

Chine-Afrique : le continent face à la baisse des financements de ses infrastructures par Pékin
Chine-Afrique : le continent face à la baisse des financements de ses infrastructures par Pékin

Africa-Press – Burkina Faso. L’anecdote fait rire jaune Akim Daouda, patron du Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS). « Nous avions clos la transaction pour le développement d’un barrage, quand le projet a dû être retardé d’un an, le temps que soient menées des études supplémentaires quant à l’impact sur… les algues », a-t il raconté, en juin, à l’occasion de l’Africa CEO Forum (ACF) d’Abidjan. « Ces reports ont un impact dont il faut aussi tenir compte, en ce qui concerne l’accès à l’électricité de nos populations et notre PIB », a ajouté, légèrement exaspéré, le patron du FGIS.

Difficile de mieux illustrer le casse-tête que vit le secteur des infrastructures sur le continent (financiers, développeurs, groupes de BTP), mais aussi les progrès réalisés et la maturité croissante des acteurs africains. Que le FGIS n’ait eu d’autre choix que de retarder le chantier – malgré l’impact économique et social – reflète le poids des institutions de financement de développement (DFI) dans le secteur des infrastructures en Afrique. Et, d’une certaine façon, la dépendance encore forte du continent aux exigences extérieures dans des domaines de souveraineté, telles que les infrastructures. À titre d’illustration, le futur barrage hydroélectrique gabonais de Kinguélé-Aval demande un investissement de 180 millions d’euros apporté notamment par la Société financière internationale (IFC, du groupe de la Banque mondiale), la Banque africaine de développement (BAD) et l’investisseur multilatéral Emerging Africa Infrastructure Fund – dont les dossiers de financement accordent une large part aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).

Mais, dans le même temps, au moins trois enseignements positifs peuvent être tirés de cet épisode. Premièrement, ce financement extérieur, aussi chargé d’exigences soit-il, réduit de facto le coût du développement de cette infrastructure pour l’État gabonais. Selon son DG, le FGIS ne devra par exemple débourser que 120 millions de dollars pour financer un programme d’investissements dans les infrastructures électriques de 1,2 milliard de dollars, actuellement en phase de bouclage financier. Deuxièmement, tous les acteurs impliqués dans ce dossier – y compris les sous-traitants locaux du secteur du BTP – monteront nécessairement en compétences dans le domaine des ESG et pourront, avec profit, se prévaloir de cette expérience pour d’autres projets financés par des banques et des institutions aux standards internationaux. Troisièmement, la simple présence du Fonds souverain du Gabon dans cette aventure est le signe que le long effort mené depuis plus d’une décennie pour mobiliser l’épargne de long terme des gestionnaires d’actifs locaux commence à porter ses fruits.

Une conversion durable sur toute la chaîne de valeur
Comme l’a indiqué, durant l’ACF, James Woodward, responsable des transports et des infrastructures en Afrique pour la société de conseil KPMG, « à peine 10 % du financement des projets d’infrastructures en Afrique provient du secteur privé ». Accroître la part du financement réalisé en dehors de l’endettement public (entreprises privées, banques locales, fonds souverains…) est primordial, alors que la question de la soutenabilité de la dette des pays africains revient avec insistance sur le devant de la scène. Selon le rapport 2022 sur le financement du développement durable, « en moyenne, les pays en développement les plus pauvres consacrent 14 % de leurs revenus aux intérêts de leur dette, soit près de quatre fois plus que les pays développés, qui n’en consacrent que 3,5 % ». Pour ne rien arranger, les opérateurs chinois, longtemps à la pointe dans le financement de mégaprojets et les prêts aux États africains, sont en retrait (voir encadré).

LE DÉFI EST MULTIDIMENSIONNEL. IL FAUT RÉSOUDRE UN ENSEMBLE DE PROBLÈMES FONDAMENTAUX ET CRÉER UN CADRE À CET EFFET

Aussi, la question majeure demeure : comment financer et construire les infrastructures dont a besoin de façon durable le continent et sans alourdir excessivement la dette des États africains ? Des réponses émergent déjà, à tous les niveaux de la chaîne de valeur. En aval, dans le domaine de la construction, on retrouve par exemple Sertem, le groupe sénégalais contrôlé par la famille Ngom, qui a obtenu en septembre 2021 la certification EDGE, développée par IFC, dans la construction durable, pour son projet immobilier Crystal USG, aux Almadies, à Dakar. Il en va de même pour le centre commercial Cosmos de Yopougon, en Côte d’Ivoire, développé par HC Capital Properties, dirigé par Cheick Sanankoua. Une certification à la fois gage de qualité et « signal » envoyé aux investisseurs à la recherche de projets verts. Plus haut dans la chaîne, la succession de levées de fonds « durables » réalisées par des acteurs majeurs du financement en Afrique – tels qu’Ecobank (350 millions de dollars en juin 2021) et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD, 750 millions de dollars cinq mois plus tôt) – montrent une disponibilité de plus en plus grande de capitaux ainsi qu’une « sophistication » accrue de la finance africaine.
2000 milliards de dollars d’actifs
Pour aller plus loin, toutefois, une approche plus systématique est nécessaire, selon Tariye Gbadegesin, DG ARM-Harith Infrastructure Investment Ltd. « Vous entendez toujours les mêmes phrases : ce n’est pas le capital qui manque, mais les projets rentables ; ce n’est pas le financement qui manque, mais le financement bon marché, etc. Le défi est multidimensionnel. Il faut résoudre un ensemble de problèmes fondamentaux et créer un cadre à cet effet », a-t-elle insisté, en juin, durant l’ACF. Selon cette ancienne de Africa Finance Corporation et de PwC, les investissements dans les infrastructures en Afrique sont le plus souvent des projets en greenfield [neufs, bâtis à partir de zéro]. Aussi, un travail d’éducation au profil de risque mais aussi à la rentabilité de cette « classe d’actifs » est nécessaire. Même écho chez James Woodward de KPMG, selon lequel ce travail d’explication et de pédagogie, a contribué à la réussite d’un projet d’infrastructures kényan, sursouscrit à 240 % auprès d’investisseurs dont des banques locales et des institutions financières étrangères.

Autre clé pour la réussite : les mesures de bonification du crédit (Credit enhancement), tels que les garanties apportées par les DFI et les États, qui permettent de rassurer les investisseurs. Pour sa part, Thiérry Déau, patron du spécialiste des infrastructures Meridiam, a noté qu’il fallait que de telles mesures d’accompagnement soient temporaires. Une option envisageable consiste en la structuration dans le temps des projets d’infrastructures de sorte que les banques locales puissent assurer le financement de court terme, avant qu’en deuxième phase les fonds de pension et autres détenteurs d’épargne de longue maturité puissent prendre le relais, a indiqué l’ingénieur et financier français, donnant l’exemple du Chili. Cela tombe bien, de plus en plus de pays africains autorisent les fonds de pension africains à investir dans les infrastructures – un niveau minimal est même envisagé par certains pays.
La Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) en Côte d’Ivoire a déjà émis le souhait d’investir dans les infrastructures. Et, en mai, Nigeria Infrastructure Corporation Plc (InfraCorp) – porté par la Banque centrale et le Fonds souverain NSIA – a été lancé ciblant une capitalisation de 1 000 milliards de nairas (2,4 milliards de dollars) à moyen terme et 15 000 milliards à long terme pour faciliter et financer le développement d’infrastructures dans la république fédérale. Sur le continent, les actifs des fonds de pension africains sont estimées à plus de 2 000 milliards de dollars…

Vers un retrait de la Chine ?
En 2018, le cabinet Deloitte estimait à 18,9 % la part de Pékin dans les investissements relatifs aux projets d’infrastructures et d’équipements en Afrique, contre 24,5 % pour les États africains, 13, % pour les institutions multilatérales de développement, à peine 5 % pour les pays de l’UE et 1,7 % pour les États-Unis. Or, avant même la crise du Covid-19, les prêts chinois accordés au secteur public africain avaient reculé à 7 milliards de dollars durant l’année 2019, loin du pic de 28 milliards de dollars de 2016, selon une étude de novembre 2021 du China Africa Research Initiative. Selon le cabinet d’avocats Baker McKenzie, les prêts accordés par les banques chinoises à des projets d’énergie et d’infrastructures en Afrique subsaharienne ont été divisés par trois entre 2017 et 2020, chutant à 3,3 milliards de dollars. Pour autant, malgré ce retrait sur le plan financier, les entreprises de l’empire du Milieu raflent encore nombre de marchés importants. En 2018 (derniers chiffres disponibles), Deloitte estimait que les entreprises chinoises s’arrogeaient 33 % des projets africains de constructions d’infrastructures d’une valeur supérieure à 50 millions de dollars, y compris – nécessairement – ceux financés par les institutions multilatérales. « Cela ne devrait pas être une énorme surprise. La Chine a beaucoup construit ces derniers temps. Ses entreprises ont toujours des coûts de main-d’œuvre considérablement moins hauts que les entreprises basées dans les pays à revenu élevé », selon Charles Kenny du Centre for Global Development.

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