Datacenters : Google et Amazon propulsent les acteurs africains dans la cour des grands

Datacenters : Google et Amazon propulsent les acteurs africains dans la cour des grands
Datacenters : Google et Amazon propulsent les acteurs africains dans la cour des grands

Africa-Press – Burkina Faso. Comment osez-vous vous baptiser hyperscaler alors que vous n’hébergez aucune donnée vous-même ? » Le ton est calme, l’attitude à mille lieux d’être agressive. Mais la question sonne toutefois comme une colère venue des contrées les plus froides de son pays d’origine. En ce soir de novembre au Cap, en Afrique du Sud, le Britannique Nic Rudnick, directeur général adjoint et administrateur délégué de Cassava Technologies, détonne lors d’une table ronde organisée par la banque sud-africaine Rand Merchant Bank sur l’investissement dans les technologies en Afrique.

Il tance ses co-intervenants, Nitin Gajria, directeur de Google Afrique et Alex Masu, responsable des investissements dans les infrastructures de réseau pour l’Afrique subsaharienne et le Moyen-Orient chez Meta, pour leur manque d’investissement sur le continent. Surtout que, ailleurs dans le monde, ces Big Tech qu’on appelle hyperscaler pour désigner leurs besoins gigantesques et exigeants en matière d’hébergement de données, construisent elles-mêmes leurs datacenters afin d’y héberger leur logiciel de cloud.

Attaqué directement par l’un de leurs fournisseurs sur le continent, le duo accueille pourtant la critique avec bonhommie lors de cet événement confidentiel, organisé en marge d’AfricaCom, la réunion annuelle des télécoms africaines et internationales.

Un dialogue d’égal à égal
« Les investissements des Gafam en Afrique sont décevants par rapport à ce qu’ils déboursent pour les autres régions du monde. On les voit vendre de la pub mais il y a encore beaucoup de chemin à faire pour l’hébergement », martèle le dirigeant de Cassava présent dans les services et infrastructures de télécommunications (Liquid Intelligent Technologies), dans les fintech (Sasai) mais aussi les datacenters neutres (Africa Data Centres), c’est-à-dire agnostiques vis-à-vis des clients qu’ils hébergent.

L’attitude que se permet d’adopter Nic Rudnick face à ses collègues du secteur symbolise la position que Cassava est en train de prendre sur le continent. Chez lui, en Afrique, le holding créé par le milliardaire zimbabwéen des télécoms, Strive Masiyiwa parle désormais d’égal à égal avec les Big Tech. Africa Data Centres, sa filiale dédiée à la construction et la gestion de datacenters sur le continent est l’un des principaux loueurs de serveurs pour le compte de champions de la tech américaine dont les logiciels cloud commencent à séduire de nombreuses entreprises en quête de digitalisation.

Des milliards de dollars en jeu
En deux ans, l’opérateur dirigé par Tesh Durvasula a levé plus d’un milliard de dollars pour racheter des datacenters existants, ou les construire de toute pièce. Avec six infrastructures neutres actives en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya, ainsi que sept en construction et des terrains déjà acquis pour des développements notamment en Afrique de l’Ouest francophone, ADC est l’un des trois leaders du secteur sur le continent à offrir des prestations aux critères internationaux et des capacités comprises entre 9 et 20 mégawatts (MW).

IL N’Y A PLUS DE PLACE POUR UN NOUVEL ENTRANT

En parallèle, le californien Equinix a pénétré le marché en avril dernier avec le rachat du nigérian MainOne pour 320 millions de dollars. Son compatriote Digital Reality, déjà présent depuis cinq ans en Afrique de l’Est après le rachat de l’européen Interxion qui possédait le kényan Icolo, a confirmé son appétit pour l’Afrique avec l’acquisition en 2021 de Medallion au Nigeria puis du sud-africain Teraco en août dernier, au cours d’une transaction record de 3,5 milliards de dollars. « L’Afrique du Sud représente 80 % du marché de l’hébergement en Afrique, et Teraco représente 80 % du marché sud-africain », résume Caroline Puygrenier, directrice senior de la stratégie et du développement de Digital Realty.

Pour sa part, ADC est le seul acteur d’envergure panafricaine opérant des datacenters de dizaines de mégawatts, à disposer d’un capital majoritairement africain. Comme ses concurrents, il fournit de l’hébergement aux géants de la tech comme Microsoft, Google, Amazon, Facebook ou Salesforce mais aussi à une pléthore de grandes, moyennes et petites entreprises locales ou régionales. Le fournisseur d’infrastructures de données est désormais en mesure de jouer un rôle central dans le mouvement de consolidation qui s’amorce. « Il n’y a plus de place pour un nouvel entrant. Les discussions ont donc dû commencer et tout le monde doit parler avec tout le monde actuellement », anticipe un bon connaisseur du secteur en Afrique.

Un marché en maturation
Avec deux milliards de dollars dépensés depuis 2017 dans la construction de centre de données – équivalent à 200 mégawatts de capacité supplémentaire -, « le marché africain des datacenters n’est pas encore mature, mais en pleine croissance », estime quant à lui, Guy Zibi, fondateur du cabinet spécialisé Xalam Analytics, qui a publié lors d’AfricaCom une étude sur le marché.

Selon ce dernier, trois types d’acteurs occupent désormais le marché de la colocation : les trois géants que sont ADC, Equinix et Digital Realty qui offrent des capacités allant jusqu’à 20 MW; des leaders nationaux comme Rack Center ou N+One [bien qu’il ait une stratégie d’expansion ouest-africaine, notamment au Sénégal] capables d’offrir à termes des capacités de plus de 10 MW; et des opérateurs multi-pays comme Raxio Group, Open Access Data Centres ou PAIX Data Centres dont les infrastructures offrent des capacités inférieures à 10MW. « Les acteurs susceptibles d’être rachetés au cours des consolidations à venir sont en priorité les acteurs nationaux », estime l’expert.

Encore faut-il que les sociétés africaines puissent réunir les fonds nécessaires à leur expansion. Si Digital Realty et Equinix disposent d’une capacité financière assez solide – ils sont tous deux cotés à New York et ont réalisé respectivement plus de 4 et 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2021 -, Africa Data Centres dépend encore beaucoup de fonds d’investissement et de bailleurs internationaux comme IFC ou l’américain DFC, qui lui ont apporté plusieurs centaines de millions de dollars depuis sa création en 2018.

LES INVESTISSEURS SONT CONFIANTS BIEN QUE LES COÛTS DE CONSTRUCTION ONT AUGMENTÉ D’ENVIRON 30 %

Or, dans une conjoncture économique où les taux d’emprunts augmentent, tout comme le prix des matériaux, de leur approvisionnement ainsi que de l’énergie, ADC et ses challengers africains seront-ils à même de tenir sur la longueur ? « L’environnement macroéconomique actuel n’aura pas forcément d’impact immédiat sur l’industrie car les trajectoires financières vont rester pertinentes », analyse Guy Zibi dont l’étude estime que la taille du marché africain double désormais tous les trois ans.

Des investisseurs confiants
« Les investisseurs sont confiants bien que les coûts de construction ont augmenté d’environ 30 % », abonde Caroline Puygrenier qui précise qu’un chantier peut prendre entre 12 et 24 mois. Tout l’enjeu, selon la dirigeante française, sera de parvenir à attirer d’autres clients que des géants de la tech et les opérateurs télécoms qui achètent de la capacité en gros, mais à un prix faible.

La ruée vers la data africaine s’est accélérée à la faveur d’un signal clair venu des géants de services cloud que sont Amazon Web Services, Microsoft Azure, Oracle ou encore Google Cloud : le financement par leur soin de nouveaux câbles sous-marins reliant l’Afrique au reste du monde. Habitués à intensifier progressivement leurs demandes en capacité en fonction des nouveaux besoins de digitalisation des entreprises, ces annonces ont entériné le fait qu’une explosion de la demande allait advenir dès la mise en service de ces câbles.

Augmentant les débits du trafic internet sur le continent, ces derniers vont en effet accélérer la consommation de données des Africains, ce qui nécessite de nouvelles infrastructures pour stocker celles qui seront créées. Les datacenters permettent également de fluidifier ce trafic puisqu’ils hébergent localement des données qu’il fallait autrefois aller chercher hors du continent. Alors que le câble Equiano de Google doit être mis en service dans le courant de l’année 2023 et que 2Africa de Facebook doit suivre en 2024, la demande explose.

« Si le marché s’est déployé comme prévu en Afrique du Sud, pour le Nigeria et le Kenya qui semblaient suivre le même rythme, le boom de la demande n’a démarré que très récemment », explique notre analyste. 2022 a en effet été l’année durant laquelle deux hyperscaler ont décidé d’engager de lourds investissements sur le continent.

Une vision de long terme
Google a annoncé en 2020 la création d’une région cloud, c’est-à-dire, un complexe de plusieurs datacenters dédié à ses services d’hébergement de données, en Afrique du Sud. Mais les infrastructures seront construites et gérées par des prestataires comme ADC ou Digital Realty, tandis qu’une partie de celle d’Amazon est construite par le groupe américain lui-même.

Faire la balance entre une gestion en propre ou externalisée est principalement une question de gain de temps pour les mastodontes de la tech. « Ces géants de l’internet n’ont pas le temps d’effectuer l’ensemble des lourdes démarches administratives incontournables dans la construction de datacenters qui prendra en moyenne 12 à 24 mois. Et pour être sûr qu’au moins un projet aboutisse, il faut en lancer trois ou quatre au total », commente cet expert qui requiert l’anonymat.

Début novembre, le groupe fondé par Jeff Bezos a annoncé avoir ouvert des bureaux à Lagos tout en recevant, dans la foulée, le feu vert de la justice pour la construction de son siège continental au Cap. Site d’implantation qui vaut au géant américain d’être poursuivi par des associations l’accusant de construire sur des terres sacrées, appartenant à des tribus locales.

Si elle reste relativement polarisée en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya, la couverture de l’Afrique en datacenters devrait rapidement s’accélérer dans les prochaines années. « Nos dépenses d’investissement sont calculées pour les dix ans à venir », prévient Caroline Puygrenier, dont l’entreprise prévoit d’ores et déjà des implantations au Ghana et en Côte d’Ivoire. Le bal des prétendants vient de démarrer.

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