Droits de douane, libre échange et franc CFA au Sahel… Cinq questions pour comprendre le rapprochement économique entre les juntes

Droits de douane, libre échange et franc CFA au Sahel… Cinq questions pour comprendre le rapprochement économique entre les juntes
Droits de douane, libre échange et franc CFA au Sahel… Cinq questions pour comprendre le rapprochement économique entre les juntes

Nadoun Coulibaly

Africa-Press – Burkina Faso. Tandis que la sortie du Mali, du Niger et du Burkina Faso devrait être confirmée en juillet à l’issue d’une période transitoire, les trois pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) poursuivent leur rapprochement économique. Fin mars, ils ont décidé d’instaurer un droit de douane commun de 0,5 % sur les importations venant de pays non-membres de leur confédération. Une décision inédite qui sonne le glas de l’intégration économique régionale, longtemps présentée comme un modèle du genre.

1. Pourquoi l’AES applique ce nouveau prélèvement ?

Ce nouveau « prélèvement confédéral AES » (PC-AES) marque un pas de plus vers la rupture totale des liens économiques sur lesquels repose l’intégration régionale. Selon nos informations, la décision pourrait s’appliquer aux pays membres de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), exceptés ceux de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa, qui comprend le Burkina Faso, le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo, le Sénégal et la Guinée-Bissau) ayant en commun le franc CFA.

Le taux du nouveau PC-AES est fixé à 0,5 % de la valeur en douane des marchandises importées de pays tiers. « C’est un saut vers l’inconnu. Pour la première fois en Afrique de l’Ouest, on défait une organisation d’intégration économique avec la Cedeao qui vole en éclat », souligne l’économiste malien, Modibo Mao Makalou.

2. À quoi pourraient servir les fonds collectés et comment seront-ils répartis entre les trois pays ?

Les ressources collectées, dont le montant reste difficile à déterminer, seront destinées à financer le fonctionnement des organes de l’Alliance. « Il s’agit une mesure appliquée par toute organisation d’intégration pour financer ses activités. La Cedeao comme l’Uemoa font des prélèvements communautaires, l’AES en a besoin pour faire vivre ses instances. En quittant la Communauté régionale, elle ne peut plus bénéficier des financements régionaux », explique Modibo Mao Makalou.

Jusqu’ici, l’AES n’a fourni aucun détail sur la répartition des ressources prélevées entre les trois pays. On ignore également quels projets communautaires pourraient être financés par cette voie. La collecte des fonds reste en revanche du ressort des administrations douanières qui sont par ailleurs engagées dans un projet d’interconnexion de leurs systèmes d’information.

C’est un saut vers l’inconnu. Pour la première fois en Afrique de l’Ouest, on défait une organisation d’intégration économique avec la Cedeao qui vole en éclat.

« C’est à l’AES de dire la portée de la nouvelle taxe qui a priori ne concerne pas les pays de l’Uemoa. Si jamais le champ venait à être indéterminé, le nouveau tarif douanier pourrait renchérir le coût des marchandises sur leur marché intérieur, les entreprises répercutant le taux par effet d’entraînement sur les consommateurs », explique un spécialiste du droit communautaire.

3. Le prélèvement de l’AES menace-t-il les tarifs extérieurs déjà appliqués par la Cedeao ?

Adopté en 2013 mais entré en vigueur deux ans plus tard, le tarif extérieur commun (TEC) de la Cedeao est assis sur un système harmonisé de codification des marchandises. Il vise à réduire les barrières tarifaires et à favoriser les échanges au sein de l’espace communautaire tout en protégeant l’économie des pays membres à travers des mesures de sauvegarde.

Alors que les négociations sont en cours sur les conditions du divorce entre l’AES et l’organisation régionale, les juntes sahéliennes tentent-elles par cette décision de mettre un coup de pression sur les négociateurs de la Cedeao ? Rien n’est moins sûr.

Dans les faits, les ressources issues des prélèvements communautaires alimentent elles aussi le budget de fonctionnement de la commission de la Cedeao ainsi que les institutions spécialisées comme la Cour de Justice communautaire, laquelle a rayé de son rôle la gestion des différends portés par des citoyens de l’AES contre leur État.

4. Cette taxe remet-elle en question le principe de libre circulation des biens et des personnes dans la région ?

Jusqu’ici la Cedeao n’a pas réagi officiellement à cette décision des pays de l’AES. Mais plusieurs experts du droit communautaires pointent une menace sur la libre circulation des personnes et des biens. « Cette question reste un enjeu des négociations en cours sur les modalités de sortie », insiste Modibo Mao Makalou.

Pour le moment, la Cedeao et l’AES ont convenu de maintenir le statu quo. Les quelque 72 millions d’habitants de l’AES peuvent se mouvoir librement dans l’espace Cedeao et vice-versa, en attendant l’issue des pourparlers prévus en juillet 2025. En janvier dernier, les ministres des Affaires étrangères de l’Alliance s’étaient réunis à Ouagadougou pour échanger sur la ligne à tenir lors des négociations ouvertes avec la Cedeao autour, notamment, des modalités de sortie.

Clamant leur trajectoire souverainiste, les trois pays dirigés par des régimes militaires ont entériné la mise en service du nouveau passeport biométrique commun au Mali, au Burkina Faso et au Niger. « Quel scénario sera retenu ? Va-t-on maintenir le principe de la libre circulation ? Si c’est le cas, le prélèvement de l’AES ne vaudra pas pour la Cedeao et vice-versa puisqu’il s’agit d’une mesure de réciprocité », commente l’expert malien Modibo Mao Makalou.

Et d’ajouter: « Je ne vois pas de frein à ce que les deux entités s’accordent a minima pour préserver les acquis de l’intégration économique régionale. Si ce n’est pas le cas, chaque pays de l’Alliance devra négocier des accords bilatéraux. »

Dans la perspective de cette éventualité, la Confédération des États du Sahel doit négocier l’accès à leurs ports avec ses voisins méridionaux non-membres de l’Uemoa. Objectif: continuer de faire transiter les marchandises en provenance et en direction du Sahel. Bien que l’essentiel des importations de l’AES transite par Abidjan, Lomé, Dakar et Cotonou, Bamako devra s’entendre avec la Guinée, tout le comme le Burkina Faso avec le Ghana ou encore le Niger avec le Nigeria.

5. Jusqu’où l’AES peut-elle aller dans son intégration économique ?

Outre l’alignement en matière de diplomatie et de coopération, l’AES entend mener des politiques communes dans divers secteurs comme l’énergie, les infrastructures et prévoit la création d’une banque d’investissement, au capital initial de 500 milliards de francs CFA.

Je ne vois pas de frein à ce que les deux entités s’accordent a minima pour préserver les acquis de l’intégration économique régionale. Si ce n’est pas le cas, chaque pays de l’Alliance devra négocier des accords bilatéraux.

Les modalités de libération du capital, le pays d’accueil du siège de la nouvelle banque ainsi que ses dirigeants restent toutefois à déterminer. L’Alliance des États du Sahel avait dès sa naissance l’intention de créer une union économique et monétaire et une monnaie baptisée Sahel. À ce jour, le projet semble néanmoins relégué aux calendes grecques.

Alors que la Cedeao semble décidée à franchir des étapes cruciales avant le lancement de la monnaie commune, prévu pour 2027 – un projet qui inclut le passage du franc CFA vers l’Eco –, une incertitude demeure quant à l’adhésion des pays de l’Alliance, jusqu’ici membres de l’Uemoa.

Ces États du Sahel représentent plus de 35 % des levées sur le marché financier régional et continuent à y avoir recours. Particulièrement actif sur le marché de la dette souveraine, Bamako y a collecté 967 milliards de CFA en 2024 et vise une somme estimée à 1 225 milliards de F CFA pour 2025.

« Le Mali a honoré à bonne date ses engagements sur tous les segments du marché financier régional en 2024 (…) », déclarait Siaka Samaké, patron du Trésor public malien. Le ministère des Finances malien évalue cette année le service de la dette sur le marché des titres à 851 milliards de F CFA dont 667 milliards de remboursements en capital. À son tour en avril 2024, le Niger a fait son retour sur le marché régional en mobilisant 733 millions de dollars pour apurer ses dettes.

Source: JeuneAfrique

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here