Mathieu Galtier
Africa-Press – Burkina Faso. Prenant le contrepied des banques européennes qui s’éloignent du continent, leurs concurrentes américaines y renforcent leur présence, sans toutefois encore sauter le pas de l’investissement dans la banque de détail.
Alors que les banques européennes quittent le continent, leurs concurrentes américaines multiplient les marques d’affection à son égard, rappelant que neuf pays africains se classeront parmi les 20 plus fortes croissances mondiales en 2025, selon le Fonds monétaire international (FMI). Chacune déclame son amour à sa façon. « Nous voulons entrer, ou renforcer notre présence, dans un ou deux pays d’Afrique tous les deux ans environ. Cela nous permettra d’approfondir nos connaissances du terrain, ainsi que nos relations locales », promettait ainsi en octobre Jamie Dimon, le PDG du groupe JP Morgan, la première banque mondiale.
« L’Afrique offre d’immenses opportunités pour nos clients, particulièrement sur le marché des minerais critiques, de la technologie, de l’énergie et des ressources naturelles, et le développement d’infrastructures », renchérit Yvonne Ike, responsable de la zone Afrique subsaharienne au sein de Bank of America (BofA).
La Côte d’Ivoire a tout: une économie diversifiée, un secteur privé prospère, du pétrole et une monnaie stable. Nous sommes impatients d’intensifier notre activité là-bas et au Sénégal, qui a aussi beaucoup de potentiels.
La Britannique d’origine nigériane ne cache pas son faible pour l’Afrique francophone. « La Côte d’Ivoire a tout: une économie diversifiée, un secteur privé prospère, du pétrole et une monnaie stable, reprend Yvonne Ike. Nous sommes impatients d’intensifier notre activité là-bas ainsi qu’au Sénégal, qui a aussi beaucoup de potentiel. » Chez Citigroup, on préfère les chiffres: 12, comme le nombre de pays où la banque possède une agence – contre deux (bientôt quatre) pour JP Morgan et un pour BofA et Goldman Sachs – et 1920, année de la première représentation sur le continent (en Afrique du Sud).
Cependant, ce n’est pas demain la veille que les particuliers pourront ouvrir un compte dans un établissement financier basé outre-Atlantique. « Dans le secteur de la banque de détail, le retour sur investissement n’est pas très élevé. La rentabilité vient d’une très bonne connaissance et de très bons réseaux au niveau local, ce qui n’est pas la stratégie des banques américaines », juge Otaviano Canuto, ancien vice-président de la Banque mondiale et chercheur principal au Policy Center for the New South, un centre de réflexion basé au Maroc. « Il y a aussi des freins légaux, reprend-il. L’administration américaine peut punir sévèrement les banques si certaines transactions ou certains clients sont jugés peu transparents. Le coût risque-avantage ne plaide pas pour une entrée dans le segment de la banque commerciale. » D’ailleurs, jusqu’ici, ce sont principalement les banques panafricaines et les États qui ont repris les anciennes filiales de Standard Chartered, BNP Paribas ou encore Société générale.
Mainmise sur les fusions-acquisitions
En revanche, Citigroup, Bank of America, JP Morgan mais aussi Goldman Sachs ont largement renforcé leurs services aux entreprises tout comme le conseil aux États. Les cinq premiers conseillers financiers dans le domaine des fusions-acquisitions en Afrique subsaharienne au premier semestre 2024 sont des banques américaines. Illustration: dans sa nouvelle tentative, en début d’année, d’acquisition du géant sud-africain Multichoice – opération qui tient en haleine tout le secteur audiovisuel africain –, Canal+ détenu par Vincent Bolloré a ainsi engagé BofA Securities et JP Morgan comme conseillers financiers. Ce top 5 accapare 94 % de la valeur des opérations, selon la société d’analyses de données financières LSEG Data & Analytics, Morgan Stanley arrivant en tête sur la période avec des opérations se montant à 15,4 milliards de dollars.
Le développement du secteur privé est le prochain relais de croissance dans la plupart de nos pays en Afrique. Et c’est naturellement notre force, car ce sont ces mêmes multinationales et grandes entreprises locales que nous accompagnons dans leur développement, que ce soit dans le secteur des infrastructures, de l’agriculture, ressources naturelles, de la santé etc.
Dans ce domaine, Citigroup (20,3 milliards de dollars de revenu au troisième trimestre 2024), dirigé par Jane Fraser, jouit d’une longueur d’avance, fort de son ancienneté et de son implantation. Un acquis dont il entend bien en profiter: « L’État prééminent, qui fait tout, va graduellement disparaître au profit des investissements privés locaux et étrangers, prédit ainsi Papa Sall, responsable Afrique centrale et de l’Ouest chez Citigroup. Le développement du secteur privé est le prochain relais de croissance dans la plupart de nos pays. Et c’est naturellement notre force, car ce sont ces mêmes multinationales et grandes entreprises locales que nous accompagnons dans leur développement que ce soit dans le secteur des infrastructures, de l’agriculture, des ressources naturelles, de la santé…» En 2022, par exemple, la banque a octroyé une facilité de crédit renouvelable de 125 millions de dollars à AirTel Africa et a aidé la start-up médicale ghanéenne mPharma à lever 35 millions de dollars. Avec sa récente tournée africaine, le DG de JP Morgan, Jamie Dimon, a clairement indiqué que son groupe souhaitait rattraper une partie de son retard.
Boom des échanges avec le Moyen-Orient
Il s’agit pour ces banques d’être déjà en première ligne quand la zone de libre-échange continentale (Zlecaf) fonctionnera véritablement: « JP Morgan, Goldman Sachs et les autres suivent de très près l’augmentation des transactions car s’il y a une montée en puissance du marché des capitaux couplée à une harmonisation entre les banques centrales, alors le ratio retour sur investissement et risque deviendra très attractif », explique le chercheur Otaviano Canuto. En attendant, les banques américaines misent sur un marché déjà en expansion: les échanges financiers et commerciaux entre l’Afrique et le Moyen-Orient.
En 2022 et 2023, les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont financé pour près de 113 milliards de dollars d’investissements directs en Afrique, soit plus que sur la période 2012-2022 (102 milliards de dollars). Les échanges fonctionnent aussi dans l’autre sens: de nombreuses entreprises africaines, notamment nigérianes, ont fait de Dubaï leur hub pour le marché moyen-oriental et asiatique. Pour obtenir les documents commerciaux, elles passent pas les banques américaines, présentes des deux côtés et respectées par les deux parties. « Chez Citi, l’Afrique et le Moyen-Orient font partie du même cluster. Nos clients, surtout dans le domaine du transport maritime et des ressources naturelles, connaissent nos pratiques, nos plateformes, ils nous font confiance. Notre ambition, c’est d’être la banque prééminente pour les entreprises qui veulent aller au-delà de leurs frontières et qui ont besoin de services de trade, forex ou cash management », énumère Papa Sall.
Accord innovant au Gabon
Sur le terrain des grands investissements, les Américains se savent, pour le moment, intouchables. « Quand il s’agit d’opérations adossées à une agence de crédit à l’exportation [synonyme de gros projets], nous ne pouvons pas rivaliser avec eux », admet un banquier. L’essor des établissements moyen-orientaux pourrait changer la donne. Yvonne Ike mise non pas sur la quantité mais sur la qualité des services financiers. Et milite pour de meilleurs investissements, notamment afin de combler le déficit de financement en matière d’infrastructures, évalué à 100 milliards de dollars par an par la Banque africaine de développement.
« Nous pouvons offrir des services financiers plus élaborés, respectant notre politique de croissance responsable, grâce à notre label Investment grade [qui permet d’accorder des prêts en devise à moindre coût] et en soutenant le développement d’instruments financiers pourvus de garanties de dettes et de solution d’assurance », souligne-t-elle. En 2023, Bank of America associée à la Société financière de développement américaine (DFC, bras financier de la politique de développement de l’administration de Washington), a piloté une dette-nature – allègement de la dette extérieure contre des investissements locaux dans la protection de l’environnement – de 500 millions de dollars au Gabon. Deux semaines après la conclusion de cet accord innovant, le coup d’État renversait le pouvoir. Or les obligations se négocient toujours bien.
De fait, les banques états-uniennes continuent d’accaparer le secteur historique de la gestion de dettes des États. JP Morgan, Citi, BofA Securities et Morgan Stanley ont supervisé 44,2 % de la dette des pays subsahariens au premier semestre 2024, selon LSEG Data & Analytics. Après deux ans d’absence, le Nigeria est à nouveau sorti sur le marché international le 2 décembre via l’émission d’eurobonds pour 500 millions de dollars, gérée entre autres par Citigroup, Goldman Sachs et JP Morgan.
Business vs « shithole countries »
Finalement, les interrogations ne viennent pas d’Afrique mais de Washington. La seconde administration Trump continuera-t-elle à investir en Afrique et ses « shithole countries », comme le futur 47e président des États-Unis surnomme certains pays ? Tous les regards se tournent vers le corridor de Lobito, méga projet d’infrastructures qui doit faciliter le transport de minerais critiques entre l’Angola, la Zambie et la République démocratique du Congo. Joe Biden, présent en Angola début décembre, s’est fortement impliqué dans l’opération. Washington y a déjà injecté plus de 4 milliards de dollars. Les banques US sont étroitement associées au circuit de financement. Que fera Trump, porte-étendard du « America First » ?
« La [prochaine] administration continuera d’encourager les efforts déjà consentis pour développer des partenariats solides avec les États africains et les entreprises locales, pour faire face à la compétition internationale », veut croire un acteur américain. Ce qu’a confirmé l’ancien envoyé spécial de Donald Trump pour la région des grands Lacs et du Sahel (2018-2021), John Peter Pham, lors de l’African Summit organisé par le Financial Times à Londres en octobre: « Les États-Unis ont besoin de ces minerais pour assurer la transition énergétique et développer les technologies du futur. La RDC est le deuxième producteur mondial de cuivre. Il y a un accord gagnant-gagnant possible. »
Mais celui qui a l’oreille de Trump est également partisan d’une âpre renégociation de l’aide américaine sur le continent, à commencer par celle à destination de l’Afrique du Sud. Le diplomate s’est ouvertement demandé si le principal bénéficiaire de la loi sur la croissance et les opportunités économiques en Afrique (Africa Growth and Opportunity Act, Agoa) devait encore y avoir droit car l’« un des critères est de ne pas miner les intérêts de la politique étrangère américaine ou de la sécurité nationale », citant la présence du président sud-africain Cyril Ramaphosa à Kazan lors du dernier Sommet des Brics en octobre, ou encore la position de Pretoria sur la guerre menée par Israël. Or, l’Afrique du Sud est la principale porte d’entrée des banques américaines sur le continent.
Source: JeuneAfrique
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