Paula Santos Da Costa, la « gendarme » de la BAD

Paula Santos Da Costa, la « gendarme » de la BAD
Paula Santos Da Costa, la « gendarme » de la BAD

Estelle Maussion

Africa-Press – Burkina Faso. LE PORTRAIT ÉCO DE LA SEMAINE – Quinze mois d’exclusion pour la société d’ingénierie éthiopienne Beza Consulting Engineers, treize pour l’entreprise tunisienne Société Bel Mabrouk des travaux publics et investissements (SOBMTI), neuf pour le constructeur ivoirien Entreprise de commerce et de construction immobilière (Ecci), trente-cinq pour le groupe chinois Weihai Construction, actif notamment au Kenya…
Ce sont quelques-unes des dernières sanctions prises par la Banque africaine de développement (BAD) contre des acteurs privés opérant sur le continent, coupables de pratiques frauduleuses lors d’appel d’offres organisés par l’institution panafricaine ou d’opérations financées par cette dernière.

Arsenal anti-corruption
Ces exclusions, rendues publiques et dont la durée peut atteindre plusieurs années – la plus sévère depuis 2013 a été de cinq ans –, constituent l’étendard de la politique d’intégrité et de lutte contre la corruption de la BAD, initiée sous la présidence de Donald Kaberuka à partir de 2005 et poursuivie par le patron de la banque depuis 2015, Akinwumi Adesina.

Au cœur du dispositif, se trouve le Bureau de l’intégrité et anti-corruption – Piac en langage BAD –, qui mène les investigations sur les cas présumés de comportements non-éthiques au sein de la banque, comme dans ses opérations, ainsi que des actions de sensibilisation.

Depuis le début de 2021, cette entité clé en lien direct avec la présidence est dirigée par la juriste bissau-guinéenne Paula Santos Da Costa. À la tête d’une équipe d’enquêteurs et responsable de la protection des lanceurs d’alerte, celle que l’on peut surnommer la « gendarme de la BAD » incarne l’une des chevilles ouvrières de la promotion de la transparence, une mission aussi nécessaire que sensible.

Dotée d’un véritable arsenal anti-corruption et travaillant de concert avec les autres institutions internationales, dont la Banque mondiale (BM), la BAD a été ébranlée en 2020 par des accusations de mauvaise gouvernance visant le président Adesina, finalement sorti blanchi d’une enquête menée par un comité indépendant. D’où la pression sur les épaules de la directrice du Piac pour muscler l’action d’une institution qui se veut le fer de lance du développement et de la diffusion des bonnes pratiques en Afrique.

Efficacité grandissante
Simple division du bureau de l’auditeur général à l’origine, le Piac est devenu un département à part en entière à partir de 2010. En parallèle, c’est au cours de cette même année que Paula Santos Da Costa a quitté la tête de la division des litiges de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour rejoindre le bureau de l’éthique de la BAD.

Sous l’égide de ses directeurs successifs et prédécesseurs de l’actuelle patronne (Anna Bossman, actuelle ambassadrice du Ghana en France ; Bubacarr Sankareh, ancien auditeur général de Gambie et Alan Bacarese, aujourd’hui directeur des investigations, de la stratégie et des opérations de la BM), le Piac s’est structuré en deux divisions – l’une dédiée à la prévention, l’autre aux enquêtes – et étoffé ; il compte désormais une trentaine de personnes.

LE TAUX D’ACHÈVEMENT DES ENQUÊTES POUR FRAUDES EST PASSÉ DE 45 % EN 2020 À 58 % EN 2022

Cette consolidation, intervenue dans le cadre du renforcement global du cadre réglementaire et des fonctions d’audit et de contrôle de la banque, a permis au bureau de gagner en force et en visibilité. « Le travail et le mandat du Piac sont certes exigeants, mais il s’agit d’une noble mission que l’équipe s’engage à assurer au quotidien, et avec distinction », a mis en avant Paula Santos Da Costa, formée en droit au Portugal et en France, dans le dernier rapport annuel de sa division, publié en juillet.

Outre la cinquantaine de formations délivrées chaque année en interne et en externe, le Piac affiche une efficacité croissante sur les trois dernières années : son taux d’achèvement des enquêtes (qui durent de quelques semaines à plusieurs mois) est ainsi passé de 45 % en 2020 à 58 % en 2022 pour les dossiers de fraude, et de 72 % à 81 % sur la même période pour les cas d’inconduites du personnel, le « pipeline » d’enquêtes en cours ayant logiquement fondu (de 138 à 67 pour les fraudes et de 43 à 21 pour les inconduites).

Travail délicat
Concrètement, le travail des enquêteurs, qui constitue le point de départ du dispositif anti-corruption de la banque, est délicat : il consiste à déterminer si les plaintes reçues – la plupart du temps des dénonciations de concurrents dans le cas d’appel d’offres ou de lanceurs d’alerte sur les inconduites internes – ont un fondement et, le cas échéant, à établir un dossier permettant au bureau des sanctions, autre entité du dispositif, de préconiser une peine.

Celle-ci peut aller de la simple lettre de réprimande à l’exclusion des appels d’offre, en passant par des mesures d’accompagnement pour les entreprises, du blâme au licenciement pour les employés de la banque. L’ensemble de ce travail est transmis au président de la BAD et au conseil d’administration de la banque, qu’il dirige, et va servir à la prise de décision. Un recours est par la suite possible devant la commission d’appel des sanctions et un règlement négocié (médiation pour les dossiers d’inconduite) peut être lancé à tout moment.

Critiques
Même robuste, le système n’est pas infaillible. Et le Piac comme sa patronne, qui a démarré sa carrière au département du Trésor portugais avant un passage en banque et en cabinet d’avocats puis au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en Guinée-Bissau, ne sont pas exempts de critiques.

DANS LA PRATIQUE, CE SONT SURTOUT DES PETITES ENTREPRISES QUI SONT SANCTIONNÉES

Le combat en faveur de la bonne gouvernance bute tout d’abord sur la particularité du terrain africain, encore largement marqué par l’opacité et l’informel, ainsi que par le maintien d’une frontière floue entre intérêts privé et public. Dans ce cadre, une politique reposant sur la dénonciation comme celle de la BAD ne permet de faire émerger qu’une partie des comportements problématiques et non la totalité.

Ensuite, le dispositif anti-corruption, même très structuré et inspiré des meilleures pratiques au niveau international, connaît des difficultés de mise en œuvre. « Dans la pratique, ce sont surtout des petites entreprises qui sont sanctionnées. Les grandes entreprises et multinationales disposent d’un arsenal de juristes qui peut les tirer d’affaire face à une certaine faiblesse de ceux de la banque », commente un bon connaisseur de l’institution panafricaine.

Celui-ci et plusieurs autres observateurs déplorent deux autres points faibles : le manque de coordination entre les différentes entités anti-corruption et, surtout, l’absence d’indépendance du Piac vis-à-vis du président de la BAD. Sur le papier, les termes de référence du département et les règles d’éthique de la banque assurent une liberté d’action aux enquêteurs. Mais dans les faits, la directrice du Piac est nommée par le patron de la banque et placée sous l’autorité de ce dernier, qui est le décisionnaire final sur les dossiers de sanctions.

Risque de conflit d’intérêt
La situation apparaît donc synonyme de risque de conflit d’intérêt ; l’arbitre-président Adesina, en raison de son carnet d’adresses, de son expérience professionnelle et de ses amitiés, peut ainsi être perçu comme étant à la fois juge et partie dans des affaires de fraude comme d’inconduite du personnel.

Paradoxalement, le parcours même de la patronne de Piac, par ailleurs une juriste à l’expertise reconnue, tend à fragiliser la crédibilité du département. Le nom de Paula Santos Da Costa est en effet apparu en 2020 dans la plainte adressée par les lanceurs d’alerte pour dénoncer les failles de la gouvernance Adesina.

ON A L’IMPRESSION QUE, DERRIÈRE LE DISCOURS, IL N’Y A PAS UNE VÉRITABLE VOLONTÉ POLITIQUE

Après avoir rejoint la banque en 2010 au sein de son bureau de l’éthique, la juriste a quitté le service en 2018 pour devenir l’assistante spéciale du vice-président chargé des ressources humaines, le Mozambicain Mateus Magala, un autre lusophone qui a plus tard, en juin 2022, quitté la BAD pour devenir ministre des Transports de son pays.

Restée moins de deux ans à ce poste d’assistante spéciale, ce qui est pourtant la durée minimale prévue par le règlement de la BAD, Paula Santos Da Costa est ensuite retournée au bureau de l’éthique au début de 2020 pour en prendre les commandes, après avoir déposé une plainte pour harcèlement contre le directeur par intérim, plainte dont elle a reconnu, selon nos informations, l’absence de fondement lors de la médiation.

« Dans n’importe quelle organisation, cette donnée aurait – a minima – disqualifié la candidate pour le poste de directeur du bureau de l’éthique », avaient pointé en avril 2020 les lanceurs d’alerte. Un avis que ne partage visiblement pas la BAD. « En interne, on a l’impression que, derrière le discours, il n’y a pas une véritable volonté politique », pointe le connaisseur de la banque précédemment cité. Contactés, ni Paula Santos Da Costa ni la communication de la BAD ont répondu à notre demande d’interview.

Un accord d’exclusion mutuelle dissuasif
En attendant, l’institution rappelle régulièrement son engagement de longue date en faveur de la bonne gouvernance, insistant sur le fait qu’elle cherche, en permanence, à renforcer son arsenal anti-corruption.

Elle a aussi un bilan à faire valoir. Sur le volet externe, le nombre d’entreprises sanctionnées par la BAD s’inscrit en constante hausse, passé de 2 en 2013 à 73 en 2022. Cette montée en puissance se double de la pratique, très dissuasive, de l’exclusion mutuelle, en vigueur depuis 2010 et pratiquée avec quatre autres institutions (la Banque asiatique de développement, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la Banque interaméricaine de développement et la Banque mondiale).

LES ACTIONS DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION SONT DES INVESTISSEMENTS À LONG TERME

« L’accord d’exclusion mutuelle joue un rôle fondamental pour la BAD, qui exclut en propre moins de 100 sociétés et dirigeants par an contre 293 entités en 2018 et 234 en 2019 via l’exclusion mutuelle », ont souligné dans un article publié en février 2021 les avocats Peter Spivack, Salomé Lemasson et Malak Hamwi du cabinet Hogan Lovells.

Sur le plan interne, la banque insiste sur le rôle proactif joué par le Piac : non seulement le bureau redouble d’efforts sur le volet préventif via des formations, mais il muscle sans cesse la traque des comportements inappropriés, ayant revu en 2021 la typologie des inconduites pour y ajouter, aux cas d’infractions déjà identifiés comme l’abandon de poste ou le harcèlement, d’autres pratiques répréhensibles dont les discriminations et les représailles.

« Les actions de lutte contre la corruption sont des investissements à long terme, qui impliquent l’établissement, la mise en œuvre et la modernisation des politiques et des structures », a ainsi rappelé en juillet Paula Santos Da Costa.

Outre l’adoption d’un nouvel outil de filtrage des plaintes en 2022, le service qu’elle dirige est engagé dans l’évaluation des risques d’intégrité à l’échelle de la banque et assure depuis avril la diffusion de la nouvelle politique de dénonciation de la BAD, qui renforce la protection des lanceurs d’alerte tout en élargissant le champ des plaintes aux consultants et fournisseurs de la banque.

Source: JeuneAfrique

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