Pétrole : en Afrique, les petits traders deviendront-ils grands ?

Pétrole : en Afrique, les petits traders deviendront-ils grands ?
Pétrole : en Afrique, les petits traders deviendront-ils grands ?

Maher Hajbi

Africa-Press – Burkina Faso. Si les acteurs du continent grapillent progressivement du terrain, l’univers turbulent du trading pétrolier reste dominé par les grandes maisons de négoce au modèle d’affaires extrêmement agressif.
Leur nom revient souvent quand il s’agit d’acheter le pétrole brut et de vendre les produits raffinés: essence, diesel, kérosène… Leur rôle ? Servir d’intermédiaires entre les producteurs, les raffineurs et les distributeurs d’or noir sur des marchés fortement volatils. Ils sont partout en Afrique. Peu importe que le baril de pétrole s’échange à prix négatif ou se traite à des records historiques. Avec des reins financiers extrêmement solides, les géants mondiaux du négoce ne peuvent qu’optimiser la rentabilité de leurs flux au rythme des fluctuations des prix.

Vitol, Glencore, Trafigura, Mercura ou encore Gunvor… Présents dans tous les conclaves qui comptent au cœur de l’industrie pétrolière, ces discrets mais puissants acteurs sont devenus au fil des décennies indispensables sur le continent. États, compagnies pétrolières nationales, traders africains et marketeurs locaux… Ils sont tous, ou presque, aux mains des plus gros négociants occidentaux. À l’heure où des entreprises africaines se fraient progressivement un chemin, la marche reste considérablement haute pour rivaliser avec les mastodontes du secteur.

Prêts contre cargaisons

« Les plus grandes maisons de négoce sont très bien déployées en Afrique avec leur armada de traders qui officient depuis les quatre coins du monde. Il est impensable de leur faire de l’ombre », concède Aly Sy, ancien trader chez Vitol, le numéro un mondial, reconverti dans le consulting. Installés principalement en Suisse, à Genève, Zoug ou Lugano, où ils bénéficient d’une fiscalité avantageuse et d’un accès stratégique aux banques, les géants internationaux du trading de pétrole disposent également de bureaux à Dubaï, Londres, New York, Singapour et Rotterdam.

Depuis les terres helvètes, ils négocient une grande partie des barils de pétrole vendus à travers le monde, décident des allées et venues des supertankers et soignent délicatement leur marge. Portés par le bouleversement des chaînes d’approvisionnement et l’accélération de la demande d’énergie fossile, notamment en Afrique, Vitol, Glencore ou encore Trafigura ont signé une année 2023 record, avec 100 milliards de dollars de marge brute, soit la deuxième meilleure année de leur histoire et le double du niveau pré-pandémie, selon un rapport du cabinet Oliver Wyman.

« Facilitateurs » des transactions pétrolières, les groupes de négoce, alliés indispensables, et parfois peu recommandables, des États africains, proposent aussi des financements aux pays à court de liquidités pour renflouer les caisses déficitaires et finaliser les opérations en suspens.

À l’heure où les institutions bancaires européennes ferment les vannes des financement des projets pétroliers en Afrique pour encourager la transition énergétique, les négociants proposent diverses options d’endettement et octroient des prêts aux pays du continent, dont le remboursement se fait à travers les cargaisons de brut de l’État contractant. Pour mettre la main sur Assala Energy, contre environ 1,055 milliard de dollars, le Gabon – incapable de convaincre les banques de lui prêter l’argent – a par exemple trouvé son salut auprès de la maison de négoce Gunvor.

Discrimination sur les marchés financiers

« Heureusement que les géants du trading existent car ils interviennent dans ce genre de transactions et prêtent de l’argent frais aux États pour qu’ils puissent financer leurs projets », glisse Mohamed Ndao. Aux manettes du trader genevois Okapi, le négociant franco-sénégalais, passé par TotalEnergies et Addax, estime que « développer un solide marché financier en Afrique est indispensable pour soutenir les activités de trading des opérateurs locaux, alors que les banques européennes s’activent pour changer leur profil d’investissement dans le cadre de la transition énergétique ».

« En Afrique, il est sans doute compliqué de voir émerger des sociétés aussi importantes dans la mesure où les difficultés de financement persistent sur le continent en raison de taux d’intérêt exorbitants », juge Jean-Pierre Favennec, spécialiste de la géopolitique de l’énergie.« Actuellement, les taux d’intérêt varient entre environ 3 % pour les grandes maisons de négoce et près de 10 % pour les petits traders avec des primes de risque souvent injustifiées », estime-t-il. Selon lui, les opérateurs africains sont « victimes de discrimination sur les marchés financiers ». Une situation qui réduit les capacités opérationnelles de ces acteurs, à en croire Aly Sy, car « faute de volumes considérables d’argent, les traders africains n’ont pas la même capacité de négociation et restent, ainsi, moins compétitifs que les géants occidentaux ».

Si ces dernières années de nombreux professionnels africains commencent à se faire une place, beaucoup d’entre eux se limitent à approvisionner un seul pays ou une poignée de pays en Afrique, hormis quelques exceptions, en l’occurrence le géant nigérian du trading Sahara Group. Poids moyen du secteur avec une présence dans 38 pays à travers le monde et un bilan consolidé supérieur à 10 milliards de dollars, le groupe, fondé en 1996 – dont le siège social est désormais à Dubaï – reste, toutefois, très loin des revenus stratosphériques des grandes maisons de négoce.

« Formés chez les traders ou dans les universités spécialisées, les professionnels africains disposent de la technicité nécessaire pour exercer le métier, mais l’absence de grandes lignes de crédit reste l’un des freins majeurs au développement de gros acteurs en Afrique », insiste le trader ivoirien Charles Thiémélé, à la tête de la division Afrique du négociant genevois BGN. Autre hic, et non des moindres, « les banques africaines actives sur ces marchés-là sont très chères et exigent des taux assez élevés », critique Mohamed Ndao, le fondateur d’Okapi Energy.

Faire émerger des champions africains

Pour inverser la tendance face aux maîtres de l’or noir, particulièrement imposants en Afrique subsaharienne, les professionnels africains ont besoin de financements colossaux et du soutien des États. « Faire émerger des champions africains est avant tout une question de volonté politique », confirme Aly Sy. Bien qu’il reconnaisse que « les grandes maisons de négoce se sont rendues incontournables dans la commercialisation du brut et l’achat du carburant sur le continent », l’ex-trader souhaite voir les décideurs soutenir les acteurs locaux dans le processus.

Que ce soit dans les contrats directs ou les appels d’offres, le soutien gouvernemental passe, dans un premier temps, par l’attribution aux opérateurs panafricains de quotas supérieurs. Ensuite, « les gouvernements peuvent aussi imposer aux solides banques locales de financer les traders locaux à des taux préférentiels », enchaîne Charles Thiémélé, selon lequel « tout un écosystème doit être mis en place pour permettre aux spécialistes du trading de se faire une place dans leur pays avant de pouvoir s’exporter vers les pays voisins et en dehors du continent ».

Certes, les États francophones privilégient pour le moment les géants comme Glencore, Vitol et Trafigura. De fait, leur collaboration avec les traders locaux suscite souvent des soupçons de mauvaise gestion. Proche de Denis Sassou Nguesso, le patron du groupe de courtage Orion Oil, très actif à Brazzaville et à Kinshasa, Lucien Ebata, a été mis en examen en 2021 pour blanchiment et corruption active de personne dépositaire de l’autorité publique dans le cadre de ses activités.

Le problème du raffinage

Outre la vision stratégique à adopter et des risques de détournement, le Camerounais Perrial Jean Nyodog pointe un dysfonctionnement: la faible capacité des États africains à raffiner le pétrole brut sur le continent avant de le commercialiser. « Malheureusement, les raffineries africaines n’ont pas toujours eu la possibilité d’approvisionner leur marché, d’avoir des excédents à écouler dans les pays voisins », explique le président du Gulfcam et ex-dirigeant de Tradex, la filiale de la Société nationale des hydrocarbures (SNH).

Élément clé de l’industrie du trading, les raffineries du continent sont soit à l’arrêt, soit incapables de tourner à plein régime. Face aux difficultés d’approvisionnement en carburant, plusieurs pays du continent envisagent de (re)donner vie aux installations de raffinage, mais, à ce jour, les producteurs africains d’or noir continuent d’importer les produits raffinés de l’étranger. Pendant ce temps, « les grandes maisons de négoce jouissent de solides liens avec les raffineries à travers le monde pour doper leur force de frappe opérationnelle », appuie Perrial Jean Nyodog.

« S’il y a un homme d’affaires africain capable de faire face aux géants internationaux du négoce pétrolier, c’est Aliko Dangote. Mais là encore, l’entrepreneur le plus riche du continent n’y arrive pas pour l’instant, alors qu’en est-il des simples traders ? » s’interroge Charles Thiémélé. Redoutable businessman, Aliko Dangote pensait pouvoir tourner le dos aux maisons de négoce pour approvisionner sa raffinerie en brut et commercialiser ses produits raffinés. Il a fini par regretter de s’être engagé dans ce projet, critiquant « la mafia pétrolière » qui contrôle le marché.

« Le trading pétrolier est une question de moyens et de corrupteurs », réitère Aly Sy, mettant en évidence ses zones d’ombre et soulignant que « les mastodontes du négoce distribuent des centaines de millions de dollars à tour de bras, des compagnies pétrolières nationales aux raffineries, pour rafler la mise ». Alors que les scandales de corruption ont terni l’image des firmes helvétiques – deux procès ouverts au public en 2024 ciblent Trafigura et Gunvor avec en toile de fond la République du Congo et l’Angola, révèle l’organisation Public Eye, anciennement la déclaration de Berne –, les patrons des grandes maisons affirment que « la page sombre de l’histoire du secteur a été tournée ».

Si des litiges sont en cours de traitement, les sociétés internationales ont radicalement durci les règles de conformité en interne. Orientées vers l’avenir et soucieuses de soigner leur image, les grandes entreprises se sont également engagées sur la voie de la transition énergétique. Dans la course acharnée à la diversification, les négociants investissent désormais des milliards dans les énergies renouvelables, le trading de carbone et les métaux critiques pour la transition énergétique.

Source: JeuneAfrique

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