Par Julien Gourdon
et Simon Azuélos
Africa-Press – Burkina Faso. Après avoir connu une accélération fulgurante depuis les années 1990, les Zones économiques spéciales (ZES) se sont multipliées sur le continent africain. On en dénombre désormais près de 230 sur le territoire, mais la question de leurs conséquences sur les économies africaines se posent toujours.
Les Zones économiques spéciales (ZES) sont devenues un pilier de l’agenda d’industrialisation de l’Afrique. Sur la carte économique du continent, les ZES se multiplient comme des éclats lumineux. On en compte aujourd’hui plus de 230, réparties dans 43 pays. Leur promesse est simple mais ambitieuse: attirer les investissements, stimuler les exportations, créer des emplois et accélérer l’industrialisation.
Leur recette repose sur un cocktail bien rodé: incitations fiscales généreuses, procédures administratives allégées et infrastructures clés en main. Inspirées des succès asiatiques depuis les années 1970, elles connaissent une accélération fulgurante depuis les années 1990, souvent soutenues par des capitaux étrangers. Mais derrière cette expansion impressionnante se cache une interrogation essentielle: ces zones changent-elles vraiment la donne pour les économies africaines ou ne sont-elles que des vitrines tournées vers l’extérieur, séduisantes mais isolées?
Emplacement des ZES en Afrique en 2023
Vendre mieux et plus loin
Les résultats économiques montrent que, dans de nombreux pays, les ZES ont ouvert de nouvelles portes à l’export. Elles ont permis aux entreprises installées sur le continent de diversifier leurs débouchés, de produire des biens plus sophistiqués et de pénétrer des marchés jusque-là inaccessibles (Banque mondiale 2017). C’est le modèle exportatif dans toute sa logique: plutôt que de se limiter à quelques produits bruts destinés à un nombre restreint de clients, il s’agit d’élargir le marché d’exportation et de monter en gamme.
Dans plusieurs cas, cette stratégie a renforcé la résilience des économies face aux chocs extérieurs en améliorant la qualité des exportations et en multipliant les destinations. Les données confirment que les ZES sont particulièrement efficaces pour accroître la sophistication technologique des produits africains et élargir la carte des marchés conquis. Autrement dit, elles permettent de vendre mieux et plus loin.
Sophistication des exportations et pénétration des marchés d’exportation en Afrique (1995-2022)
La difficile diversification des exportations
Pourtant, si l’on observe les effets plus en détail, le tableau devient moins uniforme. Les ZES africaines peinent encore à véritablement diversifier les produits exportés (CNUCED 2023). Bien souvent, elles se contentent d’expédier vers de nouvelles destinations les mêmes types de biens qu’auparavant, sans créer de nouvelles filières.
L’intégration dans les chaînes de valeur régionales reste également limitée. Nombre d’entre elles orientent leurs flux vers l’Asie, l’Europe ou l’Amérique, avec peu de connexions vers les pays voisins. Le risque est alors de voir apparaître des îlots industriels isolés, prospères sur le papier, mais sans réel effet d’entraînement sur le tissu économique local.
Des bénéfices concrets, mais inégaux
Au-delà des chiffres du commerce extérieur, l’impact social des ZES mérite attention. Les données de terrain, bien que rares, livrent des enseignements précieux. Les ménages vivant à moins de dix kilomètres d’une zone économique spéciale voient en moyenne leur patrimoine croître de manière significative.
Les bénéfices sont concrets: logements de meilleure qualité, accès élargi aux services publics, consommation accrue de biens durables, niveaux d’éducation plus élevés et recul de l’emploi agricole. Ces effets positifs touchent à la fois les habitants de longue date et les migrants venus chercher des opportunités à proximité, ce qui montre que les ZES ne creusent pas les inégalités locales et favorisent l’urbanisation.
Augmentation du patrimoine moyen des ménages selon la distance aux ZES
Cependant, l’enthousiasme s’atténue lorsqu’il s’agit de l’emploi féminin. Contrairement à d’autres régions du monde en développement, où les zones industrielles ont été un vecteur important d’intégration des femmes sur le marché du travail, le continent africain affiche des résultats plus timides. La structure sectorielle, dominée par l’agro-industrie et les industries extractives, offre moins de débouchés aux travailleuses.
À cela s’ajoutent les contraintes liées aux rôles traditionnels et la répartition des tâches au sein des ménages, qui freinent l’emploi féminin malgré la création d’opportunités dans l’entourage immédiat (Ecofin 2023).
Gouvernance et modèle économique
Pourquoi certaines ZES réussissent-elles quand d’autres stagnent? Les recherches montrent que la gouvernance et le modèle économique font toute la différence. Les zones proposant des incitations substantielles et bien ciblées, en particulier lorsqu’elles sont spécialisées ou diversifiées, obtiennent les meilleurs résultats à l’export.
Les modèles de partenariat public-privé ou de gestion privée surpassent nettement les zones gérées exclusivement par l’État, qui affichent souvent des performances inférieures. À l’inverse, les projets de revitalisation des exportations peinent à élargir la gamme de produits ou à conquérir de nouvelles destinations, et les zones offrant peu d’avantages n’ont pratiquement aucun effet mesurable.
Performance à l’export selon le modèle de gouvernance
Nouvelle feuille de route pour les prochaines ZES
Si les ZES veulent évoluer du statut d’enclaves industrielles à celui de véritables moteurs de transformation, elles doivent s’inscrire dans une stratégie économique globale. Cela signifie tisser des liens solides avec l’économie nationale et les chaînes de valeur régionales, en particulier dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine.
Cela implique aussi de se conformer aux normes internationales en matière d’environnement, de responsabilité sociale et de gouvernance, pour garantir leur durabilité et leur acceptabilité. Le soutien aux petites et moyennes entreprises locales, l’accès au financement, la formation professionnelle et le développement d’infrastructures physiques et numériques de qualité font partie des conditions essentielles pour attirer des investisseurs à forte valeur ajoutée.
Certains pays montrent déjà la voie. Au Maroc, au Kenya, au Rwanda ou en Égypte, des zones de nouvelle génération intègrent des objectifs d’industrialisation verte, soutiennent l’innovation et favorisent l’inclusion sociale. Elles illustrent comment il est possible de conjuguer croissance économique et respect des engagements environnementaux et sociaux.
En définitive, les ZES africaines ne constituent pas une baguette magique capable, à elles seules, de transformer les économies du continent. Mais elles peuvent devenir un accélérateur puissant lorsqu’elles sont bien conçues, bien gérées et intégrées dans un projet industriel cohérent. Leur avenir dépendra de la capacité des gouvernements et du secteur privé à bâtir des zones ouvertes sur leur environnement, capables de créer de la valeur localement et de contribuer à la réduction des inégalités. La vraie question n’est pas tant de savoir s’il faut ou non des ZES, mais comment en faire un levier inclusif et durable, plutôt qu’un simple outil fiscal ou un pôle isolé.
Nous remercions les co-auteurs de l’étude: Sid Boubekeur, Peter Kuria Githinji, Cecília Hornok, Alina Muluykova et Zakaria Ouari.
Julien Gourdon, Economiste, Agence Française de Développement (AFD) et Simon Azuélos, Analyste Afrique, Agence Française de Développement (AFD)
Source: JeuneAfrique
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