Burkina – S.O.S. musée de l’Eau : Les marchands de la terre s’attaquent à la culture

Burkina - S.O.S. musée de l’Eau : Les marchands de la terre s’attaquent à la culture
Burkina - S.O.S. musée de l’Eau : Les marchands de la terre s’attaquent à la culture

Africa-Press – Burkina Faso. Menacé d’accaparement, l’espace du musée de l’Eau, situé au quartier Moutili du village de Kouanda, dans la commune de Saaba, risque d’être amputé de deux hectares. Un litige foncier oppose le premier responsable de ce patrimoine national, Alassane Samoura, au sieur K.Z, agent à la mairie de Saaba. Le dossier est en justice en attendant un éventuel procès.

Érigé depuis 2005 dans la commune de Loumbila, près de l’actuel marché des fruits et légumes de ladite commune, le musée de l’eau s’est déporté en 2017 dans la commune de Saaba, précisément dans le village de Kouanda, sur une superficie de dix hectares à un jet de pierres de la voie de contournement du Grand Ouaga.

Mais avant de s’installer, le promoteur du musée Alassane Samoura dit avoir notamment eu recours à un cabinet pour les levées topographiques. Après le bornage, une enquête sociologique a été faite en avril 2011 auprès des riverains et chefs coutumiers pour s’assurer que le terrain était exempt de tout reproche. Le paiement du terrain a été effectué en quatre tranches à raison de 400 000 FCFA l’hectare et des démarches ont été entamées pour la procédure de finalisation des documents fonciers auprès de la mairie de Saaba.

Une « école »

Bref ! Alassane Samoura assure avoir mis en place tous les garde-fous pour protéger ce musée où « Nul n’entre s’il ne boit de l’eau ». Pour ceux qui ne l’ont jamais visité, on y trouve des objets et matériels liés à la chaîne de transmission de l’eau, mais surtout l’or bleu dans tous ses états linguistiques. Ce musée séduit de plus en plus les jeunes. Plus de 800 élèves, 25 familles et cinq expatriés ont visité ce haut lieu de savoir en 2021. Sans oublier quatre étudiants qui ont visité les lieux dans le cadre de leurs travaux de recherches de fin d’études. Le musée de l’eau draine du monde depuis 2017, année où son promoteur, Alassane Samoura a commencé à dérouler son schéma d’aménagement.

Mais depuis quelques mois, l’accès au site est difficile. La route principale est obstruée par une maisonnette et une tranchée creusée pour délimiter un espace dans lequel l’on retrouve des bornes et d’autres maisonnettes. Des démarcheurs de terrain font le pied de grue à moins de 100 mètres de l’espace où sont exposés les objets et matériels du musée. Le visage du musée à bien changé. Que se passe-t-il ?

Le début des ennuis

Depuis deux ans, le sociologue Alassane Samoura dit avoir constaté qu’un autochtone s’est emparé de deux hectares de superficie de son terrain qu’il a revendu à une autre personne B.M. « Le dossier est allé en justice et l’acheteur est venu me voir pour dire qu’il s’est rendu compte que celui qui lui a vendu la parcelle n’est pas du tout sérieux. Il a proposé qu’on arrête la procédure judiciaire et qu’on règle le problème à l’amiable. On est allé voir le chef de village et on a fait les choses normalement », se souvient Alassane Samoura

En eaux troubles

Croyant cet épisode derrière lui, le promoteur du musée explique qu’il a été sidéré de voir l’autochtone récidiver, il y a huit mois de cela. En effet, il aurait amputé le terrain du musée de deux hectares qu’il a revendus à un agent de la mairie de Saaba, le sieur K.Z. A en croire M. Samoura, l’acheteur a confié qu’il avait été séduit par le terrain du fait de sa proximité avec la voie de contournement. « J’ai dit que le mieux est qu’on s’asseye pour discuter de la question. À plusieurs tentatives, ceux qui ont vendu la parcelle ne sont pas venus discuter. Un beau jour, ils sont venus et j’ai dit que c’est mieux qu’on aille chez le chef pour discuter. Chez le chef, l’autochtone et un des frères du chef ont reconnu officiellement que la parcelle qui a été vendue ne leur appartient pas. Ils ont présenté leurs excuses et ont reconnu leur tort. Ils ont dit qu’ils vont discuter avec l’acquéreur. Grande fut ma surprise de les revoir un mois après pour me dire qu’il y a une autre personne qui a payé la parcelle ». Ainsi, l’agent de la mairie K.Z a refilé la patate chaude à une autre personne. Il s’agit de C.M qui se présente comme promoteur immobilier.

Désastre environnemental

« Un dimanche, ils sont venus et ont commencé à couper arbres et arbustes sur les deux hectares. Ils ont défriché les deux hectares. Je leur ai demandé d’arrêter et ils ont dit non. Ils m’ont dit qu’ils ont acheté leur parcelle et qu’il faut qu’ils rentrent dans leurs fonds. Et que les questions d’arbres ne les intéressaient pas. Ils ont donc coupé les arbres et mis le feu. Il y a eu près de 10 tricycles de bois morts qui sont sortis de cet espace. C’est le cœur du musée qu’ils ont coupé. C’est là que devait être bâtie le centre du musée selon notre plan d’aménagement : bureaux, réserve, salles pour recevoir le public pour les grandes discussions. Je suis allé voir les services de l’environnement de la mairie de Saaba pour poser le problème. Ils ne voulaient pas venir. Je suis allé voir le directeur provincial de l’environnement à Ouaga et il m’a conseillé de voir le préfet de Saaba pour qu’une réquisition soit prise et qu’on oblige les services de l’environnement à faire le constat », relate Alassane Samoura.

« J’ai senti qu’il y avait du roussi dans cette affaire »

Outré, il confie avoir reçu les conclusions du constat fait par les services municipaux de l’environnement au bout d’un mois. « J’ai senti qu’il y avait du roussi dans cette affaire. Tout d’abord, ils ont fait un rapport de constat en lieu et place d’un procès-verbal de constat comme l’avait demandé le préfet dans sa réquisition. C’est juridiquement différent parce que ce sont des agents assermentés. Ensuite, lors du constat, ils n’ont pas demandé aux gens s’ils avaient un permis de coupe. Ils ne l’avaient pas. C’est une infraction. Et même s’ils avaient un permis, les forestiers devaient être présents au moment du défrichage. J’ai compris qu’il y a anguille sous roche », pense le promoteur du musée qui regrette enfin que les forestiers n’aient pas mis en annexe de leur rapport, les photos du désastre environnemental causé par les envoyés de C.M, le nouvel acheteur.

« J’ai écrit au préfet avec des observations pour leur dire de reprendre ce rapport en termes de PV et de prendre en compte toutes les observations en termes de décompte, d’absence de permis de coupe. Je ne suis pas dans des questions pécuniaires, mais je veux que justice soit faite sur cette affaire », lance Alassane Samoura.

Tensions autour du site

« Pour ce qui est du volet foncier, nous sommes allés à la police judiciaire de Wemtenga. On a posé le problème, nous avons été écoutés. On a fait venir un huissier de justice qui est venu faire le constat. Ils ont détruit tous nos poteaux, toutes les pancartes sur lesquelles il était marqué “Musée de l’eau” ont été enlevées. Quand on a voulu replanter, ils les ont retirés à nouveau. Ils ont même construit des maisonnettes sur la parcelle. Le pire, ce sont des menaces à longueur de journée. Le 18 octobre, nous avons reçu 149 jeunes orphelins du centre EL NOUR Aide-nous qui sont venus avec les bus de la SOTRACO. Ils ont menacé les jeunes de rentrer au musée. Il a fallu que je vienne calmer les choses et appeler la police pour qu’on arrête de nous provoquer », relate M. Samoura après nous avoir montré les dégâts causés par les partisans de C.M.

Plainte déposée en justice

Alassane Samoura dit avoir déposé une plainte contre l’agent de la mairie de Saaba K.Z. « Il prétend avoir les papiers officiels de la parcelle. C’est normal qu’il ait des papiers officiels puisqu’il est à la mairie. Nous, ça fait dix ans que nous n’avons pas pu avoir ces papiers officiels. Nous savons ce qui se passe. Le système est grippé. Nous sommes près de 20 propriétaires terriens ici. Personne n’a pu avoir de papiers. Comment en moins de six mois, il peut l’avoir ? Il y a une complicité quelque part. Du point de vue procédural, il y a un problème. Pour avoir ce qu’il appelle Attestation de possession foncière rurale, il y a une démarche à suivre : l’arbre à palabres, les discussions avec les riverains. Ça n’a pas été fait. Nous ne sommes pas des idiots. »

Nos multiples tentatives d’entrer en contact avec le sieur K.Z ont été infructueuses. Il n’est joignable sur aucun de ses trois contacts téléphoniques que nous avons obtenus. Quant à C.M, il reconnaît avoir acheté le terrain avec le sieur K.Z. Toutefois, il n’a pas voulu s’étaler sur la question estimant que le dossier est en justice.

« On rendra compte à l’humanité »

En attendant un éventuel procès, le musée de l’Eau qui fait partie d’un consortium des musées du monde sous l’égide de l’UNESCO a déjà informé les ministères de l’Eau et de l’Assainissement, de la Culture, des Arts et du Tourisme, de l’Habitat et tous les musées du Burkina de sa situation. « Il faut que les lois s’appliquent dans ce pays et à temps. Nous serons tous responsables de ce désordre qui est en cours de ce pays. Le musée de l’eau, ce n’est pas le musée d’un individu. C’est celui du Burkina Faso. Et je crois que nous devons nous lever pour faire ce combat contre ces personnes qui pensent que la force peut primer sur le droit et la culture. On ne se laissera pas faire. Et l’Histoire jugera un jour ! », conclut Alassane Samoura. HFB

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