“La stratégie anti-terroriste du pouvoir est illisible”

Burkina Faso :
Burkina Faso : "La stratégie anti-terroriste du pouvoir est illisible"

Africa-PressBurkina Faso. Le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré a ouvert un dialogue politique avec l’opposition. L’objectif est de trouver des solutions face à la monté des violences terroristes dans le pays. Mais l’heure n’est plus aujourd’hui à l’unité nationale. L’opposition a ainsi appelé à la démission du premier ministre Christophe Dabiré et du ministre de la Défense Chériff Sy. Comment expliquer un tel échec ? Quelle est la stratégie de lutte contre le terrorisme du Burkina Faso ? Siaka Coulibaly, politologue, secrétaire exécutif du Réseau des organisations de la société civile pour le développement nous livre son analyse. Entretien

TV5MONDE :

Après l’attaque terroriste de Solhan, dans la nuit du 4 au 5 juin dernier, qui a causé la mort d’au moins 132 personnes, le président Roch Marc Christian Kabore a initié un dialogue politique à priori consensuel. Comment expliquez-vous que ce dialogue ait abouti à un appel à la démission du premier ministre et du ministre de la Défense ?

Siaka Coulibaly : Face à la faible adhésion de la population en général vis-à-vis de ses politiques de défense et de sécurité, le gouvernement a certainement cherché compenser ce déficit par ce dialogue politique, dans lequel il cherchait également le soutien de l’opposition politique. C’est un peu ce défi qu’il a essayé de relever. L’opposition, naturellement, a dû se rendre compte de la manœuvre et pour ne pas se faire distancer par l’opinion. Elle a préféré capitaliser sur cette situation, en réitérant donc une demande de démission du chef du gouvernement et de son ministre de la Défense.

Le président burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, lors du sommet du G5 Sahel qui s’est tenu le 30 juin 2020, à Nouakchott, en Mauritanie. © Ludovic Marin, Pool via AP

C’est plutôt un jeu de cache-cache auquel l’opposition et le pouvoir se sont livrés. Beaucoup de Burkinabé estiment qu’il y a une sorte d’échec du gouvernement à pouvoir résorber la crise sécuritaire, qui on le rappelle quand même, dure depuis 2016, pour parler des grosses attaques qui sont de plus en plus fréquentes. Et depuis lors, le sentiment général chez l’homme de la rue c’est que finalement, tout ce qui existe comme politique, comme dispositif, comme solution ne fonctionne pas vraiment.

TV5MONDE : Quelles sont les grandes lignes de la politique sécuritaire burkinabé et pourquoi les résultats sont-ils si insuffisants, en particulier aux yeux de la population ? Siaka Coulibaly, politologue burkinabé, secrétaire exécutif du Réseau des organisations de la société civile pour le développement.© D.R.

Siaka Coulibaly :

La stratégie anti-terroriste du Burkina Faso est très peu lisible. Je ne dis pas qu’elle n’est pas experte, scientifique ou même suffisamment technique, je dis seulement qu’elle est très peu lisible. C’est-à-dire qu’il est difficile pour ceux qui ne sont pas aux responsabilités, de comprendre en réalité ce qu’il se passe. Comment est-ce que les choses sont organisées ? Comment elles devraient se déployer ?…

Ce que l’on voit, c’est peut-être que c’est une stratégie réactive. C’est après les attaques qu’on voit des communiqués qui nous parlent des opérations de ratissage qui ont été initiées. Apparemment, les offensives qui pourraient permettre de pousser les terroristes dans leurs retranchements, voire de les éliminer, ne me semblent pas suffisamment actives. Si bien que l’on assiste à une situation simple : les terroristes attaquent, et nos services de défense et de sécurité réagissent.

Parfois, ils arrivent à atteindre quelques éléments des groupes armés terroristes, et quelques fois ils n’y parviennent pas. En définitive, on a une situation qui n’est pas très facile à expliquer, en tout cas pour ceux qui ne sont pas du domaine, d’autant qu’il y a très peu de communication des responsables de la défense et de la sécurité sur cette question. TV5MONDE : Qu’est-ce que les populations reprochent aux stratégies gouvernementales de lutte contre le terrorisme ?

Siaka Coulibaly : Je ne peux pas répondre à cette question de façon précise, pour la simple et bonne raison que les populations ne sont pas spécialistes des questions de défense et de sécurité. Les populations s’en tiennent aux résultats. Elles veulent que les attaques cessent et qu’il y ait moins de sang versé sur la terre du Burkina Faso. C’est ce que j’entends dire un peu partout autour de moi.

Si ces attaques ne cessent pas, si le pays continue de comptabiliser des pertes en vies humaines, surtout de façon aussi importante que lors de l’attaque de Solhane, les populations sont obligées de conclure quelque part qu’il y a un problème d’efficacité des stratégies, des politiques mises en œuvre en matière de défense et de sécurité. Les personnes qui sont en charge de l’animation de ces départements, peuvent ne pas être aussi qualifiés qu’on voudrait le faire croire.

TV5MONDE : Dans sa stratégie de lutte contre le terrorisme, le Burkina Faso a finalement fait le choix d’armer des milices telles que les volontaires pour la défense de la patrie. Avec le recul, cette décision est-elle pertinente ?

Siaka Coulibaly : Ce que j’ai pu comprendre du recours aux volontaires pour la défense de la patrie, c’est que ce recours a répondu à une demande de certains groupes citoyens, qui ont estimé à un moment donné que c’est parce que les populations sont abandonnées à leur sort, sans moyens de défense, qu’elles étaient les cibles des groupes armés terroristes.

Et que si les populations recevaient de quoi se défendre, en termes d’armements et de formation, elles seraient en mesure de répondre directement aux groupes armés terroristes. Cette idée a été souvent rabâchée dans les médias, jusqu’à ce qu’on voit le gouvernement aller dans ce sens, et adopter la création de ces volontaires pour la défense de la patrie.

Au vu des résultats, on se rend compte que cette approche a été quand même un peu hasardeuse, parce que les volontaires pour la défense de la patrie ne peuvent pas être suffisamment bien formés pour faire face aux groupes armés terroristes. Mais le plus déplorable, c’est que l’intervention de ces volontaires pour la défense de la patrie dans la lutte anti-terroriste a entraîné une sorte de dépassement du champ d’intervention classique que les terroristes avaient identifié, qui étaient les symboles de l’Etat – militaires, policiers, gendarmes, les eaux et forêts, mais aussi l’école et les administrations publiques.

Groupe de combattants des milices locales sur leurs motos, à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 14 mars 2020.© AP Photo/Sam Mednick Maintenant, ces groupes armés s’en prennent aux populations et en très grand nombre. Un mois avant les événements de Solhan, il y a eu une attaque dans un village de l’est du pays, où 32 personnes avaient été exécutées. L’explication plausible qui avait été avancée était que, c’étaient des villages dont étaient originaires beaucoup de ces volontaires.Lire : Au Burkina Faso, qui sont les Volontaires pour la défense de la patrie ?

Si on tient compte de ces deux événements, on peut se dire que dorénavant, on va avoir une situation où les groupes armés terroristes vont s’en prendre à des populations civiles totalement démunies, qui auraient dû bénéficier de l’assistance des volontaires pour la défense de la patrie. Au demeurant, les volontaires eux-mêmes subissent des pertes énormes.

Ce n’est pas dit officiellement, mais aujourd’hui, à travers ce qui est dit dans les médias, on peut penser qu’il y a environ une centaine de volontaires pour la défense de la patrie qui ont été exécutés par les terroristes. C’est donc une stratégie qui reste encore à évaluer. Cela fait bientôt 18 mois que ces volontaires ont été mis sur pied. Il est prévu de faire un bilan et d’envisager une réorientation de ces volontaires. On verra si cette approche sera suivie d’effets.

TV5MONDE : Dans un contexte marqué par une réorientation au moins partielle du dispositif français de lutte contre le terrorisme au Sahel, le dialogue initié ce mois-ci par le chef de l’Etat burkinabé avait notamment pour objectif de trouver des solutions pour une meilleure sécurisation du pays. Quelles pourraient être à votre avis ces solutions ?

Siaka Coulibaly : C’est une question difficile, car ce ne sont sans doute pas les idées qui manquent. Les spécialistes pensent à un certain nombre de stratégies. Pour le cas spécifique de la lutte anti-terroriste, qui se basse essentiellement sur le secteur de la défense et de la sécurité, il est extrêmement difficile pour quelqu’un qui n’est pas du domaine de s’exprimer sur les solutions alternatives. Femmes dans un camp de déplacés situé à Kaya, à 100km au nord de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 08 février 2021.© AP Photo/Sophie Garcia

Vous ne pouvez pas envisager comme ça des solutions alternatives à ce qui se déroule déjà, étant donné que voilà, il y a déjà du travail qui se fait. On peut tout juste améliorer un certain nombre d’aspects, peut-être les motivations. Et nous étant de l’extérieur, on pense par exemple aux relations entre civils et militaires, qui font que si elles ne sont pas bonnes, les résultats ne sont pas bons également.Burkina Faso: dix jours après le massacre, la région de Solhan toujours traumatisée

Chargement du lecteur… Parce que si les populations ne soutiennent pas les forces de défense et de sécurité, ce sont les terroristes qui en profitent. Et c’est ce qu’on constate sur le terrain. L’un des aspects négatifs de cette lutte anti-terroriste, ce sont les bavures de nos forces de défense et de sécurité, qui ont détérioré les relations entre civils et militaires. TV5MONDE : En l’état actuel de la situation, les municipales peuvent-elles se tenir l’année prochaine comme prévu ?

Siaka Coulibaly : L’un des sujets du dialogue politique, c’était aussi de réfléchir à ces municipales, en lien avec la situation sécuritaire, afin de faire en sorte que le réaménagement qui avait été opéré en 2020, lors des élections couplées, qui avaient consisté à exclure certaines circonscriptions des opérations de vote, que les solutions du même type soient envisagées, ou pour limiter l’espace qui ne pourra pas participer aux élections.

Je crois que c’est là-dessus que le gouvernement voulait organiser une réflexion avec les partis politiques de l’opposition, car à défaut de solutions palliatives, en tout cas de partager de la responsabilité avec ces acteurs de l’opposition. Finalement je pense qu’il n’y a pas eu de compromis sur les propositions, contrairement au dialogue politique de juillet 2019.Lire : Burkina Faso : la lutte contre les djihadistes, enjeu majeur des élections

Il faut rappeler que ces élections municipales ont déjà été repoussées, si bien que je ne crois pas qu’il soit envisageable de les repousser indéfiniment, puisque dans notre contexte de pays assisté par l’aide publique internationale, le fait que les collectivités fonctionnent selon la loi, ce sont des conditions de l’aide publique au développement.

Le gouvernement fera certainement tout, même s’il faut élargir la zone qui ne sera pas concernée pour des raisons de sécurité, il tiendra l’échéance des municipales. Une partie du pays sera pourvue en institutions pour gérer les collectivités, et la partie qui ne peut pas être couverte va certainement faire l’objet de mesures d’exception, sous forme de délégation spéciale. Mais ça peut se justifier, c’est peut-être pour cela que le gouvernement tenait à avoir l’engagement de l’opposition sur ces questions.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here