
Africa-Press – Burkina Faso. Des vidéos ayant beaucoup circulé font état de dizaines de victimes de pogroms dans la région de Solenzo, dans l’ouest du pays, au sein de villages à majorité peule. Les assaillants ont été identifiés comme des Volontaires pour la défense de la patrie, normalement chargés de la lutte contre le terrorisme. Le gouvernement d’Ibrahim Traoré dément.
Des images insoutenables d’hommes, femmes et enfants parfois ligotés, le corps ensanglanté et sans vie, visiblement exécutés. Selon des sources locales, des ONG et des médias, les hommes armés ayant perpétré ces massacres dans la région de Solenzo au Burkina Faso la semaine dernière sont des supplétifs de l’armée burkinabè dans la lutte contre le terrorisme, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), enrôlés après quelques semaines d’entraînement seulement.
Les exactions documentées ont été commises alors qu’une large opération de traque des jihadistes avait été lancée par les autorités. Mais pour la junte au pouvoir, ces massacres qui touchent particulièrement les Peuls n’ont rien à voir avec ses hommes. « Le gouvernement regrette et condamne la propagation, sur les réseaux sociaux, d’images d’incitation à la haine et à la violence communautaire », a écrit le porte-parole du gouvernement, Pingdwendé Gilbert Ouédraogo, dans un communiqué. Selon lui, ces vidéos visent à « mettre à mal la cohésion sociale et le vivre-ensemble ».
Le gouvernement dénonce de la « désinformation »
« Cette vaste campagne de désinformation fait suite aux récents événements de Solenzo, travestis à souhait, pour discréditer nos vaillants combattants et faire peur aux paisibles populations », a-t-il aussi déclaré. D’après la version des autorités, « un poste avancé de VDP a été attaqué par des terroristes » le 10 mars. « Une centaine » de jihadistes ont été tués dans la riposte, d’autres se seraient enfuis.
La junte continue à accuser les jihadistes d’utiliser les populations pour se protéger: lors de leur contre-offensive, les VDP ont « découvert des familles composées de femmes, d’enfants, de vieilles personnes que les terroristes ont tenté d’utiliser comme bouclier humain », assure Pingdwendé Gilbert Ouédraogo. Le gouvernement tente de rassurer, affirmant que ces civils ont ensuite été emmenés sur un site pour « une prise en charge humanitaire urgente ».
La communauté peule, une cible privilégiée
Mais d’autres sources mettent directement en cause les forces pro gouvernementales et le caractère ciblé de ces violences. Selon une source locale contactée par l’AFP, « des familles entières » de Peuls ont été « massacrées » entre le 10 et le 11 mars par des soldats du 18e BiR (Bataillon d’intervention rapide) et des VDP. Les populations peules sont depuis des années accusées de soutenir le terrorisme au Sahel et stigmatisées. « Les vidéos macabres d’un apparent massacre commis par des milices pro-gouvernementales au Burkina Faso soulignent l’impunité systématique de ces forces », a de son côté dénoncé Human Rights Watch, qui a dénombré pas moins de 58 corps dans les vidéos en question.
Pro-government militias in Burkina Faso are implicated in video footage circulating showing the massacre of dozens of civilians.
« Comment peut-on justifier de telles expéditions punitives sur des populations faibles et sans défense dont le seul crime est leur appartenance à une communauté ethnique ? », s’est aussi insurgé le mouvement de la société civile burkinabè Sens. « La lutte contre le terrorisme n’autorise pas tout », a-t-il estimé, évoquant des vidéos insoutenables ». Cette hypothèse des représailles contre les Peuls semble accréditée sur le terrain: en septembre, l’AFP avait rencontré plusieurs Peuls burkinabè, réfugiés en Côte d’Ivoire, qui avaient dénoncé les exactions des forces de sécurité dans diverses localités du pays.
Un moyen de recruter pour les jihadistes
Pour les groupes terroristes, ces exactions régulières contre des civils par les supplétifs de l’armée burkinabè, notamment sur des critères ethniques, sont un bon moyen de recruter auprès de populations désemparées et en colère. Quelques jours après les massacres de Solenzo, le groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (JNIM) a ainsi publié une vidéo appelant les populations ciblées par les attaques à rejoindre les rangs de l’organisation terroriste. On y voit Ousmane Dicko, le frère du fondateur d’Ansarul Islam, afficher son soutien aux civils, y compris aux Peuls.
Parmi les populations peules, la peur est grande d’être la prochaine victime de l’armée et de ses supplétifs. Au lendemain des pogroms dans l’Ouest, un civil peul réfugié à l’étranger a enjoint les membres de sa communauté encore sur place à fuir, au Ghana ou en Côte d’Ivoire par exemple. « Regardez ce que les forces de l’ordre, les autorités, et les VDP ont fait aux Peuls. […] Je m’adresse à tous les Peuls. Où que vous soyez au Burkina, que ce soit en brousse où en ville, fuyez », insiste-t-il dans un audio qui a beaucoup circulé au sein de la communauté ces derniers jours.
Concernant ceux qui ne peuvent pas partir du pays, il les incite à prendre les armes et à se défendre. L’homme s’en prend ensuite au chef de l’État, Ibrahim Traoré: « Ce pouvoir ne vous protégera pas. Ce n’est pas le pouvoir de cet enfant qui vous défendra. »
Le brief. Les clefs de l’actualité africaine dans votre boite mail
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press