le président Kaboré plus que jamais sous pression

le président Kaboré plus que jamais sous pression
le président Kaboré plus que jamais sous pression

Africa-Press – Burkina Faso. « Lutte contre le terrorisme : Wagner, la solution ou le problème ? » Ainsi s’interroge, dans un édito prudent, le site burkinabè Wakat Sera, en réaction au déploiement au Mali, annoncé ce jeudi par une quinzaine de puissances occidentales et démenti le lendemain par Bamako, du groupe paramilitaire russe Wagner. Source de crispations diplomatiques entre le Mali et ses partenaires occidentaux, ce nouvel acteur sur le front de la lutte antiterroriste est scruté de près au Burkina Faso voisin, frappé quasi quotidiennement par les violences de groupes extrémistes. Pour autant, Wakat Sera se demande s’il n’est pas « illusoire d’espérer mettre fin à l’entreprise funeste des terroristes en se mettant sous la coupe de nouvelles puissances étrangères ».

La presse s’interroge

Le quotidien Le Pays, lui, se montre moins réservé. Il commente la déclaration de 14 pays de l’Union européenne (UE) cosignée par le Royaume-Uni et le Canada. Publiée ce jeudi, elle condamne le « déploiement de mercenaires sur le territoire malien », qui « ne peut qu’accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique ». Le « soutien matériel » de la Russie au groupe Wagner, dont huit membres ont été sanctionnés par l’UE le 13 décembre, y est aussi souligné. « Prêchent-ils dans le désert ? Tout porte à croire que oui », estime Le Pays. Et de pointer le manque de résultats obtenus par les forces étrangères présentes au Sahel, situation qui ne peut qu’inciter Bamako à s’offrir les services de Wagner. « Un véritable camouflet pour la France », raille-t-il au passage, et surtout un signe d’« indépendance » du Mali. « Il semble désormais prendre son destin en main […] en restant inflexible face aux menaces voilées ou ouvertes des grandes puissances. [C’est] un nouveau virage dans la conduite de ses relations avec les Occidentaux. »

Le partenariat avec Wagner dans le débat

L’idée d’un partenariat avec Wagner séduirait-elle aussi au pays de Thomas Sankara ? Au-delà des opérations de communication du groupe paramilitaire sur les réseaux sociaux, ou de la perception plutôt favorable à Ouagadougou d’Assimi Goïta, chef de la junte malienne, cette option ne semble pas être écartée dans l’opinion. Ce qui « relève moins de l’idéologie que du pragmatisme », explique Siaka Coulibaly, président du Centre de suivi et d’analyses citoyens des politiques publiques : « Les Burkinabè sont confrontés au terrorisme de façon brutale depuis six ans. À Ouagadougou, chacun a dans son entourage un proche qui a fui les violences armées et de nombreuses familles hébergent des déplacés internes. Ils ont vu se succéder les remaniements ministériels, les conseils de défense, mais les propositions du gouvernement ou de l’armée ont fait leur temps. Aujourd’hui, certains regardent ce qui se passe au Mali en se disant : “Pourquoi ne pas essayer autre chose ?” »

Des signes de plus en forts de contestation de la présence militaire française

Une tendance qui a donc comme ressort la dégradation continue de la situation sécuritaire au Burkina Faso. Les violences des groupes islamistes armés, opérant sous les bannières du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda) et de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ont fait au moins 2 000 morts et 1,4 million de déplacés depuis 2015. Elle s’articule aussi, comme au Mali, à des critiques de plus en plus vives vis-à-vis de la présence militaire française au Sahel. Cette hostilité s’est exprimée de façon éclatante le 18 novembre dernier. Un convoi logistique de l’opération Barkhane assurant la liaison Abidjan-Gao a été bloqué à Kaya, à 100 kilomètres au nord-est de Ouagadougou, par des milliers de manifestants. Vilipendant les collusions supposées entre l’armée française et les djihadistes, clamant « La France, dégage » ou « À bas la France », ils ont contraint le convoi militaire à rebrousser chemin à l’issue de trois jours de blocus. Un fait inédit. L’étincelle de cet embrasement, là encore, a été l’insécurité. 57 personnes, dont 54 gendarmes, avaient été massacrées quelques jours plus tôt, le 14 novembre à Inata, dans la province du Soum frontalière avec le Mali. Des hommes morts au combat l’estomac vide : le détachement de la gendarmerie d’Inata réclamait notamment un ravitaillement en nourriture depuis deux semaines.

Le président Kanboré sous pression…

Sur le plan politique, le chef de l’État Roch Marc Christian Kaboré, fragilisé par ce nouveau drame national et par la grogne qui en a découlé, a tenté d’éteindre les braises. Officiers limogés, enquête diligentée sur l’attaque d’Inata, annonce d’une opération « mains propres »… et remaniement ministériel. Un nouvel exécutif resserré autour de 26 membres (contre 34 précédemment) et dirigé par l’ex-haut fonctionnaire onusien Lassina Zerbo a été mis sur pied le 13 décembre. Le même jour, le chef de l’État recevait aussi l’ambassadeur de France au Burkina Faso, Luc Hallade, le directeur Afrique du Quai d’Orsay, Christophe Bigot, des officiers français, ainsi que les ministres burkinabè de la Défense et de la Sécurité et le chef d’état-major des armées. Objectif : examiner « les axes de coopération possible pour plus d’efficacité de la réponse militaire face au terrorisme ». Un exercice certainement délicat pour le président Kaboré.

… ne lâche pas la coopération avec la France

« Vu la pression de l’opinion publique et des réseaux sociaux quant au fait que la France ne serait pas le bon partenaire, et pas assez efficace dans la lutte antiterroriste, c’est assez courageux de sa part. Le Burkina Faso choisit de faire appel à un acteur présent au Sahel avec des moyens significatifs d’agir sur le terrain. C’est une décision réaliste. L’objectif est de renforcer la coopération militaire et de défense pour mieux contrer et prévenir les assauts des groupes armés terroristes, et être en position d’attaque plutôt qu’en réaction ou en défense. Le Burkina Faso et la France vont donc planifier des opérations ensemble. C’est un changement de braquet important dans notre relation bilatérale », glisse une source diplomatique française.

Résultat : un « changement de braquet » dans la relation bilatérale

Concrètement, ce changement n’impliquerait pas de hausse d’effectifs militaires : « Le Burkina Faso est attaché à sa doctrine défavorable à la présence militaire étrangère sur son sol. Nous allons utiliser nos moyens respectifs et les coordonner davantage. Le redéploiement de Barkhane intègre par ailleurs un déplacement du poste de commandement de N’Djamena à Niamey, ce qui n’est pas loin. » Les Forces Barkhane et Sabre (basée en périphérie de Ouagadougou et intégrant des éléments des forces spéciales) qui intervenaient jusque-là ponctuellement, à la demande de Ouagadougou, « pour des appuis logistiques ou pour aller chercher des soldats blessés », seront désormais mobilisables pour appuyer les forces burkinabè. « Nous espérons obtenir des résultats et faire taire les critiques », poursuit cette source diplomatique.

Une urgence : faire changer la perception de la France

Outre la critique sur l’inefficacité de l’opération Barkhane ou de la Task Force Takuba au Sahel, la thèse complotiste selon laquelle la France armerait et formerait les djihadistes a la peau dure au Burkina Faso. Elle traverse les milieux sociaux, les générations, les institutions parfois. En novembre, le patron du Quai d’Orsay, Jean-Yves Le Drian, avait dénoncé les « manipulateurs » et « l’instrumentalisation d’une partie de la presse », avec dans son viseur des luttes d’influences pilotées par la Russie. Une réaction – sous forme d’attaque – guère constructive, selon cet ancien diplomate français : « Au-delà des cris d’orfraie et des condamnations des autorités françaises, on est en présence d’un fait nouveau : le changement de perception de la France par ces opinions publiques. Qu’il y ait de la manipulation, c’est indéniable, mais si ce discours prend, c’est bien qu’il renvoie à une réalité. L’enjeu de cet épisode serait donc de chercher à comprendre ce fait social, et aussi de s’interroger sur la pertinence d’exposer des soldats français dans un environnement hostile. Au lieu de ça, la France s’est bornée à juger et à se plaindre. Quant aux autorités nationales, elles n’ont pas été à même de lever rapidement ces blocages. »

L’analyste politique Siaka Coulibaly ne dit pas autre chose : « Paris s’agace de voir monter le ressentiment anti-français, mais quel travail est fait pour relégitimer la présence militaire française au Sahel ? Le président Kaboré a appelé dans son adresse à la nation du 11 décembre à “ne pas se tromper d’ennemi”. Mais qu’est-ce qu’un Burkinabè d’un quartier de Ouagadougou ou de Kaya [ville d’accueil de nombreux déplacés où a été bloqué le convoi militaire français, NDLR] a comme éléments pour contrer l’idée que la France aiderait les djihadistes ? Pas grand-chose… Il y a une faiblesse d’argumentaire. »

L’annonce par l’état-major des armées à Paris, ce lundi, de la neutralisation au Niger de Soumana Boura, un chef de l’EIGS opérant dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger), a, par exemple, eu peu d’échos à Ouagadougou. La presse s’est davantage émue de la mort de quatre volontaires pour la défense de la patrie (VDP, supplétifs civils de l’armée burkinabè) qui paient décidément un lourd tribut dans le combat contre les groupes djihadistes. Ils ont été tués lors d’une embuscade ce jeudi alors qu’ils escortaient des commerçants à destination de Titao (province du Loroum, région du Nord). Parmi eux, leur chef, Ladji Yoro, « héros de la lutte antiterroriste », selon l’Agence d’information du Burkina. Ce samedi soir, le bilan de l’attaque du convoi de commerçants escortés par des VDP s’élèvait à 41 morts selon le gouvernement. Un deuil de 48h a d’ailleurs été décrété.

Sur le terrain, des dynamiques paradoxales

Aujourd’hui, estime Siaka Coulibaly, « la situation reste très volatile. Les Burkinabè sont en attente de résultats. Une attaque d’envergure peut faire remonter la pression ». Comme si les réponses politiques n’avaient que recouvert la marmite en ébullition. Quant au renforcement de la coopération militaire franco-burkinabè, il est à double tranchant. « Une présence militaire étrangère qui dure, à un moment donné, n’est plus perçue comme légitime », rappelle l’ex-diplomate français. Et d’interroger aussi le mode de partenariats de défense au Sahel.

« Voilà des dizaines d’années que la France fait de la coopération militaire en pure perte, car le postulat de départ, aider le pays partenaire à restructurer son armée, est faux. Dans les pays sahéliens, l’armée est d’abord perçue comme un contre-pouvoir politique. Si elle devient plus puissante et efficace, elle peut faire irruption dans le jeu politique. L’armée est le dernier recours quand la classe politique échoue. Roch Kaboré a d’ailleurs démantelé le Régiment de sécurité présidentielle (RSP, 1995-2015), perçu comme une menace pour son pouvoir, alors qu’il s’agissait de la seule force dotée d’une capacité opérationnelle et de renseignement. Il y a donc un déficit de compréhension initial, qui explique que la France se retrouve à faire le sale boulot, avec les missions les plus dangereuses, et s’expose à la vindicte du peuple. »

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