Afrique-Europe : la e-santé, un futur terrain de convergence

Afrique-Europe : la e-santé, un futur terrain de convergence
Afrique-Europe : la e-santé, un futur terrain de convergence

Africa-Press – Burkina Faso. La révolution e-santé est en cours. Elle est portée par les start-up africaines et européennes qui ont été stimulées par la nécessité de trouver des solutions face à la crise sanitaire du Covid-19. La coopération doit donc s’accélérer pour favoriser le déploiement et la circulation de ces innovations pour le bénéfice des populations sur les deux rives de la Méditerranée, notamment les populations rurales.

Dans sa lutte contre la pandémie du Covid-19, l’Afrique a plus que jamais démontré son sens de l’innovation numérique à travers un engagement fort et une créativité bouillonnante. Cela a donné naissance à de formidables initiatives destinées à « hacker » la progression de la pandémie planétaire, en coupant au plus vite les chaînes de transmission. Ainsi, sur le terrain, des communautés d’innovateurs ont pu « entrer en résilience » pour lutter contre ce fléau global.

L’Afrique, un vivier d’innovations dopé par le Covid-19…

Depuis mars 2020, les hackathons se sont multipliés sur tout le continent africain. Pour préserver les gestes barrières, ils ont été dématérialisés et ont été emblématiques de la mobilisation de l’intelligence collective pour construire des solutions de terrain au pied levé.

Les exemples qui ont fleuri à travers le continent sont légion.

Au Kenya, Baobab Circle, créé à l’origine pour offrir une gestion médicale personnalisée du diabète, s’est adapté aux mesures de confinement pour proposer un service de téléconsultation. Au Nigeria, face à l’augmentation du nombre d’appels liés à la multiplication des cas de Covid-19, le NCDC (Nigeria Centre for Disease Control) a eu recours à la start-up IQube Labs et son répondeur vocal géré par une intelligence artificielle pour multiplier les capacités de son call-center. En Afrique du Sud, CapeBio Technologies, une société de génomique appliquée, a rapidement développé un kit de test pour le Covid-19 dit « qPCR » qui produit des résultats en seulement 65 minutes en utilisant un réactif à base de flore locale. Ailleurs, au Bénin, la start-up Alivo a adapté ses feux tricolores intelligents fonctionnant à l’énergie solaire pour transmettre des messages sur les gestes barrières.

Après avoir fait ses preuves au Rwanda, Zipline, société de drones autonomes spécialisée dans l’approvisionnement en poches de sang dans des zones difficiles d’accès au départ de centres de distribution décentralisés, a entamé ses activités au Ghana. Zipline est le principal fournisseur de sang en dehors de la capitale, Accra, et livre plus de 80 % du produit sanguin à l’échelle nationale. La pandémie a été l’occasion pour Zipline de repenser sa chaîne d’approvisionnement et d’élargir son offre de service. C’est ainsi que les drones auront permis de livrer plus de 30 000 doses de vaccin au Ghana au cours de la pandémie en plus des tests et des échantillons de Covid-19. Au regard de ses évolutions au Rwanda puis au Ghana, la société, au départ africaine, s’est enfin vu autorisée par les autorités américaines à opérer en Caroline du Nord en mai 2020.

Cependant, le dynamisme des innovateurs africains dans le secteur de la e-santé est antérieur à la pandémie. Et les illustrations sont nombreuses.

… qui était déjà sur la brèche avant la pandémie

D’abord, le pass santé Mousso ou « carnet de santé ». C’est un bracelet connecté qui contient toutes les données utiles à une prise en charge rapide et sûre des malades. Ce bijou numérique dispose d’un QR code associé à une plateforme Web et mobile qui permet à son propriétaire d’avoir ses données personnelles et médicales, facilitant ainsi la prise en charge et le suivi médical. Ce carnet de santé électronique est accessible à tout moment via un objet physique. Le patient y renseigne les informations, ses données personnelles, ses antécédents médicaux, la personne à contacter en cas d’urgence, et ensuite le corps médical s’occupe de la mise à jour.

Chroniqueur d’une vingtaine d’écosystèmes numériques africains qu’il a explorés 4 ans durant, Samir Abdelkrim est l’auteur de « Startup Lions, au cœur de l’African Tech ». Il est l’initiateur de la plateforme de la Tech4Good EMERGING Valley et fondateur de StartupBRICS.

© DR

Ensuite, il y a Tambua Health. Cette entreprise a développé une plateforme d’IA sur des réseaux de neurones convolutifs entraînés sur des milliers d’images échographiques annotées par des experts, de spectrogrammes d’auscultation et de données d’électrocardiogrammes (ECG).

T-sense, qui est le nom de la technologie, détecte la vibration du son lorsque l’air entre et sort des poumons et génère des images des poumons en conséquence. La technologie utilise des réseaux de capteurs, qui consistent en de minuscules microphones non invasifs placés sur le dos du patient, pour détecter les poumons sains et malades avec la même précision que les appareils IRM et X-Ray. Cela se fait en utilisant des algorithmes de distribution spatiale qui ont été entraînés par rapport à la base de données exclusive d’images sonores pulmonaires de l’entreprise. La technologie est déployée sur des smartphones avec une connexion Internet de base pour traiter les données. Le produit est testé en tant qu’outil de diagnostic dans 267 cliniques à travers le monde.

Autre exemple : Ubenwa, une start-up nigériane. Elle a développé une solution qui analyse l’amplitude et la fréquence des cris pour fournir un diagnostic instantané de l’asphyxie à la naissance. La technologie est déployée via des appareils mobiles et des appareils portables, et offre de multiples avantages : elle est rapide par rapport à la méthode actuelle utilisant un analyseur des gaz du sang (10 secondes pour détecter une asphyxie à la naissance d’un bébé) ; non invasif, car elle ne nécessite que des pleurs plutôt que du sang ; environ 95 % moins cher que l’alternative clinique ; et nécessite peu ou pas de compétences pour fonctionner ; les parents peuvent surveiller eux-mêmes leurs enfants.

Les chiffres de l’OMS illustrent cette réalité

S’il est tentant d’énumérer toute la diversité des solutions conçues depuis le terrain, ce sont cependant les chiffres qui témoignent le mieux de ce dynamisme inédit des start-up africaines dans la réponse au Covid : selon l’OMS, sur les 1 000 innovations healthtech recensées à travers la planète pour lutter contre la pandémie, plus de 120 ont été conçues en Afrique, soit 12,8 % du total ! À l’instar du directeur régional de l’OMS pour l’Afrique, le docteur Matshidiso Moeti, certains considèrent ainsi la pandémie comme « l’un des problèmes de santé les plus graves pour notre génération, mais aussi une opportunité pour faire progresser l’innovation, l’ingéniosité et l’esprit d’entreprise dans les technologies de la santé qui sauvent des vies ».

Les synergies, des opportunités, mais aussi des défis

Cette agilité des entrepreneurs africains ainsi que les très nombreuses solutions sanitaires et non sanitaires développées sur le continent face à la crise peuvent tout à fait inspirer des entreprises européennes et ouvrir la voie à de nouvelles réflexions et coopérations pour répondre aux crises sanitaires.

Le numérique appliqué à la santé est un secteur en pleine croissance, marqué par l’expansion de la médecine préventive et par le fait que les soins de santé en ligne sont plus accessibles. La pandémie de Covid-19 a généré une croissance fulgurante de ce secteur et a sensibilisé aux solutions de la e-santé. Avec la forte tendance à développer les soins personnels, les patients porteront de plus en plus de capteurs pour surveiller les paramètres vitaux, favorisant un traitement personnalisé, lequel est soutenu par le numérique et l’Intelligence artificielle en particulier.

Travailler l’interopérabilité et renforcer la complémentarité

Les exemples mis en avant ont illustré la nécessité d’une interopérabilité entre les innovations et l’infrastructure de santé existante, celle de développer un cadre politique solide et propice couvrant la gouvernance des données et l’IA responsable, et celle d’allouer davantage de fonds pour déployer ces solutions innovantes. Ces exemples montrent qu’il y a également des opportunités, telles que l’adoption d’un dossier médical mondial individuel, par exemple.

Youssef Travaly est Senior Fellow Digital, Africa Europe Fondation & Fondateur du Think Tank AllSightsAfrica.

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L’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le domaine de la santé, du fait qu’elle fait appel à Internet, aux applications pour smartphones et aux objets connectés, est très clairement une opportunité de repenser la coopération Afrique-Europe.

L’Europe a ses forces en termes de recherche académique, médicale, scientifique, mais le champ des opportunités pour coconstruire et coexpérimenter reste très vaste en matière de e-santé, notamment pour l’Afrique, où la question de la fourniture des soins de santé aux normes internationales reste un défi majeur. En effet, les systèmes de santé du continent manquent des ressources nécessaires et de stratégies pertinentes pour fournir des soins inclusifs de qualité à un coût raisonnable pour les patients.

Des solutions de santé passant par le numérique et basées sur des technologies de pointe, telles que l’IA, le Big Data, la robotique, l’informatique dans les nuages, pour n’en nommer que quelques-unes, deviennent de plus en plus importantes et réduisent en définitive le fardeau qui pèse sur les écosystèmes de soins de santé actuels en complétant les mécanismes de santé existants.

Pour faire de ce constat une réalité, un certain nombre de défis et de conditions préalables doivent d’abord être relevés. À savoir : l’éthique et la gouvernance de l’IA pour la santé, le développement d’infrastructures de données pour le déploiement de l’IA, la gestion de l’inclusion numérique et des préjugés, le financement de la santé et le développement d’un cadre politique adéquat.

Marseille-Aix-Provence au cœur du rapprochement Europe-Afrique

Légitimées par leur adaptabilité, leur capacité à relayer les bonnes informations aux populations et plus globalement par leur impact positif dans la gestion de la crise, les start-up de la e-santé africaines attirent enfin massivement les investisseurs. Ainsi, la métropole Aix-Marseille-Provence, qui bénéficie déjà de nombreux atouts pour devenir le hub Europe-Afrique de la e-santé, regarde désormais vers l’Afrique perçue comme une partenaire historique et naturel. Objectif : y trouver l’inspiration, développer de nouvelles réflexions et coopérations en termes d’innovations de santé, mais aussi attirer sur son sol les meilleures start-up healthtech du continent.

La métropole Aix-Marseille-Provence prolonge ainsi la réflexion qu’elle porte chaque année, notamment, à Emerging Valley autour de la e-santé pour coconstruire et faire dialoguer les acteurs de la e-santé africaine et européenne. Soixante pour cent de la coopération internationale de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille se fait déjà aujourd’hui avec l’Afrique tandis que le siège de l’Institut de recherche pour le développement (IRD), dont les programmes sont majoritairement à destination de l’Afrique, se situe à Marseille. Aix-Marseille-Provence et son écosystème d’innovation dédié forment donc un territoire particulièrement propice et idéalement positionné pour travailler avec l’Afrique.

Et si l’Europe s’inspirait aussi des bonnes pratiques du territoire Aix-Marseille-Provence pour les dupliquer sur l’ensemble de son territoire, dans une logique d’innovations croisées ? À tout le moins, un terrain propice est là qui peut être mis en valeur autour d’une harmonisation des écosystèmes d’innovation autour de la santé digitale. Autant pour l’Afrique que pour l’Europe, les opportunités sont nombreuses qui peuvent être concrétisées à travers la mise en place d’un modèle transcontinental d’innovation digitale circulaire autour de la santé. Celui-ci sera d’autant plus performant qu’il sera formalisé et labellisé.

* Samir Abdelkrim est fondateur d’EMERGING Valley qui a publié un Livre blanc dont un chapitre est consacré à l’e-santé.

** Youssef Travaly est Senior Fellow Digital, Africa Europe Fondation & Fondateur du Think Tank AllSightsAfrica.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burkina Faso, suivez Africa-Press

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