Africa-Press – Burkina Faso. Un simple bracelet en argent, découvert dans la tombe d’une jeune femme décédée il y a plus de 3500 ans, vient de bouleverser les connaissances des archéologues sur le travail des métaux à l’âge du bronze en Europe occidentale. Son réexamen par l’archéologue Linda Boutoille de la Queen’s University à Belfast (Irlande), spécialiste de la métallurgie de l’époque, prouve que des artisans de haut niveau du sud-est de l’Espagne utilisaient des techniques de fonte avancées des siècles avant le reste du continent, remettant en question des hypothèses longtemps admises sur la diffusion des connaissances sur le travail des métaux dans l’Europe protohistorique.
Cette trouvaille publiée dans The Oxford Journal of Archeology révèle que les métallurgistes de la culture d’El Argar (2200-1550 av. J.-C.) utilisaient la technique de la cire perdue, une méthode complexe exigeant un savoir-faire considérable, dès 2200 avant J.-C. Il s’agit là de la plus ancienne preuve confirmée de ce procédé sophistiqué en Europe occidentale durant l’âge du bronze.
La culture d’El Argar (2200-1550 avant J.-C.) du sud-est de l’Espagne est connue pour ses modèles de stratification sociale et d’émergence de l’État mais aussi son goût pour le métal argenté. L’âge du bronze (alliage de cuivre et d’étain) en Europe commence vers 3000 avant J.-C. et se divise en trois phases: l’âge du bronze ancien (2000-1500 avant J.-C.), moyen (1500-1200 avant J.-C.) et récent (1200-500 avant J.-C.).
Rares au début de la culture d’El Argar, les objets en argent sont devenus prisés à partir d’environ 1800 avant J.-C., tout en restant l’apanage d’une faible proportion de la population, c’est-à-dire dominante. L’abondance relative d’objets en argent dans la culture d’El Argar la distingue du reste de l’Europe de l’âge du bronze. L’orfèvrerie est considérée comme l’une de ses innovations les plus remarquables.
« Les objets en argent prennent principalement la forme de parures personnelles, telles que des bagues, divers objets à spirale (bracelets, anneaux de cheveux, etc.) et des diadèmes, mais on trouve aussi, plus rarement, des rivets, des pommeaux et des poinçons », détaille Linda Boutoille. La plupart de ces objets sont des pièces massives coulées ou des fils forgés au marteau, mais on connaît également des objets en feuille d’argent obtenus par déformation plastique (diadèmes, appliques en céramique, etc.). Les décorations sur les objets métalliques, comme le repoussage et le ciselage, sont très rares dans la métallurgie d’El Argar. « L’absence de formes complexes et le faible niveau d’investissement technique ont souvent été interprétés comme des indices d’une production à petite échelle et d’une faible spécialisation artisanale », précise la chercheuse.
Une méthode raffinée, complexe, inattendue
La technique de la cire perdue, qui consiste à réaliser un modèle en cire de l’objet désiré, est considérée comme plus complexe que la fonte dans un moule à bivalve. « Le modèle en cire est ensuite recouvert de plusieurs couches d’argile, puis séché et cuit pour créer un moule, détaile Linda Boutoille. Les couches d’argile les plus fines, qui enveloppent le modèle en cire, permettent au moule de reproduire fidèlement les détails du décor ainsi que les imperfections du modèle. La cuisson du moule provoque la fonte de la cire, laissant une empreinte négative du modèle à l’intérieur, dans laquelle le métal en fusion est ensuite coulé. » Une fois le métal refroidi, le moule est brisé et l’objet est extrait. La technique de la cire perdue est souvent utilisée pour produire des objets complexes, massifs ou creux, tels que des vases, des figurines ou des ornements richement décorés, absents toutefois de la culture d’El Argar.
La rupture du moule en céramique lors de l’extraction de l’objet rend difficile l’identification du procédé à partir des fragments de moule: souvent, seuls les objets métalliques finis témoignent de l’utilisation de cette technique. Linda Boutoille a examiné minutieusement le bracelet à l’aide d’un microscope numérique haute résolution, grossissant sa surface jusqu’à 220 fois. Sa découverte a été riche d’enseignement: les traces fantomatiques de sa création, il y a environ quatre millénaires, étaient conservées dans l’argent lui-même.
Restes des canaux où a coulé le métal. En gros plants, les endroits où ils ont probablement été martelés pour être effacés.
Le bracelet mesure 58,9 mm de diamètre extérieur, présente une section transversale sub-ovale et trois rainures caractéristiques qui parcourent sa surface. Il ne pèse que 13,8 grammes: un bijou délicat dont la fabrication a nécessité un savoir-faire considérable. Mais ce sont les irrégularités de sa surface qui ont révélé son origine. Le docteur Boutoille a identifié des marques de polissage sur la surface intérieure et, surtout, la preuve que les rainures avaient été sculptées dans un matériau malléable plutôt que gravées dans du métal durci.
A son poignet, le témoignage d’une révolution technologique
Le bracelet avait été mis au jour le 23 mai 1884 par les archéologues Henri et Louis Siret, dans la tombe 292 du site archéologique d’El Argar à Almería, en Espagne. Pendant plus d’un siècle, il resta largement ignoré, dormant dans les collections des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, catalogué simplement comme un jonc d’argent, orné de trois rainures. Personne ne se doutait alors qu’il s’agissait là du témoignage d’une révolution technologique, porté au poignet d’une jeune défunte.
Car la tombe 292 recelait le corps d’ une femme âgée de 20 à 30 ans, inhumée dans un grand récipient en céramique appelé pithos. Bien que la sépulture ait été partiellement détruite au fil des millénaires, les vestiges témoignent de l’importance de cette personne dans la société argarique. Le mobilier funéraire comprenait huit objets en argent: un bracelet unique, une bague de bras en cuivre à spirale, plusieurs perles en os, pierre, cuivre et argent, deux bagues en argent à spirale, une bague en cuivre à spirale et deux récipients en céramique.
« La quantité et la qualité des objets en argent retrouvés dans la sépulture attestent que la défunte appartenait à ce que les archéologues appellent la « classe apicale », l’élite dirigeante de la société d’El Argar », précise Linda Boutoille.Et en ce sens, il est logique qu’elle ait bénéficié, à son poignet, de la dernière révolution technologique en date.
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