Caoutchouc Naturel: Plan d’Action pour Culture Durable

Caoutchouc Naturel: Plan d'Action pour Culture Durable
Caoutchouc Naturel: Plan d'Action pour Culture Durable

Africa-Press – Burkina Faso. Le Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad) vient de publier sa « feuille de route » pour une culture durable de l’hévéa. Ce programme couvrant les dix prochaines années ambitionne l’amélioration variétale de cet arbre pour de meilleurs rendements et une résistance accrue au changement climatique, une amélioration des revenus des petits agriculteurs qui assurent 80% de la production mondiale et une meilleure intégration de la culture dans son milieu tropical qui permettent une limitation de la déforestation.

Le Cirad met ainsi un coup de projecteur sur une culture extrêmement discrète mais essentielle. L’hévéaculture n’est jamais attaquée pour des effets destructeurs sur la biodiversité ou pour des émissions de CO2. On pense par ailleurs — à tort — qu’elle a depuis belle lurette été évincée par le caoutchouc synthétisé à partir de pétrole. « Pourtant, sans cet arbre, on ne pourrait par exemple pas fabriquer des pneus qui puissent résister à la pression d’un atterrissage, rappelle Laurent Vaysse, correspondant de la filière hévéa au Cirad. Le transport aérien dépend de petits agriculteurs qui ne prendront jamais l’avion ». Or, l’arbre n’a jamais été planté dans des régions dont la température moyenne annuelle excède les 28°C. Il est donc menacé par la hausse de la température mondiale qui a déjà atteint 1,4°C lors des 170 dernières années.

Des origines brésiliennes, des plantations asiatiques

L’hévéa contient dans son écorce un réseau de cellules laticifères. C’est une usine verte qui fournit deux agro-matériaux renouvelables: le latex aux propriétés élastiques incomparables et le bois utilisable comme énergie et, en Asie, comme matériau pour l’ameublement à la fin des 30 à 50 ans de durée de vie de l’arbre. On compte environ 2000 espèces végétales, principalement de la famille des euphorbes, qui sont capables d’exsuder cette substance. La famille des hévéas comprend, elle, une dizaine de membres. « Ces plantes sécrètent le latex comme moyen de défense contre les champignons et insectes pathogènes, complète Dominique Garcia, chercheur au Cirad et responsable des études génétiques menées sur l’hévéa. C’est une sorte de manteau protecteur généré entre l’écorce et le cambium, qui n’a donc rien à voir avec la sève ». Le latex est une molécule composée d’une suite très longue d’éléments comprenant à 90% du carbone. « Le caoutchouc est donc un produit industriel principalement composé de CO2 atmosphérique, et c’est donc un puits de carbone », signale le chercheur.

L’espèce qui fournit le latex est Hevea brasiliensis, le plus productif de la famille. Un nom scientifique qui met en avant l’origine amazonienne de la plante. Utilisé depuis des temps immémoriaux par les Incas, il a été redécouvert en 1735 par les naturalistes français La Condamine et Fresneau. Successivement, Thomas Hanckok a découvert la mastication en 1819 qui permet de donner toutes les formes au latex, Charles Macintosh invente en 1823 l’imperméabilisation des tissus, et Charles Goodyear en 1839 la vulcanisation qui permet de stabiliser les propriétés mécaniques (mais il faudra attendre 1885 et l’invention du pneu par John Dunlop pour qu’on trouve une utilité à cette innovation). C’est au cours de ce 19e siècle que l’on tente une première fois la mise en culture d’un arbre qu’il fallait auparavant rechercher au sein de la forêt. Mais la terre brésilienne abrite aussi un champignon ravageur, Microcyclus, qui défolie les arbres. En 1876, le botaniste anglais Henry Wickham procède à la première tentative d’implantation en Asie du Sud-Est. Succès complet.

Une première transformation simple opérée à la ferme

Aujourd’hui, 80% de la production de caoutchouc provient de cette région du monde. La Thaïlande est le premier pays producteur, avec 34% des 14,6 millions de tonnes produites annuellement. Suit l’Indonésie (14%, mais en baisse du fait de la concurrence du palmier à huile et de l’occurrence d’une nouvelle maladie des feuilles), le troisième étant un pays africain, la Côte d’Ivoire. « Avec l’indépendance de l’Indochine dans les années 1950, les planteurs européens se sont rabattus sur l’Afrique, raconte Laurent Vaysse. La Côte d’Ivoire a particulièrement profité de l’aubaine depuis les années 2010 car elle a un fort réseau de petits producteurs qui exploitaient déjà le cacao ». Le latex est en effet une affaire de paysans. 80% de la production provient de petites exploitations, l’hévéa constituant une culture de rente d’autant plus profitable qu’il produit toute l’année entre 500 et 2000 kilos de caoutchouc par hectare. Trente millions de personnes dans le monde vivent de cette culture.

Sa première transformation est par ailleurs simple et demande peu d’énergie. 10% du latex produit est ainsi stabilisé par traitement chimique (ammoniac), suivi d’un procédé de concentration par centrifugation pour faire du latex concentré qui servira de matière première à la fabrication de produits « au trempé », comme les gants ou les préservatifs. La première transformation peut être effectuée à la ferme par le producteur (coagulation, laminage et séchage) pour fabriquer des feuilles de caoutchouc facilement transportables. « Ce grade de caoutchouc est de grande qualité et est réservé à des usages particuliers, note Laurent Vaysse. Mais l’essentiel de la première transformation est effectué sur des sites industriels dédiés où le latex coagulé est lavé, granulé et séché pour former des balles de caoutchouc de 33 kg du label TSR (pour « technically specified rubber »), majoritairement à destination des fabricants de pneus.

Des propriétés inimitables

Car 73% du caoutchouc naturel est utilisé dans l’industrie manufacturière du pneu. La substance entre pour 17% dans la composition des pneus des voitures individuelles, 34% dans ceux des camions, et pratiquement 100% du caoutchouc des trains d’atterrissage est naturel. « La pétrochimie est incapable de reproduire les longues chaînes carbonées de plusieurs milliers d’unités d’isoprène avec un enchaînement parfait dit en ‘cis’, si bien que le caoutchouc synthétique n’arrive pas à supporter les fortes tensions que le produit naturel, lui, encaisse sans problème, s’amuse Laurent Vaysse. Un pneu en caoutchouc synthétique éclaterait au deuxième atterrissage ». Le caoutchouc naturel revêt ainsi une importance stratégique pour l’industrie en général, le transport aérien en particulier. Il est donc plus que temps de reconsidérer les conditions de vie de l’hévéa dans un climat changeant et sur une planète qui doit impérativement préserver et même étendre ses zones naturelles.

Le premier des objectifs de la feuille de route, c’est donc d’anticiper la hausse des températures. Un climat plus chaud pourrait affecter les conditions optimales de développement de l’arbre, mais aussi favoriser l’émergence d’insectes ou de champignons pathogènes. « Pour répondre en partie à ces défis, notre démarche vise à identifier et caractériser les régions du génome de l’hévéa, si possible les gènes spécifiques qui améliorent la production de latex et donc les rendements, expose Dominique Garcia. En même temps, nous développons des programmes d’amélioration à partir des variétés actuelles pour sélectionner de nouvelles variétés résistantes aux conditions climatiques, tolérantes aux maladies fongiques des feuilles qui pourraient apparaître, et adaptées au stress hydrique et aux différents sols tropicaux. » Les techniques de culture pourraient aussi évoluer, notamment en pratiquant le paillage des sols pour éviter les pertes en humidité, ou bien encore adapter les plantations à des conditions météorologiques extrêmes, et notamment aux vents violents pouvant déraciner les arbres. L’agroécologie et l’intégration des plantations dans le paysage et dans les écosystèmes locaux font également partie de la feuille de route du Cirad.

De meilleurs rendements pour éviter de déforester de nouvelles terres

Mais pas question, malgré tout, d’abandonner l’amélioration des rendements. Pour les petits planteurs, la question est cruciale, d’autant que les cours mondiaux ne sont pour l’instant pas très élevés. Mais il s’agit aussi de faire face à l’accroissement de la demande, actuellement d’environ 2% par an, sans avoir à étendre les 13 à 14 millions d’hectares consacrés dans le monde à l’hévéa, surface qui n’a pas augmenté depuis 2015. « Tous ces facteurs doivent être pris dans des approches globales intégrant aussi des questions de développement humain, comme les migrations et les questions de santé humaine et environnementale », plaide Laurent Vaysse.

Des gants de latex aux trains des avions, l’hévéaculture représente ainsi une multitude d’enjeux économiques, écologiques, techniques et sociaux. L’anticipation des impacts futurs sur l’arbre est un domaine scientifique et technique peu connu, mais crucial pour la pérennité des activités humaines au cours de ce siècle.

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