Africa-Press – Burkina Faso. Avec 600.000 décès et 250 millions de contaminations chaque année, le paludisme fait partie des infection les plus mortelles au monde. Transmise par un moustique, elle sévit dans environ la moitié des régions habitées par l’humain à travers le monde.
Si elle se limite aujourd’hui aux régions tropicales du globe, elle couvrait il y a cent ans encore la moitié de la planète, avec le Nord des Etats-Unis, le Sud du Canada, la Scandinavie ou encore la Sibérie. Au point que le paludisme est désormais ancré dans notre génome. Grâce à ces traces dans l’ADN, une étude inédite remonte sur la piste la plus anciennes de la maladie, il y a 5.500 ans, et décrypte comment elle a pu à ce point se propager sur la planète.
Le paludisme se traduit par l’éclatement des globules rouges
Cette maladie potentiellement mortelle commence par de la fièvre 8 à 30 jours après l’infection. Elle peut s’accompagner ou non « de maux de tête, de douleurs musculaires, d’un affaiblissement, de vomissements, de diarrhées, de toux. Des cycles typiques alternant fièvre, tremblements avec sueurs froides et transpiration intense, peuvent alors survenir: c’est l’accès palustre », explique l’Institut Pasteur.
Ces cycles coïncident avec la multiplication des parasites et l’éclatement des globules rouges, menant à l’anémie. « Le paludisme engendré par P. falciparum peut être fatal s’il n’est pas traité. Dans certains cas, les globules rouges infectés peuvent obstruer les vaisseaux sanguins irriguant le cerveau: c’est le neuropaludisme, souvent mortel. »
Dans les régions du monde où le paludisme est hautement endémique (c’est-à-dire qu’il sévit constamment dans ces régions, ndlr), la population peut devenir porteuse asymptomatique. Après des années d’infection chronique, une immunité naturelle acquise s’installe chez ces individus.
Le rôle central de la colonisation
Pour mieux comprendre l’histoire de Plasmodium falciparum et Plasmodium vivax, les deux souches les plus mortelles de paludisme, une équipe est partie sur les traces de cette maladie grâce à des restes de 36 humains issus des cinq continents et remontant jusqu’à 5.500 ans dans le passé.
« Nous avons analysé des milliers d’ADN anciens. Après avoir développé une méthode qui compare ces ADN dans notre base de données, nous avons pu détecter les fragments correspondant spécifiquement au paludisme. Par la suite, en augmentant les quantités d’ADN de paludisme dans ces échantillons, nous avons pu reconstruire les génomes de la maladie malgré le fait que l’ADN ancien était considérablement dégradé », explique à Sciences et Avenir Alexander Herbig, spécialisé en pathogénomique (la génétique des maladies, ndlr) à l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste et auteur de la publication dans Nature.
Parmi les questions brûlantes sur les lèvres des chercheurs: la variante Plasmodium vivax du paludisme, qui s’est adaptée aux températures froides, a-t-elle pu arriver sur le continent américain par les migrations humaines via le détroit de Béring ou a-t-elle été apportée par les colons européens ?
Le paludisme a fait des ravages dans les populations autochtones des Amériques
La réponse semblerait se trouver sur l’ADN d’un individu de Laguna de los Condors, un site de haute altitude situé dans les forêts d’Est des Andes péruviennes. L’équipe a retrouvé chez lui une souche ancienne de Plasmodium vivax qui présentait de nombreuses ressemblances avec la souche ancienne qu’on retrouve en Europe. La maladie a donc très probablement été apportée par les colons européens lors de leur arrivée sur le continent.
« Avec la guerre, l’esclavage et les déplacements de population, les maladies infectieuses et en particulier le paludisme ont dévasté les peuples autochtones des Amériques pendant la période coloniale, avec des taux de mortalité pouvant aller jusqu’à 90% dans certaines régions », explique Evelyn Guevara, co-autrice de l’article et chercheuse à l’Université de Helsinki.
La souche retrouvée chez cet individu de Laguna de los Condores ressemble aussi à la souche moderne du paludisme qu’on trouve aujourd’hui dans les populations au Pérou, 400 à 500 ans plus tard. « Nos données suggèrent que le pathogène s’est développé rapidement dans cette région et qu’il s’y est bien installé, au point de devenir endémique et de donner naissance aux parasites qui infectent toujours la population péruvienne aujourd’hui », souligne Eirini Skourtanioti, co-autrice de l’article et spécialisée en archéogénétique à l’Institut Max Planck.
Hier comme aujourd’hui, la propagation continue
En Europe, c’est plutôt l’activité militaire qui semble avoir façonné la propagation de cette maladie. En témoigne le cimetière gothique de la cathédrale St. Rombout à Mechelen en Belgique, attenant au premier hôpital militaire de l’époque moderne européenne (1567 à 1715): les individus enterrés là avant et après la guerre ne portent pas les mêmes souches de paludisme.
Ceux décédés après la guerre portent des formes plus virulentes de Plasmodium falciparum. Certains portent même une souche implantée dans les climats méditerranéens et dont ne savait pas qu’elle avait pu être endémique au Nord des Alpes à cette période.
Ces formes plus virulentes étaient portées par des individus mâles, sans doute des soldats recrutés d’Italie du Nord, d’Espagne et d’autres régions méditerranéennes dans le but de combattre l’armée des Habsbourg dans les Flandres lors de la guerre de 80 ans, qui a sévi de 1568 à 1648.
A la surprise générale, l’équipe a pu identifier le cas le plus ancien de paludisme jamais détecté, datant d’il y a 5.500 ans. Il se trouve de l’autre côté du globe, chez la population himalayenne du site historique de Chokhopani, qui était très investie dans le commerce de longue distance. Si la région de l’Himalaya semble aujourd’hui difficile à atteindre, les populations ont pu, par le passé, utiliser la rivière du Kali Gandaki pour se déplacer en vue d’échanges économiques. L’individu aurait pu être contaminé lors d’un aller-retour avant de décéder à Chokhopani où il a été enterré.
Le « paludisme d’aéroport »
Pour la première fois, une diversité de parasites anciens, dont certains issus de région où le paludisme est désormais éradiqué comme l’Europe, ont pu être analysés. Et les dynamiques d’hier ressemblent à celles d’aujourd’hui.
« Les grands déplacements de troupes ont joué un rôle important dans la propagation du paludisme à cette époque et cela ressemble tout à fait à ce qu’on appelle des cas de ‘paludisme d’aéroport’ aujourd’hui en Europe, commente Alexander Herbig. Dans notre monde globalisé, les voyageurs infectés ramènent les parasites de Plasmodium dans des régions où le paludisme est désormais éradiqué, et les moustiques capables de transmettre ces parasites peuvent même conduire à des cas de transmission locale continue. Bien que le paysage de l’infection en Europe soit radicalement différent aujourd’hui de ce qu’il était il y a 500 ans, nous observons des parallèles dans la manière dont la mobilité humaine façonne le risque de paludisme. »
Les auteurs expliquent que si des mesures de santé publique, comme les vaccins, les insecticides ou les moustiquaires ont permis d’éliminer la maladie dans certaines parties du monde, une éradication totale reste aujourd’hui un défi majeur.
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