Africa-Press – Burkina Faso. « Ce n’est pas un retour à la voile, mais une réinvention », s’exclame Lise Detrimont, déléguée générale de Wind Ship. L’association, créée en 2019, s’est fixé pour objectif de promouvoir la propulsion vélique dans la marine marchande en s’appuyant sur des systèmes innovants tels que les rotors, les profils aspirés, les ailes rigides ou les ailes de kite. « Certaines études montrent que la moitié de la flotte mondiale pourrait être équipée d’ici à 2050, car de nombreuses routes maritimes sont suffisamment ventées », se réjouit-elle.
De plus, certaines technologies peuvent être installées sur des navires déjà existants, en complément d’une motorisation. Lise Detrimont observe d’ores et déjà « une belle dynamique ». En seulement quelques années, une quarantaine de navires ont été équipés dans le monde, et leur nombre double d’une année sur l’autre. Rien qu’en France, où il en existe déjà plus de dix, une quinzaine d’autres devraient être mis à l’eau d’ici deux ans.
Un énorme défi
Aujourd’hui, le transport maritime, avec ses 100.000 navires de fret qui transportent 90 % des marchandises de la planète, représente 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre un chiffre qui pourrait atteindre 17 % en 2050, selon l’Organisation maritime internationale (OMI). Car l’OCDE estime que le trafic maritime pourrait tripler d’ici là.
En 2023, les 175 États membres de l’OMI se sont fixé l’objectif de parvenir à la neutralité carbone d’ici à 2050. « Un énorme défi, concède le porte-parole de l’organisation. Il est donc nécessaire de se tourner vers des carburants alternatifs et des solutions de propulsion telles que l’ammoniac, les biocarburants, l’énergie électrique, les piles à combustible, l’hydrogène, le méthanol et, bien sûr, l’énergie éolienne. »
Or, bien des questions se posent à propos des carburants alternatifs qui, aujourd’hui, ne sont même pas présents sur le marché: la disponibilité, le prix, la sécurité, ou encore la surface nécessaire à la culture des biocarburants. Alors que le vent est gratuit, inépuisable, et sans risque pour l’environnement.
Avant de fonder Zéphyr & Borée, compagnie spécialisée dans le transport à voile dont il est aujourd’hui président, Nils Joyeux s’est longtemps interrogé sur les moyens de décarboner la marine marchande. « Nous sommes encore trop techno-solutionnistes. La stratégie de décarbonation du secteur maritime repose sur les carburants alternatifs et les énergies renouvelables. Mais les secteurs automobile, aérien et tertiaire ont la même approche ! La demande va donc exploser, et les besoins ne pourront être satisfaits. Or, les navires, contrairement aux camions ou aux avions, peuvent utiliser des voiles et s’extraire de la dépendance aux carburants. Il faut en profiter. »
Des ailes rigides pour réduire de 50 % le bilan carbone d’un trajet
D’autant que plusieurs technologies véliques sont déjà sur le marché. Certains armateurs se sont tournés vers les voiles textiles, rappelant les navires d’antan, tel Grain de Sail, dont le voilier-cargo, un deux-mâts de 24 mètres, transporte du cacao et du café au seul souffle du vent depuis 2020. D’autres emploient des systèmes plus récents, ressemblant plutôt à de hauts cylindres en rotation, adaptés à des navires de grande taille. C’est le cas des rotors, qui utilisent l’effet Magnus la mise en rotation du cylindre génère une dépression et une surpression de part et d’autre, créant une poussée aérodynamique ou des profils aspirés, appelés aussi turbovoiles: utilisée par le commandant Cousteau pour ses bateaux le Moulin à vent et l’Alcyone, la turbovoile optimise l’écoulement de l’air par un système d’aspiration le long du profil, afin de créer là aussi une poussée aérodynamique. Pour entrer en rotation, ces deux systèmes doivent néanmoins être alimentés par une énergie extérieure et ne sont utilisés qu’en complément d’une motorisation classique. L’économie de carburant est de 20 % à 30 %.
Il existe également différents types d’ailes rigides ou semi-rigides, qui sont rétractables et orientables selon la direction du vent, et offrent même la possibilité d’être utilisées comme unique source de propulsion. Elles peuvent atteindre des dimensions bien supérieures à celles des voiles textiles. On peut aussi citer l’aile de kite, déployée sur de grands navires tels que le roulier Ville de Bordeaux. Ce cerf-volant automatisé permet de réduire de 20 % en moyenne la consommation de carburant. Il capte les vents en hauteur et aide à tracter le cargo. Avantage: il ne prend pas de place et ne réduit pas l’espace dédié aux conteneurs.
Mais il ne suffit pas à déplacer un cargo. « On devrait rapidement disposer d’évaluations techniques et économiques sur ces technologies, ce qui aidera à convaincre les armateurs de l’intérêt d’un tel investissement », note Lise Detrimont, qui déplore toutefois un manque de volontarisme politique. Quand il a lancé Zéphyr & Borée, Nils Joyeux a peiné à trouver des clients prêts à financer de tels projets. « Certes, il est plus cher d’utiliser nos navires que les bateaux conventionnels, reconnaît-il. Mais notre prix devrait rester stable à l’avenir ; avec les futures réglementations et la raréfaction des carburants fossiles, il deviendra même plus compétitif. Le prix du vent ne change pas au fil du temps ! »
L’entreprise, connue pour avoir développé le cargo à voile Canopée du constructeur de lanceurs spatiaux ArianeGroup, s’implique dans plusieurs chantiers comme la construction de trois porte-conteneurs à voile de 160 mètres. Ces navires devraient permettre d’abaisser de 50 % le bilan carbone du trajet grâce à des ailes rigides et à une vitesse réduite à 11 nœuds. Choix qu’a également fait la compagnie Neoline, dont le premier navire à voile est en construction. « Diminuer la vitesse de 15 à 11 nœuds divise par deux les besoins en énergie, décrit son président, Jean Zanuttini. Le vent assure 60 à 70 % de l’énergie nécessaire grâce à une aile de 1.500 mètres carrés. » Il vise une économie de carburant supérieure à 80 %. « Avec le prix du baril tel qu’il est aujourd’hui, peu cher et détaxé, et compte tenu du fait qu’il n’existe pour l’instant aucune valorisation de ces réductions d’émissions de CO2 sous forme, par exemple, de crédit carbone, nous sommes à peu près au même prix que les navires de taille équivalente, souligne-t-il. Mais nos concurrents sont bien plus grands: les rouliers font en moyenne 200 mètres quand le nôtre en fera 130. Sans parler des immenses porte-conteneurs. »
Plusieurs chargeurs se sont néanmoins engagés avec Neoline afin d’acheminer une part non négligeable de leur fret vers les États-Unis, attirés par l’engagement environnemental et les avantages logistiques proposés. D’autre part, même si la ressource en vent peut sembler aléatoire, grâce à des logiciels performants qui adaptent la route aux conditions météorologiques, les armateurs peuvent s’engager sur la ponctualité de leur trajet.
Des voiles pour décarboner la mer… Mais est-ce suffisant ? Pour économiser l’énergie, le véritable problème ne serait-il pas celui du gigantisme des navires et, plus globalement, du modèle de surconsommation auquel ils participent ?
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