Africa-Press – Burkina Faso. L’idée de cette recherche nous est venue des patients qui nous demandaient s’il était possible de suivre ce régime pour améliorer leur fonction cognitive”, explique Matthieu Lilamand, responsable de l’étude au Centre de neurologie cognitive de Paris. “En examinant la littérature scientifique, nous avons trouvé quelques études encourageantes menées sur des animaux ou de très petites cohortes de volontaires sur une courte période. Cependant, ces données ne suffisaient pas pour conseiller ou déconseiller cette diète à notre patientèle, d’autant plus qu’elle implique une modification importante de leur alimentation.”
Comment l’étude est-elle organisée ?
Lancé en 2020 — mais retardé pour cause de crise sanitaire —, l’essai clinique prévoit de diviser les participants en deux groupes. Pendant un an, le premier suivra un régime cétogène, caractérisé par une consommation très faible de glucides (sucre) et un apport élevé en graisses. Le groupe témoin, quant à lui, bénéficiera d’un suivi nutritionnel plus classique.
Pourquoi le régime cétogène pourrait-il être efficace contre la maladie d’Alzheimer ?
La maladie d’Alzheimer est une pathologie neurodégénérative complexe dont certains mécanismes demeurent encore méconnus. Cependant, des études ont montré que les personnes atteintes présentent souvent un métabolisme du glucose altéré dans le cerveau, ce qui signifie que cet organe utilise moins efficacement ce sucre comme source d’énergie. Or, bien que le cerveau ne représente qu’environ 2 % du poids total du corps, il consomme près de 20 % de l’énergie dérivée du glucose, ce qui en fait l’organe le plus demandeur en énergie.
Ce déficit en glucose peut donc avoir des conséquences néfastes sur le fonctionnement cérébral. Heureusement, le cerveau peut s’adapter à ce manque de sucre grâce à un “switch” métabolique, favorisant l’utilisation de corps cétoniques, des acides gras produits principalement par le foie, qui peuvent alors fournir l’énergie nécessaire.
En proposant une diète qui stimule la production de ces corps cétoniques, les chercheurs espèrent améliorer l’approvisionnement énergétique du cerveau et potentiellement ralentir la progression de la maladie d’Alzheimer. Cette hypothèse, connue sous le nom de “Brain Energy Rescue”, a été développée par Stephen Cunnane, chercheur à l’université de Sherbrooke, au Canada.
Les mécanismes inflammatoires dans la maladie d’Alzheimer
Un autre avantage potentiel du régime cétogène pourrait être la réduction de la neuro-inflammation qui favorise l’apparition des lésions cérébrales qui définissent la maladie. Cette pathologie se caractérise par deux types de lésions principales:
La dégénérescence neurofibrillaire se produit à l’intérieur des neurones, où une protéine appelée tau s’altère, entraînant une désorganisation de l’architecture neuronale et l’accumulation anormale de filaments dans les cellules nerveuses, ce qui conduit à la mort neuronale.
Les plaques amyloïdes se forment dans l’espace entourant les neurones et sont constituées de dépôts de petites protéines, nommées peptides bêta-amyloïdes, qui perturbent la communication entre les neurones et contribuent à la dégénérescence progressive du tissu cérébral.
En réponse à ces lésions, deux types de cellules, celles de la microglie et les astrocytes, sont activées:
La microglie comprend les cellules immunitaires qui constituent la première ligne de défense du cerveau. Elles protègent le tissu cérébral et participent à la réparation des cellules endommagées en libérant des molécules (cytokines, chimiokines) qui attirent d’autres cellules immunitaires sur le site de l’inflammation.
Les astrocytes jouent un rôle crucial dans le soutien métabolique des neurones, fournissant les nutriments nécessaires et régulant l’environnement chimique du cerveau. Lorsqu’ils sont activés par les lésions neuronales, ils libèrent également des cytokines et des chimiokines.
Cette activation prolongée de la microglie et des astrocytes peut malheureusement entraîner une inflammation persistante de bas grade, ou neuro-inflammation chronique, qui aggrave la progression de la maladie d’Alzheimer.
Des études sur des modèles animaux ont montré que le régime cétogène pourrait réduire cette neuro-inflammation.
Améliorer la santé des mitochondries
Les mitochondries sont des composants essentiels des cellules, responsables de la production de l’énergie nécessaire à leur bon fonctionnement. Des recherches ont révélé une défaillance de ces “centrales énergétiques” au niveau des neurones dès les premiers stades de la maladie d’Alzheimer.
“En apportant davantage de lipides (graisses) au cerveau, on peut espérer stimuler le renouvellement des mitochondries, les lipides étant des constituants essentiels de ces organites, souligne le chercheur. Des travaux menés sur des animaux nourris avec un régime cétogène ont d’ailleurs montré une augmentation du nombre de mitochondries, non seulement dans le cerveau, mais également dans les muscles.”
De plus, “le fait qu’il y ait moins de glucose et de produits de glycation avancée générés au sein des mitochondries diminue le stress oxydatif (stress moléculaire), ce qui réduit les dommages subis par les mitochondries”.
Ces deux phénomènes conjugués pourraient contribuer à un meilleur fonctionnement neuronal.
Des hypothèses à vérifier
“Bien sûr, ces hypothèses doivent être rigoureusement testées. Nous avons plusieurs questions sur l’efficacité de ce régime, notamment l’observance thérapeutique, c’est-à-dire la capacité des patients à le suivre à long terme. C’est pourquoi nous avons décidé de ne pas supprimer complètement l’apport en glucides: les volontaires peuvent en consommer jusqu’à 50 grammes par jour”, précise Matthieu Lilamand.
Il est aussi crucial de former les patients à suivre cette diète. “Nos diététiciennes ont collaboré avec leurs collègues de l’hôpital Necker, qui ont l’expérience de la prescription de ce régime aux enfants épileptiques, car dans ce contexte, il a montré des résultats prometteurs”, ajoute-t-il.
“Nous nous interrogeons également sur les effets secondaires potentiels, et surtout sur la perte de poids et de masse musculaire. Pour cette raison, les volontaires seront suivis de près, avec une dizaine de rendez-vous tout au long de l’année de l’expérience, où leur poids et leur état de santé seront régulièrement contrôlés”, conclut-il.
Interrogé par Sciences et Avenir sur d’autres projets de recherche explorant des approches similaires, le chercheur indique que ce sujet suscite un intérêt croissant, comme en témoigne une synthèse publiée en juin 2024. “Dans cette analyse de l’ensemble des données scientifiques disponibles, les auteurs concluent à l’intérêt potentiel du régime cétogène, bien qu’il entraîne une augmentation de certains lipides dans le sang”, précise Matthieu Lilamand.
Il mentionne également un essai clinique en cours où l’augmentation de la synthèse des corps cétoniques présents dans l’organisme des patients est obtenue grâce à un apport supplémentaire en graisses, fourni sous forme de molécules appelées triglycérides à chaîne moyenne (MCT).
Les MCT (présentes par exemple dans l’huile de coco) sont des graisses spécifiques que l’organisme peut convertir rapidement en corps cétoniques.
Cependant, les responsables de l’étude française en cours (Cetoma) ont souhaité stimuler la synthèse de corps cétoniques par une diète naturelle plus riche en graisses provenant des aliments, plutôt que d’utiliser ces compléments alimentaires.
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