Pollution Plastique: Nettoyer les Océans, Une Illusion

Pollution Plastique: Nettoyer les Océans, Une Illusion
Pollution Plastique: Nettoyer les Océans, Une Illusion

Africa-Press – Burkina Faso. Le plastique est partout. Il est dans les océans, dans les rivières, dans les organismes marins et même dans notre cerveau – cinq milligrammes de plastique par gramme, soit l’équivalent d’une cuillère en plastique selon un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques.

Face à l’accumulation massive de déchets plastiques dans les milieux aquatiques, les initiatives de nettoyage des océans se sont intensifiées. Des efforts communautaires de nettoyage des plages aux technologies de pointe, une large gamme de dispositifs a vu le jour pour intercepter les plastiques avant qu’ils n’atteignent les océans et s’y désagrègent. Parmi ces solutions: des bateaux collecteurs de plastique, des poubelles marines flottantes comme les SeaBins, des barrières à bulles, ou encore des robots sous-marins. Tous ces outils partagent un objectif commun: extraire les plastiques des écosystèmes fluviaux et marins afin d’en atténuer les impacts environnementaux.

The Ocean Cleanup

L’ONG néerlandaise The Ocean Cleanup figure certainement parmi les initiatives mondiales les plus connues dans la lutte contre la pollution plastique des océans. Son objectif: « nettoyer 90 % du plastique océanique flottant dans le monde d’ici 2040 ». Pour atteindre cet objectif, l’ONG mène son combat sur deux fronts: d’une part, en interceptant le plastique dans les rivières pour réduire l’afflux de pollution, d’autre part en nettoyant ce qui s’est déjà accumulé dans l’océan.

Le vortex de déchets du Pacifique Nord (NPGP) aussi appelé « continent de plastique » abrite les projets de pêche au plastique les plus médiatisés. C’est sur cette région que The Ocean Cleanup a jusqu’à présent concentré ses opérations océaniques. L’ONG y a installé une immense barrière flottante bordée de filets qui exploite les courants océaniques pour accumuler le plastique à la surface du NPGP. « Les courants circulant dans la zone de déchets déplacent le plastique, créant ainsi des points névralgiques naturels en constante évolution où la concentration est plus élevée. Grâce à la modélisation informatique, nous pouvons prédire où se trouvent ces points chauds et placer les systèmes de nettoyage dans ces zones », détaille l’ONG. « Une fois que nos conteneurs sont remplis de plastique à bord, nous les ramenons à terre pour les recycler ».

Mais l’ONG ne s’arrête pas là: elle a également déployé des dizaines de barrières flottantes dans les rivières du monde entier. « Nos recherches nous ont permis de découvrir que les rivières sont les artères qui transportent le plastique de la terre à la mer et que 1% seulement des rivières est responsable de près de 80% de tout le plastique qui se retrouve dans l’océan. Si nous bloquons le plastique à cet endroit, nous avons toutes les chances d’empêcher rapidement plus de plastique de se retrouver dans l’océan », précise Boyan Slat, son PDG et fondateur. Son dispositif principal, l’Interceptor Original, est une solution autonome à énergie solaire dotée de systèmes intelligents de traitement et de connectivité. Pour les petits cours d’eau, The Ocean Cleanup utilise également l’Interceptor Barrier, une barrière flottante en forme de U et qui se place autour de l’embouchure d’une petite rivière. Cette barrière retient les déchets jusqu’à leur collecte.

« 1% des rivières semble peu, d’une certaine manière c’est une bonne nouvelle, mais d’un autre côté, il s’agit toujours d’un millier de rivières. Donc bien sûr il est vraiment important que nous ayons des solutions qui soient extensibles, que nous puissions construire en série parce que c’est ce qui est vraiment ancré dans la philosophie de ces intercepteurs, mais en même temps, chaque rivière est différente », ajoute-t-il. « En fin de compte, si nous voulons être efficaces pour stopper le plastique, nous devons toujours être en mesure d’avoir une solution efficace pour chacune de ces 1 000 rivières ». Ainsi, d’autres technologies, allant du low-tech au high-tech, sont étudiées et développées au cas par cas afin d’optimiser la capture des plastiques en fonction des contraintes locales. Mais la technologie a aussi ses limites.

Une menace pour la vie marine et les écosystèmes côtiers

Si les technologies de nettoyage des océans apparaissent comme une réponse séduisante à la pollution plastique, elles peuvent paradoxalement aggraver les déséquilibres écologiques qu’elles prétendent résoudre. Cela s’explique notamment par le fait que les technologies de nettoyage des plastiques ne font pas de distinction entre la vie aquatique, le plastique et les débris organiques, qui s’accumulent souvent dans les mêmes zones. Ceci est particulièrement vrai dans les régions côtières comme à Hawaï: près de 100% des grandes larves de poisson et plus de 95% des plastiques flottants sont concentrés dans des régions calmes de l’eau de surface, qui ne représentent que 8% de la surface de l’océan, ce qui rend extrêmement difficile la séparation de la vie marine et du plastique, précise une étude de l’Environmental Investigation Agency (EWA) et de Ocean Care d’octobre 2023.

Le cas de The Ocean Cleanup, qui a capturé près de 700 kg de prises accessoires, composées principalement de poissons, de requins, de mollusques et de tortues marines lors de ses douze premières opérations dans le NPGP, en est une illustration concrète. Quel est le point de vue des scientifiques sur les solutions actuellement déployées?

« L’essentiel de ce qui est présent dans les océans est contenu dans les sédiments »

Xavier Cousin, écotoxicologue et chargé de recherches hors classe pour l’INRAE, donne son avis sur ces solutions à l’UNOC: « La plupart des stocks de plastique sont à terre, tandis que l’essentiel de ce qui est présent dans les océans est contenu dans les sédiments. En réalité, la part qui va être accessible au nettoyage représente donc une fraction infime de la quantité de plastique présente dans les océans. Fouiller les sédiments nécessite de retourner le sol en entier, avec des conséquences écologiques qui peuvent être importantes. Et finalement, ce qui est dans les océans accessible en surface, si ce sont des macros-déchets, vous allez pouvoir les récupérer mais si ça fait 10 ans qu’ils sont là, au moment où vous les allez les collecter, ils vont se fragmenter. Les actions menées à terre sur des fragments de grosse taille, qui sont manipulables ont plus de sens que d’imaginer nettoyez les océans des plastiques ».

Le coût énergétique et financier des technologies de collecte du plastique

Ces technologies de collecte du plastique présentent aussi un coût énergétique et financier élevé. Les dispositifs de nettoyage comme ceux déployés par The Ocean Cleanup fonctionnent grâce à des moteurs thermiques émettant d’importants volumes de gaz à effet de serre. De plus, afin d’avoir un réel impact, ces technologies nécessiteraient une mise à l’échelle sans précédent. Des études montrent qu’un déploiement massif — 200 dispositifs de nettoyage basés sur des navires en fonctionnement continu jusqu’en 2150 — n’aurait qu’un impact limité sur la pollution plastique flottante à l’échelle mondiale, compte tenu de la trajectoire de production de plastique actuelle.

Ensuite, il faut aussi noter que la collecte n’est pas la fin du cycle de vie du plastique. Il faut prendre en compte les coûts d’élimination des déchets collectés. Trois options s’offrent généralement: le recyclage, l’enfouissement ou l’incinération. Le recyclage mécanique est souvent peu viable, car les plastiques marins sont dégradés, contaminés et difficiles à trier. L’incinération pose quant à elle des problèmes environnementaux en raison des émissions toxiques qu’elle génère. L’enfouissement, souvent utilisé faute de mieux, présente des risques de pollution secondaire. Sans stratégie de traitement en aval, les opérations de nettoyage risquent ainsi de déplacer le problème plutôt que de le résoudre.

Plutôt que de soigner, prévenir

Face à ces limites, un nombre croissant de chercheurs soulignent qu’une réduction drastique à la source — via la limitation de l’usage des plastiques et leur meilleure gestion à terre — serait bien plus efficace et moins risquée que des opérations de nettoyage massives en milieu naturel.

Cela suppose des mesures ambitieuses et juridiquement contraignantes en amont: encadrement de la production, prise en compte des substances préoccupantes, écoconception à l’échelle mondiale, et promotion de systèmes alternatifs comme la réutilisation, la réparation ou la recharge.

Des négociations sont actuellement en cours sous l’égide des Nations Unies pour l’élaboration d’un Traité mondial sur la pollution plastique en prenant en compte l’ensemble du cycle de vie du plastique, de sa production à sa gestion en tant que déchet. Le processus de négociation, lancé en 2022 a depuis réuni cinq fois en moins de deux ans le Comité intergouvernemental de négociation (CIN). Si le calendrier tient, un texte final pourrait voir le jour d’ici début 2026.

Christina Dixon, responsable de campagne Océan de l’Environmental Investigation Agency, réaffirme le besoin crucial de ce traité à l’UNOC, mardi 10 juin 2025: « Nous avons besoin d’un traité mondial sur la pollution plastique pour aborder la question de la production de plastique et le type de plastique afin de faciliter tout ce qui viendra par la suite, c’est-à-dire toutes les opérations de nettoyage, de recyclage etc. Un traité qui ferme le robinet de la production de plastique est donc essentiel, de même qu’un financement pour soutenir une transition vers des alternatives véritablement durables. C’est là notre grande chance de nous attaquer au problème des plastiques en amont, ce qui est bien plus rentable que de payer pour des dépollutions indéfiniment ».

Après Nice, tous les regards se tournent désormais vers Genève. C’est là que se jouera en août l’avenir du traité, de nos rivières et océans.

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