Africa-Press – Burkina Faso. Google, Facebook, YouTube, TikTok… Depuis l’irruption d’internet survenue dans les années 1990, notre quotidien a radicalement changé, et les applications ont acquis une place centrale dans nos vies. Au point d’éveiller des craintes: ont-elles un impact sur la cognition, notamment sur la mémoire? Malgré trois décennies de recul, aucune preuve scientifique définitive ne va dans ce sens.
« L’effet de ces outils sur la mémoire a été peu étudié », confirme Michoel Moshel, neuropsychologue à la Macquarie University de Sydney (Australie) qui, dans une méta-analyse publiée en septembre 2023 dans Neuropsychology Review, a passé en revue toutes les études disponibles sur les effets potentiels de l’utilisation excessive des écrans. Une poignée d’entre elles a bien pointé un potentiel effet d’externalisation, le cerveau de l’utilisateur faisant moins d’effort lorsqu’il délègue une tâche à une application, comme un GPS ou une calculatrice. Mais cela ne signifie pas pour autant que les capacités mnésiques en soient véritablement amoindries.
L’émergence des intelligences artificielles génératives, telles que ChatGPT, a cependant renforcé la méfiance. La mise en ligne d’un preprint (article non encore validé) en juin 2025 par une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT, États-Unis) a semé la zizanie… alors même que l’objectif principal de l’étude rapportée n’était pas d’analyser l’effet de l’utilisation de l’IA sur la mémoire. « L’expérience portait sur l’aptitude à rédiger une dissertation, ce qui implique la mémoire, mais pas uniquement », clarifie Nataliya Kosmyna, neuroscientifique au MIT et autrice de l’étude. Néanmoins, les résultats de celle-ci interpellent, car ils montrent que les personnes qui composent un texte à l’aide de ChatGPT s’en souviennent beaucoup moins que celles qui n’utilisent pas cet outil.
Les participants, une cinquantaine d’étudiants de la région de Boston, devaient rédiger des dissertations en vingt minutes, en recourant à l’IA, à Google, ou sans aide technologique. Durant l’exercice, leur activité cérébrale était enregistrée par électroencéphalographie. Ils devaient ensuite répondre à des questions sur leur texte et s’en remémorer des passages. La grande majorité de ceux ayant utilisé ChatGPT ne se souvenait d’aucun, alors que les participants des autres groupes y parvenaient sans problème. « Ce qui n’est pas vraiment surprenant, remarque Nataliya Kosmyna, car comment peut-on se rappeler un texte si on ne l’a pas écrit? »
Ce résultat était corrélé avec une activité cérébrale bien moins intense chez le groupe avec IA, notamment dans la partie du cerveau impliquée dans la mémoire épisodique: les étudiants n’enregistraient pas de souvenirs liés au texte qu’ils étaient censés écrire. Ce que l’étude démontrait ainsi, ce n’était donc pas des problèmes de mémoire, mais d’implication: les participants étaient moins investis lorsque la tâche d’écriture était déléguée à une IA.
Rédigés avec ChatGPT, des textes qui se ressemblent beaucoup
À la longue, cette moindre implication pourrait cependant avoir des effets délétères sur la mémoire. « Nos capacités d’attention et de concentration pourraient s’en trouver diminuées. Car les IA délivrent une réponse qui a l’air parfaite en quelques secondes seulement. En les utilisant régulièrement, on peut penser que nous deviendrons moins attentifs et moins patients, par exemple pour lire un document afin d’y chercher une réponse, explique Nataliya Kosmyna. Pourtant, ces compétences sont essentielles pour l’apprentissage. » Sans oublier que l’écriture favorise la réflexion et l’émergence d’idées originales. Ce dont témoigne d’ailleurs l’étude: les textes rédigés avec ChatGPT se ressemblaient beaucoup, ce qui n’était pas le cas de ceux des autres groupes.
Le phénomène de baisse d’attention et de concentration s’observe également avec d’autres applications récentes, notamment TikTok. Une étude de l’université Ludwig-Maximilian à Munich (LMU, Allemagne), présentée en 2023 lors d’un congrès sur les interactions humain-machine à Hambourg (Allemagne), a montré que le visionnage à la chaîne de vidéos très courtes nous fait oublier ce que nous avions l’intention de faire. « Cela affecte la mémoire prospective, qui nous rappelle d’accomplir dans le futur une tâche planifiée dans le passé », précise Francesco Chiossi, spécialiste en neurosciences cognitives à la LMU et auteur de l’étude.
Pour celle-ci, 60 participants devaient retenir une tâche durant dix minutes tout en visionnant TikTok, une vidéo longue de YouTube ou X (anciennement Twitter). Résultat: ceux qui regardaient TikTok oubliaient leur tâche presque une fois sur deux, ce qui n’était pas le cas dans les autres groupes. « Ces vidéos courtes ont tout pour capter l’attention à tous les niveaux: c’est de l’image, du son, souvent même des sous-titres, et le contenu change souvent. Elles excèdent nos ressources cognitives, au point que nous ne parvenons plus à nous focaliser sur quoi que ce soit d’autre », résume le chercheur. Et sans cette capacité de focalisation, la mémoire pâtit.
La durée moyenne d’une vidéo sur YouTube est de trente secondes
Mais TikTok n’est pas la seule plate-forme à produire cet effet. La méta-analyse de Michoel Moshel mentionnée plus haut rapporte en effet que l’utilisation excessive des écrans, peu importe dans quel but, affecte nos capacités d’attention. Un résultat qui vient s’ajouter aux conclusions d’une étude publiée elle aussi en 2023 par des chercheurs du service de pédiatrie du CHRU de Brest dans Pediatric Neurology, qui montre notamment qu’une exposition excessive des enfants aux écrans peut entraîner des troubles de l’attention.
Plus récemment, la revue suisse Children soulignait en avril que la plupart des études sur le sujet montrent que l’exposition excessive aux écrans affecte la mémoire de travail et l’attention des enfants et adolescents. « On voit déjà le phénomène dans la vie réelle: la durée moyenne d’une vidéo sur YouTube, qui était de dix minutes, est en train de passer à environ trente secondes, ce qui commence même à être trop long, rappelle Michoel Moshel. De plus en plus de patients me disent qu’ils ont du mal à lire un livre, à rester concentrés durant tout un paragraphe. Nous avons tous la sensation que notre attention s’effrite, et que nous avons du mal à contrôler notre utilisation des écrans. »
Mais ce n’est pas une fatalité. « L’attention et la mémoire sont comme des muscles, on peut les renforcer en les utilisant: par exemple, en se focalisant sur une tâche courte et en allant jusqu’au bout sans distractions ni interruptions. Et en augmentant progressivement sa durée, comme on le ferait pour une activité sportive, conseille Michoel Moshel. Et surtout, en évitant les contenus qui affectent l’attention, comme les vidéos courtes de YouTube et TikTok ou le doomscrolling (défilement de contenus en continu, ndlr). On doit prendre soin de son cerveau comme on prend soin de son corps, en évitant cette ‘malbouffe’ cérébrale. »
Quant à l’IA, omniprésente, qu’en faire? « Elle peut sûrement avoir une utilité, mais nous devons discerner quand c’est le cas et quand il vaut mieux s’en passer », souligne Nataliya Kosmyna. L’étude qu’elle a dirigée apporte quelques pistes. Car dans une deuxième partie de l’expérience, les participants dissertaient sur un sujet déjà traité dans la première phase, mais en changeant de groupe: ceux qui avaient utilisé ChatGPT n’y avaient plus accès, et inversement. Résultat: l’activité cérébrale de ceux ayant utilisé l’IA dans la première phase était plus faible que celle des participants qui n’avaient pas été aidés par elle. Parce qu’ils avaient utilisé ChatGPT, ils étaient devenus moins performants.
Alors que ceux qui avaient réfléchi seuls au début amélioraient leurs performances grâce à l’outil, en l’utilisant de manière raisonnée. Conclusion: « On pourrait éviter d’introduire ces outils tout au début de l’apprentissage, et attendre que les étudiants aient déjà des connaissances de base sur lesquelles s’appuyer », propose la chercheuse. Ces technologies font partie de nos vies: à nous de nous souvenir de les utiliser au mieux.
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