Africa-Press – Burkina Faso. La fosse des Mariannes, fascinante empreinte de la tectonique des plaques, révèle très progressivement ses secrets. Il faut dire que ce gouffre représente le point le plus profond de la croûte terrestre. A l’est de l’archipel des Philippines, il s’enfonce sur 11.000 mètres. Si vous pouviez vous y engouffrer, vous y croiseriez, au fur et à mesure de votre progression vers les grands fonds, des espèces exceptionnelles : un poisson à la tête complètement transparente, le Barreleye du Pacifique, puis une pieuvre translucide, l’amphitretus pelagicus, et enfin, le dénommé vB_HmeY_H4907. C’est le petit nom du nouveau virus découvert à 8 900 mètres de profondeur, par une équipe de chercheurs de l’université océanique de Chine. Leurs résultats ont été publiés dans la revue Microbiology Spectrum.
Un virus émerge des profondeurs
“Ce n’est pas étonnant ! Là où il y a de la vie, il y a des virus”, s’exclame Martial Marbouty, chercheur au CNRS, pour Sciences et Avenir. A près de 9 000 mètres de profondeur, l’équipe de Yantao Liang effectue un prélèvement sur la couche sédimentaire de la fosse des Mariannes. De retour au laboratoire, les biologistes identifient dans l’échantillon des bactéries, Halomonas meridiana. Ils s’interrogent alors sur une possible infection de cette bactérie, par un virus : une situation très fréquente. “Chaque jour, entre 15 et 40% de la masse bactérienne océanique est infectée puis lysée, c’est-à-dire tuée, par des virus bactériophages”, indique Martial Marbouty. Ce sont des virus spécialisés, qui s’attaquent aux bactéries : on les appelle les phages. Ils sont généralement spécifiques d’une seule espèce de bactérie.
Le phage, prédateur des bactéries
Comme le virus pour des cellules, le phage reconnaît un récepteur à la surface de la bactérie, et s’y fixe. Il injecte son génome à l’intérieur de la bactérie. “Le matériel génétique qu’il intègre à la bactérie peut être un bout d’ADN, ou bien d’ARN, à double brin, ou simple brin, cela dépend du phage”, explique Martial Marbouty. S’amorce alors une course contre-la-montre entre le système immunitaire de la bactérie et le système infectieux du phage. L’intérêt pour le virus ? Détourner toute la machinerie cellulaire de la bactérie, à son profit. Ce qui lui permet de se multiplier.
Il existe deux types de phages. Les uns sont dits “virulents”, ils se reproduisent et abandonnent la bactérie en la tuant. Leur cycle est appelé “lytique”. A l’inverse, il existe des phages “tempérés”. Celui-ci passe inaperçu dans la cellule. “Il se multiplie grâce à son hôte. Chaque fois que la bactérie se réplique, il se réplique également car il est complètement intégré”, détaille le virologue. Il est totalement passif. On parle alors de cycle lysogénique. Toutefois, ces phages sont aussi capables de prendre le contrôle de la bactérie et de la tuer si elle fait face à un stress trop élevé, dû à l’environnement par exemple.
“On trouve des traces des phages partout”
Pour identifier l’infection potentielle, les chercheurs ont confronté la bactérie à une substance chimique (Mytomicine C), provoquant un stress de l’organisme. “Pour le phage, c’est un peu comme si sa maison prenait feu. Il passe alors en cycle lytique : il tue la bactérie et en sort”, résume Martial Marbouty. Les biologistes peuvent ainsi identifier le virus, jusqu’alors inconnu. Ses données génétiques permettent même aux chercheurs de lui attribuer une nouvelle famille rien qu’à lui : les Suviridae, adeptes des profondeurs océaniques. Toutefois, ce n’est pas la première fois qu’un phage de la grande famille des siphovirus, dont celui-ci fait aussi partie, est identifié dans l’océan.
A vrai dire, ces virus sont présents partout ! Même… dans notre intestin ! “Chaque fois qu’on analyse le génome d’un environnement, on trouve des traces de ces phages”, explique le virologue. Mais difficile pour les scientifiques d’identifier le phage à coup sûr : souvent, ils ne disposent que de fragments de son ADN. “Actuellement, on essaie de développer des outils qui seraient capables de reconstituer le génome complet de ces phages”, ajoute-t-il.
Régulateur de biodiversité
Les phages ont un impact considérable sur toute la vie bactérienne. D’abord, ils en sont un prédateur féroce puisqu’ils sont responsables d’un quart des lyses de bactéries, aboutissant à leur mort. Le système immunitaire des bactéries évolue donc en permanence pour lutter contre les phages, tandis que ces derniers renouvellent aussi leur technique d’infection : “C’est une véritable course à l’armement”, sourit Martial Marbouty.
Par ailleurs, comme tous les virus, les phages sont à l’origine d’un vaste brassage des gènes des cellules qu’ils infectent. “Quand le phage se multiplie, et quitte la cellule, il peut emporter avec lui des séquences d’ADN de son hôte et les intégrer dans les bactéries qu’il infecte par la suite”, précise le biologiste. C’est ce qu’on appelle le transfert horizontal de gènes.
Les phages, utiles pour soigner l’être humain
La capacité des phages à tuer des bactéries bien précises a même déjà été utilisée pour soigner les Hommes. “L’avènement des antibiotiques, plus faciles à utiliser, a fait tomber les phages dans l’oubli, mais on sait depuis longtemps qu’ils peuvent être très efficaces en cas d’infection bactérienne”, éclaire Martial Marbouty. Aujourd’hui, la résistance croissante des bactéries à ces médicaments ravive l’intérêt des scientifiques pour ces petits virus spécialisés. Leur fonctionnement est bien plus précis que celui des antibiotiques. Ces derniers s’attaquent à toutes les bactéries, conduisant les médecins à prescrire la prise de levures ou de probiotiques pour éviter les maux d’estomac. En revanche, le phage ne cible qu’une seule espèce de bactérie.
De nouvelles recherches permettront de compléter les connaissances des scientifiques sur les phages et leur génome, et en apprendre davantage sur son incidence au sein d’écosystèmes aussi variés : des profondeurs des mers, jusqu’au microbiote intestinal.
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