Cinéma africain à Cannes : “Il est grand temps que nos récits contaminent le cinéma mondial”

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Cinéma africain à Cannes : "Il est grand temps que nos récits contaminent le cinéma mondial”

Africa-Press – Burundi. Les derniers candidats à la Palme d’or dans les starting-blocks. À quelques jours de la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, qui se déroulera samedi, les stars d’Hollywood ont fait un retour remarqué mardi soir sur le tapis rouge, à l’occasion de la première d’“Asteroid City”. Le nouveau long métrage du fantasque réalisateur Wes Anderson rassemble l’un des plus beaux castings du festival avec Scarlett Johansson, Tom Hanks, Margot Robbie, Matt Dillon, Steve Carell ou bien encore Tilda Swinton.

Dans cette comédie-dramatique déjantée, un concours de petits génies des sciences, organisé en plein désert, est bouleversé par la visite d’un improbable extra-terrestre qui provoque une intervention de l’armée. Malgré quelques jolies trouvailles d’inventivité, le film a reçu un accueil mitigé des critiques, que son incroyable casting n’est pas parvenu à complètement convaincre.

Outre cette ribambelle de stars, le Festival de Cannes a réservé un chaleureux accueil à deux cinéastes iconiques du cinéma italien. Lauréat d’une Palme d’honneur en 2021, Marco Bellocchio, 84 ans, est de retour sur la Croisette avec “Rapito” basée sur l’histoire vraie de la conversion forcée au catholicisme d’un enfant juif, enlevé à sa famille sur ordre du pape au 19e siècle.

Dans un registre radicalement différent, Nanni Moretti manie l’autodérision dans “Vers un avenir radieux”, l’histoire d’un réalisateur italien adulé, qui tente tant bien que mal de faire un nouveau long métrage alors que les éléments semblent s’acharner contre lui.

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La percée africaine continue

La montée en puissance du cinéma africain s’est poursuivie ces derniers jours avec les projections de deux films marquants en provenance de la République démocratique du Congo et du Cameroun.

“Augure”, film choral du rappeur et performeur Baloji explore le thème de l’ostracisme à travers le parcours de plusieurs personnages rejetés car accusés de s’adonner à la sorcellerie et qui vont unir leurs forces pour sortir de ce carcan. Cette première entrée congolaise au Festival de Cannes était présentée dans la Section Un certain regard.

Enfin, “Mambar Pierrette”, diffusé dans la Quinzaine des cinéastes, dresse le portrait intimiste d’une couturière camerounaise, mère célibataire, qui tente difficilement de joindre les deux bouts, sous la menace des inondations provoquées par la saison des pluies. Cette guerrière du quotidien s’active sans relâche sur sa machine à coudre à l’approche de la rentrée scolaire pour pouvoir fournir à ses enfants le matériel nécessaire. Dans son petit salon, clients et voisins s’attardent, partagent leurs joies et désillusions, dressant en filigrane un minutieux portrait des complexités et contradictions de la société camerounaise.

Diffusé dans le cadre de la Quinzaine des cinéastes, ce drame poignant est le premier film de fiction de la réalisatrice Rosine Mbakam, après plusieurs documentaires remarqués, explorant les thèmes de la filiation ou bien encore de l’exode vers l’Europe. Lors d’un entretien avec France 24, la cinéaste a évoqué son processus créatif, au plus proche de la réalité de ses personnages, ainsi que son engagement pour valoriser les récits africains dans l’industrie du cinéma.

“Mambar Pierrette” est votre premier long métrage de fiction bien qu’il mette en scène votre cousine dans un rôle très proche de sa réalité. Où situez-vous la frontière entre le documentaire et la fiction ?

Rosine Mbakam : La réalité de Pierrette est au centre du film. Je me suis inspirée de sa vie pour écrire cette histoire. Ensuite durant le tournage, les personnages se sont saisis du récit pour ramener le scénario à leur réalité propre.

La fiction ne prend jamais le dessus, elle vient pour densifier et complexifier la narration, pour rendre visible des éléments de contexte. Elle permet notamment de clarifier que la situation sociale de Pierrette n’est pas seulement liée à l’irresponsabilité de son mari, au fait qu’elle ne gagne pas assez d’argent ou bien à la situation politique au Cameroun, mais aussi au néocolonialisme qui perdure et fait qu’il existe encore dans certains pays une très grande précarité.

Le salon de couture occupe une place centrale dans le film. Pourquoi avoir mis en avant cette activité et que symbolise-t-elle ?

Mon film raconte l’histoire de Pierrette qui est couturière dans la vraie vie. La couture embellit, elle rassemble et le salon de couture est un lieu propice aux confidences. Je voulais mettre en avant la valeur de ce travail de confection et de transformation qui n’existe presque plus dans la société occidentale. Nous faisons du shopping mais nous avons perdu ce rapport, cette implication envers ce que l’on porte.

Le salon de couture permet également de symboliser le rapport entre les hommes et les femmes au Cameroun. Les hommes restent à l’entrée, à la porte, alors que les femmes s’y implantent, incarnent l’atelier et s’y répandent. Ces positionnements opposés marquent le contraste entre une nouvelle génération de femmes qui s’assument de plus en plus et qui veulent se construire par elles-mêmes face à des hommes qui n’acceptent pas cette réalité et se retrouvent de ce fait dans une situation de fragilité. Pierrette ne fait pas une couture pour femmes, elle travaille pour tout le monde, ce n’est pas un espace qui exclut. En restant à distance les hommes se protègent, évitent de remettre en cause leur position et protègent leur pouvoir.

Cette année marque une percée du cinéma africain dans la sélection de Cannes, à travers une nouvelle génération de réalisateurs, notamment des femmes. La présence de votre film dans ce contexte a-t-elle pour vous une valeur particulière ?

C’est en effet très important pour moi. On sait combien le cinéma occidental a nourri l’Afrique et continue de le nourrir. Il est grand temps que nos œuvres fassent le trajet inverse et contaminent le cinéma mondial pour apporter d’autres types de narration, d’autres manières de parler le français, d’autres figures que l’on n’a pas l’habitude de voir… L’Occident doit s’habituer à tout cela.

Il se passe beaucoup de choses dans le cinéma africain mais ces productions sont très peu visibles en Europe. L’Afrique est submergée par le cinéma européen et américain mais combien de ses films sortent du continent ? C’est pourquoi ces sélections au Festival de Cannes sont très importantes. C’est par ce biais que nos films peuvent être montrés en Italie, en France ou ailleurs. Sans ces festivals nous ne pouvons pas nous exporter. Je ressens une très grande fierté de voir cette année toutes ces sélections venues d’Afrique.

Que pensez-vous de l’image de l’Afrique telle qu’elle est véhiculée par l’industrie du cinéma ? Y a-t-il comme l’a dénoncé le réalisateur malien Souleymane Cissé, un “mépris” et une réticence à distribuer les films africains en Occident ?

L’industrie du cinéma formate beaucoup. Le peu de films dit africains qui s’exportent sont souvent filmés par des Occidentaux qui en réalité se filment eux-mêmes. Parfois dans ces films on veut tout montrer de l’Afrique sauf l’essentiel : l’essence des gens. On m’a beaucoup demandé pourquoi mon film ne montre pas plus le quartier. Je leur ai demandé pourquoi ils voulaient le voir, mais moi je veux filmer Pierrette. Je ne peux pas leur en vouloir car on les a habitués à ça, à cette image de l’Afrique associée à une certaine précarité, et ils veulent nourrir ce qui a construit leur imaginaire. Mais on ne va pas m’imposer une manière de faire car c’est Pierrette, le centre de mon film. C’est elle qui infuse et guide les mouvements de ma caméra, l’esthétique, le rythme et la narration.

Quel impact la diffusion de ces films africains dans le plus grand festival du monde peut-il avoir selon vous ?

Le désir de cinéma est né chez moi en regardant des films occidentaux. Ce cinéma m’ouvrait au monde mais pas assez à ma propre réalité donc j’ai dû déconstruire cela. Car en réalité, c’est mon environnement, les gens de mon quotidien qui m’inspirent et non Brad Pitt qui n’a rien à voir avec ma réalité. Il faut que les Africains se voient à l’écran pour comprendre qu’ils peuvent être inspirés par des personnages comme Pierrette ou d’autres. Le rôle du cinéma est de faire réfléchir, de questionner, de penser notre réalité. Comment peut-on impacter cette réalité si on ne la voit pas ? Comment peut-on faire évoluer la société en étant enchainé à une pensée qui n’est pas la nôtre ?

Les gens venus à ce festival aujourd’hui rentreront avec sept films africains dans leur imaginaire, et non un ou deux comme c’est généralement le cas, c’est énorme. Ces récits nourriront l’Occident mais aussi l’imaginaire de jeunes africains qui verront leurs histoires valorisées hors de leur continent.

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