Le Soudan fait son entrée au Festival de Cannes avec un drame qui explore les racines du conflit

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Le Soudan fait son entrée au Festival de Cannes avec un drame qui explore les racines du conflit
Le Soudan fait son entrée au Festival de Cannes avec un drame qui explore les racines du conflit

Benjamin DODMAN

Africa-Press – Burundi. Le Festival de Cannes est arrivé à mi-parcours dimanche, avec une série de films très attendus qui ont permis de faire oublier le temps pluvieux sur la Croisette.

Martin Scorsese et ses compagnons de route Robert De Niro et Leonardo Di Caprio sont arrivés en terrain conquis à la conférence de presse de “Killers of The Flower Moon”, qui a reçu des critiques dithyrambiques après son avant-première samedi soir.

Basé sur un best-seller relatant une vague de meurtres parmi les Amérindiens Osages dans les années 1920, le film marque le retour triomphal sur la Croisette du duo Scorsese – De Niro, près d’un demi-siècle après le sacre de “Taxi Diver” (1976) qui, bien que hué lors de sa première, avait remporté la Palme d’or.

Le directeur du festival, Thierry Frémaux – dont l’altercation avec un policier à l’extérieur de l’hôtel Carlton a fait grand bruit samedi – aurait aimé voir Martin Scorsese concourir à nouveau pour le prestigieux trophée, mais le réalisateur a insisté pour que le film soit présenté hors compétition.

L’ombre du jihadisme

Après une semaine de festival, l’heure est venue des premiers pronostics en vue de la très convoitée Palme d’or qui sera remise lors de la cérémonie de clôture, samedi 27 mai. “The Zone of Interest”, drame glaçant sur la vie de famille d’un commandant d’Auschwitz, signé Jonathan Glazer, figure pour l’heure parmi les films favoris des critiques.

Autre coup de cœur : “Les Filles d’Olfa” de Kaouther Ben Hania, basé sur l’histoire vraie d’une famille confrontée à l’embrigadement jihadiste de deux de ses filles dans la Tunisie post-Printemps arabe.

Outre le sujet extrêmement fort exploré dans le film – la soudaine bascule d’adolescents ordinaires dans l’idéologie sanguinaire du groupe État Islamique – le long métrage impressionne par son dispositif, à mi-chemin entre documentaire et fiction, qui plonge le spectateur dans une expérience cinématographique audacieuse, parfaitement maîtrisée.

Premier film soudanais à Cannes

Cette année, le cinéma africain a réalisé une percée remarquée au sein de la sélection avec deux films dans la compétition officielle et quatre longs métrages au sein de la section Un certain regard, consacrée aux talents émergents. Dans cette catégorie figure “Goodbye Julia”, tout premier film soudanais sélectionné à Cannes.

Hasard du calendrier, l’annonce de la présence de ce long-métrage dans le plus prestigieux festival de cinéma du monde est intervenue deux jours avant le déclenchement d’une terrible guerre au Soudan, opposant l’armée à un important groupe paramilitaire, mettant un terme abrupt à la fragile transition démocratique initiée dans le pays.

“Goodbye Julia” se déroule dans la capitale Khartoum dans les années qui ont précédé le référendum sur l’indépendance du Sud-Soudan en 2010, à la suite d’une autre guerre civile sanglante, cette fois entre le Nord et le Sud. Il explore la coexistence difficile entre des communautés qui ne jouissent pas des mêmes privilèges, dans une société marquée par le racisme et l’injustice.

Le film raconte l’histoire de Mona (Eiman Yousif), une musulmane arabe aisée du Nord qui tente d’apaiser son sentiment de culpabilité pour avoir causé la mort d’un homme du Sud, en employant sa femme Julia (Siran Riak), une chrétienne, noire, issue d’un milieu beaucoup plus pauvre. Naturellement, cette dernière ne connaît rien du terrible secret qui se cache derrière la mort de son mari.

France 24 s’est entretenu avec Mohamed Kordofani au sujet du message du film, de la crise dans son pays d’origine et de son espoir de voir le peuple sortir des conflits qui rongent la société soudanaise.

Quel effet cela fait-il d’être le premier réalisateur soudanais à Cannes alors que les combats font rage dans votre pays ?

Je suis partagé, et j’oscille entre des sentiments assez extrêmes. D’un côté, je me sens bouleversé, honoré et extrêmement heureux, et de l’autre, j’ai le cœur brisé et je culpabilise à l’idée de célébrer cette réussite alors que mon peuple fuit la guerre et subit des bombardements.

La culpabilité de Mona est un élément clé de votre film. S’agit-il d’une métaphore d’un sentiment plus large de culpabilité face à l’éclatement du pays et aux décennies de tourmente qu’il a traversées ?

C’est la culpabilité qui m’a poussé à écrire cette histoire dès le début. Lorsque j’ai vu le résultat du référendum avec 99 % des votants en faveur de la séparation, j’ai réalisé que le problème n’était pas politique mais qu’il s’agissait de racisme. Et j’ai réalisé que j’en étais moi-même coupable. J’ai senti que je devais m’éloigner de certaines idées conservatrices héritées de ma famille et de la société. Tous les personnages du film me représentent à différentes étapes de ma vie. Alors oui, je me suis senti coupable de la séparation du Sud-Soudan, je me suis senti coupable en repensant à mes relations passées, de comportements conservateurs, un peu oppressifs que j’ai pu avoir à l’égard des femmes. Lorsque j’ai commencé à voir les choses différemment, j’ai ressenti le besoin de mettre tout cela par écrit.

Votre film explore les racines de l’éclatement du Soudan. Met-il également en lumière les combats qui se poursuivent aujourd’hui ?

Le problème numéro un au Soudan est le tribalisme, le racisme et la polarisation. Nous avons une tendance très toxique à être fiers de ce qui nous sépare : le sexe, la tribu, l’ethnie, la religion. Ce sont les choses dont les gens sont le plus fiers et c’est pourquoi nous avons constamment des guerres. Je pense que nous devons construire une nouvelle identité nationale qui soit fière de ce qui ne nous sépare pas, comme la liberté, la coexistence et la compassion. Je veux ouvrir ce dialogue en admettant que j’ai moi-même eu un problème et j’espère que les gens qui regardent le film l’admettront aussi.

Depuis la chute d’Omar el-Béchir, les femmes sont au premier plan des manifestations en faveur de la démocratie. Était-il important pour vous que des femmes soient également à l’origine de votre film ?

Je trouve amusant que nous célébrions les femmes pendant la révolution, lorsque nous faisons pression pour quelque chose, mais que lorsqu’il s’agit de partager le butin, ce sont toujours les hommes qui reçoivent. Je pense que la révolution a été un tournant pour le peuple soudanais, qui est devenu plus progressiste, mais nous avons encore beaucoup à faire. Je voulais aborder l’histoire du point de vue des opprimés, et c’est pourquoi j’ai choisi Mona et Julia.

Avez-vous bon espoir que votre film puisse être projeté au Soudan ?

Avant que la guerre n’éclate, j’avais prévu des projections. Je retournerai dans mon pays dès que les bombes cesseront. D’autres reviendront et je sais que nous le reconstruirons. Et l’une des choses que nous allons reconstruire, ce sont les salles de cinéma qu’ils ont détruites, partout dans le pays. Elles n’ont pas besoin d’être luxueuses, un projecteur et un écran blanc suffisent.

Craignez-vous d’autres sécessions, par exemple au Darfour, déchiré par la guerre ?

Je crains fort qu’il y ait une nouvelle scission. Mais je suis également convaincu que les gens ont changé. Ils étaient déjà résilients avant que les combats commencent et les événements dramatiques ne font que renforcer cela. Pour chaque action, il y a une réaction, et après la guerre, les gens deviennent plus déterminés. Je sais que les Soudanais ne permettront pas à une autre milice de gouverner, qu’ils identifieront le problème et y travailleront – et j’espère que le film pourra les aider à cet égard.

Source: france24

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