Les tribulations de Niyonsenga : quand la naïveté de la foi conduit aux VBG

32
Les tribulations de Niyonsenga : quand la naïveté de la foi conduit aux VBG
Les tribulations de Niyonsenga : quand la naïveté de la foi conduit aux VBG

Africa-Press – Burundi. L’histoire de cette jeune fille, violée par le pasteur d’une église de la commune Giteranyi, s’est répandue comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux, il y a quelques jours. Piégée dans la chambre des prières, la jeune fille s’est laissée naïvement abusée. Dans la foulée, un enfant est né. Quand l’affaire s’est ébruitée, le Tribunal de Résidence de Giteranyi s’est activé. Sauf que le procès qu’il a rendu, suscite encore plus l’équivoque. Entre temps, le tribunal de recours s’est déjà saisi du dossier. Un reporter s’est rendu sur les lieux pour comprendre ce qui s’est réellement passé.

Giteranyi, une des communes de la province Muyinga, est un coin tranquille où la douceur de la vie vous prend au dépourvu. Mais il faut savoir voyager pour s’y rendre. Avec un peu de chance, on peut voyager d’un trait de Ngozi à Giteranyi, avec l’inévitable Probox, mais il faut débourser 30 mille Fbu, c’est plus cher que le trajet Bujumbura-Ngozi. Si vous ne trouvez pas de Probox, le voyage par étape coûte nettement plus cher.

Laissons ces considérations pécuniaires de côté, et allons directement à l’essentiel. J’ai donc rallié Giteranyi pour essayer de trouver cette fille du nom de Claudine Niyonsenga, 21 ans, de la colline Gikungere. Ça a été compliqué de lui parler directement, mais j’ai eu rapidement le contact de son père avec qui j’ai pris rendez-vous. Avec appréhension, je lui ai demandé : « Ça ne va pas être compliqué de parler de cette triste affaire en présence de votre fille ? ». « Narabimenyereye. Kandi vyogorana ko akuvugisha wenyene kuko arafise akagorane ko mu mutwe ». J’ai donc rejoint Kizungu, une localité située à 5km du chef-lieu de la commune Giteranyi, où mes hôtes m’attendaient.

Un entretien très difficile à mener Nous nous saluons avec le père qui nous trouve un coin tranquille pour discuter. A peine assis, le père sort pour aller chercher sa fille. L’appréhension m’étreint. Comment vais-je aborder une histoire aussi intime avec cette fille en présence de son père ? Quelques minutes après, les voilà devant moi. La fille a les traits de son père. De son teint ébène, elle me dévisage un bref instant avant de s’asseoir. Elle porte un pagne autour de la taille. Au creux de ses bras un petit enfant, lui aussi de teint noir ébène.

Après les échanges d’amabilités, je glisse vers le sujet qui nous réunit. « Comment cela est-il arrivé ? ». Je m’adresse à la fille, qui reste silencieuse quelques secondes et c’est son père qui vient à son secours : « Tout cela est arrivé à cause d’une maladie mentale que ma fille avait, qui est même à l’origine de son abandon scolaire. Le pasteur m’a demandé de l’amener vivre à l’église de Mihigo afin qu’il puisse prier pour elle. J’ai accepté ».

Plus tard, le pasteur sera envoyé à l’église de Giteranyi et a demandé que la jeune fille le rejoigne à sa nouvelle affectation. C’est là que la bavure a été commise. Le pasteur a envoyé la fille déjà enceinte habiter à l’église de Mwibambo de la colline de Gasenyi. Pour la convaincre, il lui a acheté des habits qu’on appelle Indara et lui a donné 5 mille Fbu. Quelque temps après, les responsables de l’église où elle a été envoyée ont remarqué qu’elle était enceinte et lui ont tiré les vers du nez pour connaître celui qui l’avait engrossée.

Un procès étrangeC’est plus tard que les problèmes ont débuté, quand les rumeurs ont commencé à circuler. Ensuite, 3 pasteurs ont ramené la jeune fille chez elle sans avertir sa famille. « Ils ont juste dit à ma femme qu’elle avait quelques problèmes, qu’elle ne pouvait plus habiter à l’église. Quand j’ai su ce qui s’était passé, j’ai décidé de porter plainte ». Un OPJ s’est occupé de l’affaire, une expertise médicale a été faite. Le présumé coupable a été brièvement arrêté avant d’être relâché. C’est lui-même qui a porté l’affaire au tribunal.

Comme il n’était plus possible de dissimuler cette histoire, le Tribunal de Giteranyi s’est saisi du dossier. Et il a rendu un verdict. Quel verdict ? Sur une copie du jugement qui a fuité sur les réseaux sociaux, on découvre que ce tribunal qui a siégé en matière civile, et a déclaré M. Oscar Hakazimana père du petit Franck Niyosenga Iratabara. Il lui a ensuite ordonné de donner un lopin de terre d’une superficie de 20 m sur 50 m à Claudine pour qu’elle puisse s’occuper de l’enfant. C’est ce même tribunal qui devait se charger de remettre ce lopin de terre à la jeune fille.

Après la lecture des décisions prises par le tribunal, on ne peux pas s’empêcher de se poser des questions. D’abord, le père de la victime a porté l’affaire devant l’OPJ. Il ne faut pas être docteur en droit pour comprendre que si l’affaire est devant l’OPJ, il s’agit d’une affaire pénale. A ce propos, un principe très connu des juristes dit que le pénal tient le civil en l’état. Ensuite, c’est Oscar, que le père de la victime accusait d’avoir violé sa fille, qui a porté l’affaire devant le tribunal, alors que l’OPJ avait déjà commencé les enquêtes qu’il a abandonnées par la suite. La démarche de M. Oscar de porter plainte au Tribunal de Résidence en matière civile ne visait-elle pas à annihiler l’enquête que l’OPJ avait déjà entamée ? C’est une question qui mérite une réflexion, mais elle n’est pas la seule qu’on peut se poser.

Comment le Tribunal de Résidence a-t-il siégé en matière civile, alors que de toute évidence, il s’agissait d’une affaire pénale ? A fortiori, lorsqu’il était au courant que la victime était sous la responsabilité du pasteur mis en cause. Bien plus, s’il y avait des indices pouvant laisser croire que la victime et l’auteur jouissaient d’une relation domestique, cela constitue une circonstance aggravante, selon le prescrit de l’article 26 de la loi n° 1/13 du 22 septembre 2016 portant prévention, protection des victimes et répression des violences basées sur le genre. Tout ce faisceau d’indices est suffisant pour conclure que nous sommes en face d’une affaire de Violence Basée sur le Genre (VSBGs).

Les magistrats du siège auraient alors dû se dessaisir du dossier du moment que la loi dispose que le Tribunal de Résidence n’est compétent au civil que lorsqu’il s’agit des contestations dont la valeur du litige ne dépasse pas un million de Fbu et au pénal lorsque la peine encourue est punie d’une servitude pénale ne dépassant pas deux ans (articles 6 et 12 du code de l’organisation et de la compétence judiciaire).

Une petite lueur d’espoir ? Nous nous sommes adressé au Procureur de la République à Muyinga pour savoir où en est cette affaire et nous avons eu de la chance, parce qu’il nous a répondus spontanément et d’une manière claire. Ici, nous nous devons de mentionner qu’il a précisé qu’il ne parle pas au nom du TGI de Muyinga, encore moins au nom du ministère de la Justice. Il a affirmé qu’il est au courant de cette affaire et qu’il s’en occupe suffisamment. Nous pouvons aussi le confirmer puisque le père de la victime nous a indiqués que le Procureur s’est occupé de ce dossier, car il est venu en personne jusqu’à leur domicile pour s’enquérir de cette affaire.

Néanmoins, il déplore le fait que le dossier soit parvenu aux instances judiciaires longtemps après la commission des faits. En effet, le père qui n’avait pas à sa disposition des moyens suffisants a préféré s’occuper d’abord de sa fille. C’est après la naissance du bébé qu’il est revenu demander justice. Mais qu’à cela ne tienne, les infractions liées aux VBGs sont imprescriptibles. Cela étant dit, le Procureur a tenu à préciser que l’accusé reste activement recherché. Il déplore aussi le fait que les malfaiteurs des communes frontalières avec la Tanzanie traversent facilement la frontière pour échapper à la justice. Cependant, ils ne perdent rien à attendre, puisque la main de la justice est longue.

En attendant, le pasteur, après avoir déposé son recours au TGI de Muyinga, s’est évanoui dans la nature. Quant au père de Claudine, il trouve que c’est une manœuvre dilatoire parce que l’autre partie sait qu’il n’a pas les moyens de soutenir un long procès. D’ailleurs, il a déjà raté une convocation du TGI de Muyinga, faute de moyens. Tout ce qu’il espère est de trouver des organisations qui luttent contre les VBGs pour qu’elles lui viennent en aide afin que le cas de sa fille ne tombe pas dans les oubliettes sans que justice ne soit faite. Le père de la jeune fille s’accroche à un seul espoir : « Ubutungane bwondenganura, uwakoreye icaha umukobwa wanje agahanwa hakurikijwe amategeko »

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burundi, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here