Université du Burundi: Temple du Savoir en Danger

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Université du Burundi: Temple du Savoir en Danger
Université du Burundi: Temple du Savoir en Danger

Africa-Press – Burundi. Le Rectorat de l’Université du Burundi a rejeté, dans un communiqué du 21 mai 2025, les accusations de violences imputées aux « Imbonerakure », les qualifiant de mensongères et assurant qu’aucune plainte n’a été déposée. Pourtant, sur le terrain, de nombreux étudiants décrivent un climat de peur et une situation de racket au campus Mutanga. Ces témoignages, concordants et nombreux, soulignent une réalité d’abus de pouvoir et de violences malgré le démenti officiel.

L’administration de Rumuri a exprimé son étonnement par rapport au moment choisi pour diffuser ces messages, c’est-à-dire à la veille des élections. Elle s’interroge sur l’anonymat de leurs auteurs alors que « les contacts des responsables universitaires sont accessibles ».

Mais, cette déclaration officielle est intervenue dans un contexte tendu alimenté par une série de publications sur les réseaux sociaux dénonçant un climat de peur et de violences, notamment sur le campus Mutanga. Le point de départ de cette saga remonte au 28 avril 2025 lorsqu’un journaliste de Bonesha FM, Willy Kwizera, a été violemment agressé par des individus présentés comme des membres de la ligue des jeunes Imbonerakure. Depuis, de nombreux témoignages se sont accumulés sur les plateformes numériques décrivant un système de terreur et de corruption qui régnerait au sein du campus.

Certains étudiants évoquent des actes de torture qui auraient lieu dans le pavillon 9, plus précisément dans la chambre N°25, identifiée comme étant « dédiée à la torture » selon un témoignage circulant sur les réseaux sociaux. Cette chambre servirait de bureau du représentant général des étudiants, Siméon Bazirutwabo, qui serait au centre de ces pratiques abusives. « Des étudiants sont souvent torturés dans la chambre 25 », peut-on lire dans plusieurs témoignages anonymes. D’autres vont jusqu’à rapporter des tentatives de viol et des cas d’intimidation réguliers contre ceux qui osent s’opposer.

Sous couvert d’anonymat, un étudiant du campus Mutanga a livré un récit alarmant sur les vols répétés qui sévissent dans les résidences universitaires. Son témoignage illustre un climat d’insécurité grandissant malgré la présence des services de sécurité.

« C’était samedi matin. Je suis parti travailler comme d’habitude, pensant que mes affaires seraient en sécurité dans ma chambre », raconte l’étudiant, visiblement encore sous le choc. À son retour dans la soirée, le drame s’est révélé. « Ma machine portable, mon téléphone et surtout mes documents précieux: diplôme d’État, bulletins des humanités, certificats,… avaient disparu. »

Une situation d’autant plus frustrante puisque ces vols surviennent malgré les mesures de sécurité théoriquement mises en place. « Comment des voleurs peuvent-ils opérer aussi facilement dans un campus censé être gardé? », s’interroge-t-il dénonçant au passage une négligence criante de la part des autorités universitaires.

Une étudiante raconte que les biens personnels des filles sont souvent volés et que les vitres des pavillons sont la cible des jets de pierres sans que les coupables soient inquiétés. Elle accuse nommément les Imbonerakure d’être à l’origine de ces agressions.

« Tous les témoignages que tu vois sur les réseaux sociaux, c’est vraiment une triste réalité », confie un étudiant du campus. « Moi, je me suis déjà habitué. Je m’adapte pour survivre. En plus, il ne me reste qu’une seule année. Nous sommes dépassés par ce qui se passe ici ».

Face à l’avalanche de témoignages et d’accusations, Simon Bazirutwabo, représentant général des étudiants, rejette ces derniers en bloc. « Il ne faut pas perdre du temps avec ce qui est publié sur les réseaux sociaux », déclare-t-il. Il invite les sceptiques à vérifier par eux-mêmes: « Par exemple, dans la chambre 25, il y a un étudiant qui est délégué général de la faculté des sciences politiques et juridiques. Il y habite depuis trois ans », soutient-il tout en promettant d’organiser un rendez-vous à tout le monde pour donner d’amples éclaircissements.

L’occupation des chambres: un business florissant

Selon des témoignages, les logements seraient devenus une véritable mafia en faveur de ceux qui contrôlent l’accès aux chambres universitaires. « Les chambres sont devenues leur propriété privée », affirme un étudiant. « Pour obtenir une chambre, il faut passer par eux ».

Cette situation crée un climat d’injustice généralisée. Alors que, normalement, les chambres sont attribuées en priorité aux étudiants de bac 1, puis à ceux de bac 2 en cas de places restantes, plusieurs étudiants affirment qu’ils doivent payer des pots-de-vin à des intermédiaires pour y accéder.

Un étudiant explique. « D’habitude, les frais de location sont de 7 000 francs burundais par mois, mais lorsqu’une chambre est déjà occupée, celui qui s’y trouve peut te la revendre jusqu’à 100 000 FBu ». Il ajoute que même un commissaire chargé de la gestion des chambres peut octroyer un logement à condition de recevoir un paiement immédiat. Une autre voix confirme cette réalité. « Si tu as une urgence, tu peux obtenir une chambre. Il suffit de payer », explique-t-elle. Cette corruption ambiante semble si bien implantée qu’il est difficile, voire impossible, de contourner ce système. Un étudiant en master témoigne. « On contourne les règles. Si tu approches le régent, le responsable des chambres, il peut t’aider à obtenir une chambre. Moi aussi j’ai utilisé ce moyen, sinon ce n’est pas facile ».

De plus, la présence des individus ayant terminé leurs études depuis plusieurs années dans les chambres universitaires interroge. Ces personnes continueraient à occuper des logements au détriment de nouveaux étudiants.

Cette situation compromet l’équité d’accès au logement, surtout pour les étudiants en cycle supérieur. « En tant que mastérant, on n’a pas accès aux chambres du campus. Les chambres sont réservées aux bacheliers, mais beaucoup de mastérants y habitent », confie un étudiant de master. Un autre étudiant en bac 3 chimie, confirme que des étudiants de niveaux supérieurs ou déjà diplômés continuent de loger sur le campus via des relations avec les Imbonerakure. « Je connais des cas, ils ont eu leur chambre en passant par les Imbonerakure ».

Des vols à répétition

Un autre aspect inquiétant est la montée des cas de vols à répétition sur le campus. Un étudiant du département de droit, en troisième année de baccalauréat, témoigne. « J’ai quitté le pavillon 3 pour aller au pavillon 1. Du coup, on m’a presque tout volé. Ils ont pris les habits, le téléphone, la radio et même la Bible ». Ce phénomène n’est pas isolé. Un étudiant de master rapporte avoir été victime de deux vols. « On m’a volé à deux reprises. Je peux affirmer que c’est fait par les étudiants, mais je ne peux pas dire que c’est dû à la pauvreté. Ils analysent la valeur de tes biens. Là où il n’y a rien de valeur, ils ne volent pas ».

Professeur Désiré Nisubire: « Les étudiants ne sont pas des policiers »

Interrogé sur la responsabilité en matière de sécurité sur les campus, Prof Nisubire s’étonne. « Je ne comprends pas comment les étudiants sont chargés de la sécurité alors que nous avons à l’université du Burundi un service chargé de la sécurité qui est dirigé par, je crois, un colonel de police. »

Il trouve qu’en cas de défaillances sécuritaires, ce service est « le premier à être interpellé. » Il souligne que si des étudiants « s’arrogent le droit de frapper, de maltraiter les gens » en présence de la Direction de l’université et du service de sécurité, la responsabilité de ces derniers est engagée. « Ces étudiants n’ont aucune responsabilité à faire régner du droit, à faire n’importe quoi dans les campus de l’université du Burundi », martèle-t-il.

Un passé qui devrait instruire

Faisant un parallèle avec le passé, Prof Nisubire rappelle l’époque où, malgré les affiliations politiques ou les différences ethniques, « il y avait du respect » et les réunions politiques se tenaient en dehors des campus. « Si maintenant, par exemple, il y a des étudiants qui s’arrogent le droit de faire régner la terreur à l’université, au niveau des campus universitaires, c’est franchement regrettable. »

Il interpelle directement les étudiants concernés, évoquant le sort des anciens groupes perturbateurs. « Vous pouvez vous en souvenir. Il y a la période de 1994-1995. Il y a ce corps qu’on appelait ‘’les sans échecs’’. Maintenant, où sont-ils? Il faut généralement que le passé nous enseigne. Malheureusement, les Burundais ne sont pas enseignés par le passé. » Le professeur insiste sur le fait que la quête principale des étudiants devrait être « l’intelligence ».

Nécessité d’investigation et impact sur la crédibilité

Bien qu’il affirme ne pas avoir encore tous les détails sur les récents événements (il les a « entendus comme les autres »), Prof Nisubire indique que le syndicat cherchera à obtenir des informations précises, notamment auprès des syndicats du personnel technique et administratif qu’il estime « mieux indiqués » pour connaître la situation dans les résidences universitaires. « On va essayer de leur demander des informations pour qu’on puisse connaître réellement ce qui a été fait et qui sont les auteurs de ces choses-là ».

Concernant l’impact de cette situation sur une institution « considérée comme un temple du savoir, de la discipline et du respect des règles », le président du SPEUB reconnaît que cela « risque de décrédibiliser l’institution et de démoraliser aussi bien le personnel que les étudiants. » Il juge « regrettable » que des individus qui ne seraient même plus étudiants puissent être logés sur le campus alors que l’université affirme manquer de places pour ses propres inscrits. « Ça, c’est pourquoi j’ai dit qu’il y a une responsabilité quelque part et que les gens vont répondre à leur responsabilité », affirme-t-il.

La jeunesse ne doit pas être délinquante

Prof Nisubire adresse un message clair à la jeunesse estudiantine. « Cette jeunesse ne mérite pas d’être une jeunesse qui est délinquante. Cette jeunesse mérite d’être une jeunesse bien éduquée. » Il rappelle l’objectif de voir une université où les étudiants sont « bien logés et bien nourris pour bien étudier. » Pour lui, les « bavures » sur les campus risquent de rompre la « solidarité universitaire » qui est essentielle pour que les étudiants combattent pour un intérêt commun. « Si maintenant ils commencent, par exemple, à faire régner de la brutalité envers les étudiants, plus tard, ça sera envers le personnel, plus tard encore, ça sera envers les enseignants. Et là, ça va généralement dégénérer. Il faut que cette situation s’arrête. »

Il lance un « clin d’œil aux étudiants » pour qu’ils « cherchent ce qui est plus cher, à savoir l’intelligence », car ils sont « les futurs cadres de ce pays. » Il questionne également le rôle de la représentation étudiante actuelle tout en rappelant la suspension de l’ancienne association des étudiants de Rumuri, ASSER, pour des faits similaires. « Est-ce qu’on l’aura remplacée par une représentation des étudiants qui va faire plus que cela? » s’interroge-t-il tout en soulignant qu’une telle représentation ne doit pas « faire la police » mais plutôt servir de lien entre les étudiants et les autorités pour « exposer des problèmes communs » dans le cadre de la solidarité universitaire. « S’il y a une rupture de la solidarité universitaire, c’est-à-dire que les retombées négatives vont généralement se diriger vers les étudiants eux-mêmes », conclut-il. Il exhorte plutôt les étudiants à « s’attacher à la solidarité universitaire pour combattre en faveur du bien-être commun. »

Professeur Libérat Ntibashirakandi: « Il est urgent de restaurer la sécurité et la sérénité au sein de l’institution »

Des sources concordantes font état d’actes de violence perpétrés par des jeunes affiliés au parti au pouvoir, notamment sur le campus Mutanga. Face à cette situation préoccupante, Prof Ntibashirakandi déplore le déni des autorités universitaires malgré les témoignages accablants des victimes et des témoins. Il rappelle que l’Université du Burundi dispose d’un règlement intérieur prévoyant des sanctions face à de tels agissements par ailleurs répréhensibles par la loi.

« Rejeter les allégations n’est pas un bon choix », affirme le professeur. Il préconise la mise en place immédiate d’une commission d’enquête neutre afin de faire toute la lumière sur ces « bavures » et d’établir les responsabilités. « Il faudrait, me semble-t-il, établir la vérité afin de prendre toutes les mesures sécuritaires pour éviter qu’un drame ne se commette », insiste-t-il tout en soulignant le risque de persistance de ces « pratiques barbares » et l’application du principe de non-assistance à une personne en danger en cas de nouvelles victimes.

Prof Ntibashirakandi rappelle que « les campus universitaires ne doivent pas être des lieux de violences mais plutôt un espace d’épanouissement, un environnement propice à l’apprentissage et au bien-être de tous les membres de la communauté universitaire ».

Il souligne que l’insécurité actuelle engendre tensions, peur, angoisse et conduit même à l’abandon des études pour certains étudiants. Cette situation affecte autant les victimes que les auteurs puisqu’elle détourne les deux de leur mission première: les études.

Un avenir national hypothéqué

Au-delà de l’impact individuel, le professeur s’inquiète des conséquences pour l’avenir du Burundi. « L’Université du Burundi est le flambeau qui éclaire en principe la Patrie dans le choix des politiques, d’une vision pour un avenir meilleur des générations futures. C’est l’université qui prépare les futurs gestionnaires du pays », déclare-t-il.

Pour lui, le comportement de la jeunesse du parti au pouvoir (Imbonerakure) « hypothèque l’avenir de toute une Nation ». Il évoque notamment le cas de jeunes filles qui, par peur d’abus, quittent les résidences universitaires ou abandonnent leurs études.

Appel à la solidarité et à la responsabilité

Face à ce constat alarmant, Prof Libérât Ntibashirakandi lance un appel vibrant à la jeunesse estudiantine et burundaise dans son ensemble. Il les exhorte à la solidarité, au refus des divisions et à la résistance face aux manipulations politiciennes. « Vous constituez une force immense et un espoir pour le Burundi. Ne cherchez jamais à faire du mal à vos camarades étudiants et étudiantes malgré vos différences ».

Il les encourage plutôt à œuvrer pour la paix, à refuser la haine et à choisir la voie de l’entraide, de la discipline, de la rigueur académique et du travail de qualité. « Sachez bien que la dignité de vos camarades universitaires est sacrée comme d’ailleurs celle de tout citoyen !»

Paraphrasant Martin Luther King Jr., le professeur lance cet appel spécifique aux étudiants. « Apprenez chères étudiantes, chers étudiants à vivre ensemble dans les campus universitaires comme des frères et sœurs et préparez-vous à bâtir un Burundi paisible, uni, réconcilié, digne, moderne et prospère !»

Il conclut en exhortant les étudiants à se concentrer sur leurs études, à se comporter de manière exemplaire et à devenir des modèles pour les plus jeunes.

Enfin, Prof Ntibashirakandi s’adresse directement aux autorités de l’Université du Burundi pour leur demander d’avoir « le courage de prendre toutes les mesures afin de faire la lumière sur les récentes bavures signalées au campus Mutanga et d’initier un dialogue avec les membres de la communauté universitaire pour restaurer un climat apaisé dans les enceintes de l’université du Burundi. »

Faustin Ndikumana: « l’université du Burundi devrait être dépolitisée »

Faustin Ndikumana, président de l’organisation Parole et Action pour le Réveil des consciences et l’Évolution des mentalités (Parcem) qualifie ces comportements de « graves dérives ». Il rappelle que la Constitution et le Code pénal condamnent fermement de tels actes avant d’inviter les victimes à saisir les instances habilitées, notamment la police et la justice.

Il fait référence à l’incident dénoncé par la radio Bonesha FM, selon lequel l’un de ses journalistes aurait été séquestré par des étudiants alors qu’il se rendait sur les lieux pour collecter des informations. L’affaire, survenue dans une institution universitaire, appelle l’urgence d’une enquête pour faire la lumière sur cette situation préoccupante.

Pour Ndikumana, le gouvernement, au plus haut niveau, doit prendre ses responsabilités. Il l’appelle à sensibiliser la jeunesse afin qu’elle adopte des valeurs positives et de mettre fin à l’instrumentalisation politique des jeunes. Il fustige également une forme de traitement inégal selon les affiliations politiques. « Des jeunes affiliés au parti au pouvoir se permettent des excès, violent la loi, se livrent à des abus, maltraitent les autres et utilisent leur appartenance politique comme un bouclier. » Une telle impunité, selon lui, désarme même les instances chargées de faire respecter la loi.

Faustin Ndikumana demande aux autorités compétentes d’envoyer des messages clairs à cette jeunesse afin de la dissuader de devenir un outil manipulé pour des causes inavouées.

Il appelle les responsables universitaires à intensifier le dialogue avec les étudiants et à favoriser une représentation estudiantine fondée sur l’éthique et les valeurs morales. À ses yeux, l’université devrait être un espace neutre, complètement dépolitisé dans sa gestion quotidienne. « Même si les étudiants ont l’âge de faire de la politique, cela ne devrait pas se traduire dans leur comportement quotidien sur le campus. »

Enfin, Faustin Ndikumana lance un appel à une sensibilisation forte et continue tout en avertissant que nier la réalité revient à les encourager involontairement. « Si on ne reconnaît pas ces comportements, on contribue à les multiplier », conclut-il.

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