Analyse | Dix clefs pour comprendre la crise économique en cours au Burundi

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Analyse | Dix clefs pour comprendre la crise économique en cours au Burundi
Analyse | Dix clefs pour comprendre la crise économique en cours au Burundi

Africa-Press – Burundi. Iwacu a approché un spécialiste en charge du Burundi auprès d’une institution internationale qui fournit des financements, des conseils stratégiques et une assistance technique dans les pays en développement. Il explique en dix points la crise en cours et la voie de sortie. Ce qui est sûr, sur le plan économique, les jours à venir seront très difficiles pour les Burundais. Notre source a souhaité garder l’anonymat.

Par Antoine Kaburahe

1. Comment expliquer cette dépréciation continue de la monnaie burundaise?

La dépréciation actuelle que l’on observe est structurelle et reflète bien les fondamentaux de l’économie et la dynamique du marché de change. Elle est essentiellement le produit d’une offre insuffisante de devises qui aboutit à un rationnement de la demande.

Les ressources en devises du pays proviennent de 4 sources : (i) Les exportations, (2) les investissements directs étrangers (IDE), (iii) l’aide au développement et (iv) les transferts des migrants.

Le pays regorge d’un potentiel réel en matière d’exportation des minerais, mais ce secteur souffre d’une opacité et de sérieux problèmes de gouvernance qu’il n’amène pas sa contribution juste aux rentrées de devises pour le pays. Quant aux investissements directs étrangers, en l’absence d’un climat des investissements adéquat et incitatif, le Burundi reste l’enfant pauvre de la région. Déjà, en 2019, le Secrétariat de la Communauté Est Africaine estimait que le Burundi avait reçu 1 million $ d’IDE, le Kenya 1332 millions $ , l’Ouganda 1266 millions $, le Rwanda 420 millions $, et la Tanzanie 1112 millions $ (https://www.eac.int/operating-environment/eac-investment)

Le volume de l’aide au développement a aussi sensiblement diminué depuis bientôt une quinzaine d’années à cause des déficiences en matière de gouvernance qui ont empêché le pays d’adhérer aux standards requis sur le plan de la gestion économique et politique. Les promesses faites au lendemain de 2020 ne se sont pas encore réellement matérialisées et le pays ne parvient pas à absorber de manière optimale (voir rapport de la Banque Mondiale) le peu qui vient.

Les transferts de migrants ont globalement souffert de la crise du Covid 19 et ses implications sur les conditions socio-économiques dans les pays originaires de ces fonds. Néanmoins, à cela s’ajoute, des restrictions de transfert vers le Burundi jusque très récemment, suite à la politique de change qui prévalait et obligeait les destinataires locaux à recevoir les montants en fbu au taux officiel. Le problème fondamental reste donc lié à la pénurie de devises. L’absence de production nationale suffisante dans un contexte pareil vient naturellement aggraver la situation.

2. Pourquoi cette dépréciation semble s’accélérer ces derniers jours?

Au-delà des problèmes structurels décrits, il y a très probablement aussi une anticipation autoréalisatrice de la part des acteurs du marché de change parallèle qui s’attendent à une dépréciation continue du Fbu et préfèrent donc garder les devises. Ce qui effectivement amène de la matérialité à leurs anticipations. C’est un phénomène bien connu en économie. Bien entendu, la communication des autorités politiques sur la question de la « monnaie » n’arrange pas les choses.

3. Est-ce que les spécialistes ont vu venir? C’était prévisible?

Pour ceux qui suivent de très près la situation économique du pays, il y a eu peu de surprises, même si les effets de la panique/spéculation ne sont pas toujours anticipables à leur juste niveau. Il faut se rappeler que la question de la dévaluation est sur la table de discussion avec le FMI depuis la reprise des engagements l’année dernière.

4. Dans le pire des cas, qu’est-ce qui peut se passer?

L’aggravation de la situation actuelle déjà problématique. Le différentiel significatif entre le taux de change officiel et le taux de change parallèle (qui s’approche de 100%) fait coexister 2 économies dans un même pays : une économie pour quelques privilégiés qui fonctionne au cours officiel (2061/2094 acheteur/vendeur au 24 mars 2023) et une autre, pour la très grande majorité des burundais, qui fonctionne au taux parallèle et un coût de la vie qui avoisine le double. Il est donc à craindre que les conditions de vie de la quasi-totalité des Burundais vont continuer à régresser au rythme de la dépréciation et de l’inflation qui s’en suit.

5. Est-ce qu’il y a des précédents? En Afrique? Des cas qui ont marqué les esprits…

Oui, il y a quelques années, le Nigeria avait connu un fort différentiel de taux entre le cours officiel et celui du marché parallèle suite à certains chocs exogènes et autres décisions inappropriées de politique de change.

6. Que faire alors dans pareils cas?

Il faut regarder la réalité en face et initier des décisions qui font évoluer le cours vers un taux de marché. Ceci aura le mérite de lever des distorsions et inefficiences résultant de l’imposition d’un taux officiel qui ne reflète pas les fondamentaux économiques. Ce nouveau taux sera très probablement proche de celui du marché parallèle et l’expérience montre que l’inflation qui en résulte est souvent faible du fait qu’elle est déjà incorporée dans les prix actuels.

Néanmoins, il faut bien préparer la décision, car elle garde certaines implications importantes sur le coût de la vie notamment via les prix des intrants importés pour la production domestique ( ex. Brarudi) dont le carburant et les prix de l’énergie et les autres denrées stratégiques comme les médicaments. Par exemple, les produits importés à 2090fbu/$ seront à 4000fbu/$…Donc il faudra presque le double en fbu pour importer la même quantité de carburant, intrants brarudi, etc.

Un système de filets sociaux pourrait s’avérer nécessaire pendant la période transitoire et au-delà. Pour le moyen et long terme, il s’agira de libérer le potentiel du pays par des politiques économiques et une gouvernance appropriées. Plusieurs exemples en Afrique existent des pays qui s’en tirent plutôt bien.

7. Quel rôle peuvent jouer le FMI et / ou la Banque mondiale ?

Le FMI est déjà en discussion avec le pays sur cette question. Le Fonds a disponibilisé une assistance technique qui est en train d’aider la BRB à initier des étapes nécessaires sur la réforme du marché de change avec l’objectif de reflouer progressivement les réserves en devises du pays. La volonté et le rythme du pays décideront de l’issue de cette démarche.

8. En combien de temps la situation peut-elle se normaliser?

Il est difficile d’en faire une estimation précise et cela dépend en partie des facteurs qui échappent au contrôle du pays. Mais si des réformes adéquates sont mises en œuvre, couplées à une discipline en matière de gestion économique et d’une gouvernance appropriée, des progrès substantiels peuvent être enregistrés à court et moyen terme.

9. Est-ce la population rurale est autant touchée que la population urbaine ? Est-ce que le manque d’argent

« habituel » dans le Burundi « profond » n’est pas paradoxalement une chance pour les petites gens?

Je ne pense pas. On n’est plus à l’âge de la chasse et de la cueillette. Ce serait d’ailleurs très cynique de penser ainsi : ça voudrait dire que l’absence d’inclusion financière, de connexion aux circuits modernes économiques, de fréquentation des services privés nécessaires (ex les pharmacies) immunisent les paysans contre la dépréciation et l’inflation. Et ce serait ignorer les interdépendances avec ceux qui sont dans le « circuit ».

10. Si vous avez un conseil urgent à dire aux autorités burundaises, ce serait quoi ?

Prenez le courage à deux mains, consulter, communiquer et initier les décisions qui s’imposent. Elles sont connues !

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