Burundi : Alain-Guillaume Bunyoni, un « dur » à la primature

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Burundi : Alain-Guillaume Bunyoni, un « dur » à la primature
Burundi : Alain-Guillaume Bunyoni, un « dur » à la primature

Africa-PressBurundi. En propulsant Alain-Guillaume Bunyoni au poste de Premier ministre, Évariste Ndayishimiye s’inscrit dans la continuité du système bâti par son prédécesseur Pierre Nkurunziza.

Pour Évariste Ndayishimiye, ce début de mandat ressemble à grand saut dans l’inconnu. Et la nomination au poste de Premier ministre d’Alain-Guillaume Bunyoni, considéré comme l’un des faucons de l’ère Nkurunziza, inquiète ceux qui espéraient un changement de cap à la tête de l’État burundais. Jusqu’au décès de Pierre Nkurunziza, le 8 juin, l’une des principales questions était de savoir quelle serait la marge de manœuvre dont disposerait ce général de 52 ans face à son prédécesseur, qui avait pris le soin, avant l’élection, de s’attribuer titres et avantages qui lui garantissaient une place de choix au cœur du futur système.

Evariste Ndayishimiye, ici lors d’un meeting, a été déclaré vainqueur de la présidentielle au Burundi par la Ceni, le 25 mai 2020. © Berthier Mugiraneza/AP/SIPA

La mort inattendue de Nkurunziza, dont les obsèques doivent se dérouler le 26 juin, a chamboulé les schémas imaginés dans un parti qui laisse habituellement peu de place à l’impréparation.

C’est, depuis, une transition au pas de course qui s’est organisée à la tête de l’État burundais. Évariste Ndayishimiye a été intronisé le 18 juin dernier lors d’une cérémonie au stade Ingoma de Gitega. La Constitution prévoyait pourtant une période d’intérim jusqu’à la prestation de serment du nouveau président, initialement fixée au 20 août. Mais la Cour constitutionnelle a décidé de passer outre. Et pour cause. Celle-ci devait en effet théoriquement être assurée par le président de l’Assemblée nationale, Pascal Nyabenda, présenté par plusieurs anciens du CNDD-FDD comme « le premier choix de Nkurunziza » pour lui succéder.

Traversé par des tensions qui n’ont eu de cesse de s’accentuer depuis la crise électorale de 2015, le CNDD-FDD a-t-il voulu, en précipitant l’investiture de Ndayishimiye, s’éviter une crise succession ? « Le décès du président Nkurunziza nous a tous pris de court, il était préférable pour le nouveau président de prendre ses fonctions le plus rapidement possible », se contente de commenter Gaston Sindimwo, vice-président de Nkurunziza pendant son dernier mandat.

Dans ce contexte, les décisions d’Évariste Ndayishimiye sont aussi attendues que scrutées. Le 23 juin, ses choix pour le poste de vice-président et de Premier ministre, une fonction restaurée par la Constitution de 2018, ont été validés « en urgence » par le Parlement.

Prosper Bazombanza, du parti Uprona, a ainsi retrouvé la fonction largement honorifique de vice-président, poste qu’il avait occupé de 2014 à 2015. Comme le veux la Constitution burundaise, il est à la fois d’un parti et d’une ethnie différente de celle du nouveau président burundais, puisqu’il est Tutsi.

Alain-Guillaume Bunyoni (au centre), lorsqu’il était ministre de la Sécurité de Pierre Nkurunziza, à Ruhagarika le 12 mai 2018, après une attaque menée par un groupe armé venu de la RDC voisine quelques jours avant le référendum. © (Photo by STR / AFP)

Mais c’est surtout le profil d’Alain-Guillaume Bunyoni, le choix de Ndayishimiye pour la primature, qui retient l’attention. Ministre de la Sécurité publique depuis cinq ans, Bunyoni était considéré comme le véritable bras droit de Nkurunziza, depuis la mort en août 2015 d’Adolphe Nshimirimana, l’ancien chef des renseignements.

« Bunyoni concentre toutes les critiques formulées sur le CNDD-FDD, à l’extérieur comme à l’intérieur du système », résume un ancien proche collaborateur de Pierre Nkurunziza. « C’est un homme à poigne, très organisé, et qui peut s’avérer très utile à cette période », défend au contraire un membre du gouvernement.

Pilier du système sécuritaire burundais depuis près de 15 ans, Bunyoni est un personnage clé au sein du groupe de généraux qui disposent, depuis l’époque du maquis, d’une influence centrale, tant au sein du CNDD-FDD qu’au sommet de l’État.

Le parcours d’Alain-Guillaume Bunyoni est étroitement lié à celui de Pierre Nkurunziza. Né en 1972, il quitte l’Université du Burundi pour rejoindre le maquis du CNDD-FDD en 1995.

En poste dans le sud du pays, il fait ses preuves pendant la guerre civile, au point d’atteindre le grade de « général ». « C’était quelqu’un de très directif et efficace. Il est en politique comme il était sur le front. Ce n’est pas un émotif, c’est un dur », raconte un ancien cadre de la présidence, qui a lui aussi porté les armes sous les couleurs du CNDD-FDD.

En 2001, il est de ceux qui poussent pour imposer Pierre Nkurunziza à la tête de la rébellion, en remplacement du colonel Jean-Bosco Ndayikengurukiye. « Ces sont des généraux qui se sont toujours parlés d’égal à égal », poursuit notre ancien du maquis.

Lorsque le CNDD-FDD dépose les armes, deux ans plus tard, à la faveur d’un accord de cessez-le-feu, Bunyoni devient coordinateur de l’état-major général intégré de la police nationale. Après les élections de 2005, les premières depuis la fin de la guerre civile, il devient le chef de la nouvelle police burundaise. Il deviendra ensuite une première fois le ministère de la Sécurité, avant d’être nommé chef du cabinet civil de Nkurunziza.

« Partout où il est passé il a su s’aménager son propre espace et se rendre incontournable dans la gestion des affaires », raconte un ancien de la présidence. Mais cette omniprésence agace dans les rangs du CNDD-FDD, où le débat sur l’opportunité d’une troisième mandat de Nkurunziza se tend à l’approche de l’échéance électorale.

Fin 2014, plusieurs généraux s’insurgent contre l’influence du duo Bunyoni-Nshimirimana. Pour calmer les mécontents, Nkurunziza choisi de les écarter temporairement. Resté fidèle au président, Bunyoni jouera cependant un rôle clé pour empêcher la tentative de putsch du 13 mai 2015.

Il retrouvera d’ailleurs son poste de ministre de la Sécurité publique dans la foulée de l’élection. Ce qui lui vaudra d’être accusé d’être l’un des responsables de la répression violente qui s’est abattue sur les opposants aux lendemains de l’élection. Depuis novembre 2015, il est ciblé par des sanctions du Trésor américain pour son rôle présumé dans ces violences meurtrières.

En procédant à cette nomination, Évariste Ndayishimiye a-t-il voulu envoyer un message à la communauté internationale ? Sur ce plan, le nouveau président burundais est difficilement lisible, tant il s’ingénie à souffler le chaud et le froid.

Pendant la campagne, il n’a eu de cesse de saluer le bilan de son prédécesseur, dont il dit vouloir « poursuivre l’œuvre ». Mais celui que ses concitoyens surnomment « Neva » avait dans le même temps envoyé des signaux contradictoires, témoignant auprès des diplomates rencontrés avant l’élection d’une certaine volonté d’ouverture après cinq années d’isolement.

Mais lors de son discours d’investiture, il s’était montré très critique vis-à-vis de la communauté internationale et de ceux qu’ils appellent « les colons ».

Décrit par d’anciens collaborateurs comme « ouvert au dialogue », Ndayishimiye, pourtant un pur produit du régime, n’a jamais vu sa responsabilité être directement indexée dans la répression politique. A-t-il voulu rassurer la frange dur du régime, sur laquelle plane la menace de l’enquête à la CPI, en nommant Alain-Guillaume Bunyoni à la Primature ?

Cette nomination sonne en tout cas comme un camouflet pour ceux qui espéraient un changement d’attitude au sommet de l’État. « Vis-à-vis de l’extérieur, cela peut passer pour une provocation. D’autant qu’il s’est présenté comme un interlocuteur ouvert et motivé à bâtir une nouvelle relation », reconnaît un diplomate en poste à Bujumbura. « Mais il faudra attendre quelques mois pour connaître la direction dans laquelle il souhaite s’engager. Il a la nécessité de rassurer au sein de son parti et de donner des gages aux « durs », mais cela peut aussi être la preuve d’un certain sens politique ».

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