Par B. Claude Ntahuga
Africa-Press – Burundi. Alors que les tensions entre le Burundi et le Rwanda sont en train d’atteindre un seuil préoccupant, avec des appels à la confrontation militaire, notamment au sein de la diaspora burundaise. Une telle escalade serait non seulement hasardeuse, mais aussi une menace directe pour la stabilité de toute la région des Grands Lacs.
L’histoire récente témoigne des ravages causés par les conflits armés avec des conséquences humaines et économiques catastrophiques. Cette réflexion explore les dangers d’un tel affrontement, déconstruit les arguments en faveur d’une intervention militaire et rappelle l’importance du dialogue et de la diplomatie pour préserver la paix et la souveraineté du Burundi.
Ces derniers jours, une tendance préoccupante s’observe au sein de la population burundaise, en particulier au sein de la diaspora. Des voix, parfois discrètes, parfois assumées, appellent ouvertement à une confrontation militaire entre le Burundi et le Rwanda. Une telle perspective est non seulement périlleuse, mais également insensée et irresponsable. L’histoire a prouvé que souhaiter la guerre revient à semer les graines du chaos dont les conséquences sont toujours imprévisibles et dévastatrices. Les conflits passés dans la région des Grands Lacs en témoignent: du génocide rwandais de 1994, où la violence aveugle a entraîné des massacres d’une ampleur inégalée, à la guerre civile burundaise (1993-2005) qui a laissé derrière elle un pays exsangue, les exemples ne manquent pas.
Un pari dangereux pour le Burundi
Aucun patriote sincère ne peut souhaiter le malheur de son propre pays. Certes, la situation socio-économique actuelle et la gestion politique du CNDD-FDD suscitent frustrations et colère, mais prôner une guerre comme exutoire est une dangereuse escalade. L’expérience démontre que déclencher un conflit est aisé, mais le contrôler relève de l’illusion.
Les exemples abondent: les Russes, qui pensaient envahir rapidement l’Ukraine en février 2022, ou les Américains, persuadés d’une victoire éclair en Irak après le bombardement de Bagdad en 2003, ont découvert à leurs dépens que la guerre échappe rapidement aux prévisions initiales. Chez nous, au Burundi, les auteurs du coup d’État de 1993 auraient-ils pu prévoir que l’assassinat de Melchior Ndadaye allait déboucher sur dix ans de sang, de pleurs et de cris ? Aucun stratège pas même Napoléon ou Eisenhower, n’a jamais pu contrôler tous les paramètres une fois le premier coup de feu tiré.
Les conflits armés ne se limitent pas aux affrontements directs entre militaires. Ils s’accompagnent de souffrances humaines: déplacements massifs de populations, destruction des infrastructures, aggravation de la pauvreté et effondrement des services publics. Une guerre hypothétique entre le Burundi et le Rwanda ne se résumerait pas à un affrontement entre forces militaires, mais provoquerait une crise humanitaire dont les répercussions affecteraient toute la région et des générations entières. L’histoire du conflit de la RDC illustre parfaitement les effets domino dans les pays limitrophes impliqués malgré eux dans un tourbillon de violence.
Les leçons de 2015: une tentative avortée
Ceux qui imaginent un renversement rapide et « indolore » du pouvoir en s’appuyant sur des groupes rebelles comme le M23, Red-Tabara ou encore Front Burundais de Libération (FBI- ABARUNDI), sous-estiment la complexité du terrain politique et militaire régional. L’histoire récente offre un cas d’école avec le coup d’État manqué de 2015 contre Pierre Nkurunziza. Beaucoup ont imputé l’échec de l’opération à la trahison du général Prime Niyongabo, mais d’autres facteurs ont pesé lourdement dans la balance.
1. L’intervention de l’Uganda
Le président ougandais Yoweri Museveni, farouchement opposé à toute implication rwandaise dans un changement de régime à Bujumbura, a apporté un soutien crucial à Nkurunziza. Il a non seulement exprimé son soutien diplomatique, mais a aussi dépêché des commandos pour sécuriser le retour du président depuis la Tanzanie.
2. Le rôle décisif des ex FAB (Forces Armées du Burundi)
Contrairement aux anciens combattants du CNDD-FDD, qui ont vécu l’exil, les militaires des ex FAB n’ont jamais fui leur pays. Selon plusieurs observateurs, leur ancrage nationaliste les a poussés à rejeter toute tentative de prise de pouvoir orchestrée par une force extérieure, en particulier le Rwanda.
Une armée burundaise divisée, mais déterminée
Aujourd’hui encore, la frange la plus nationaliste et la plus hostile à une intervention du voisin du nord, de l’armée burundaise demeurerait les ex-FAB. Si un conflit éclatait, ces militaires, bien que minoritaires, pourraient jouer un rôle déterminant en refusant catégoriquement toute ingérence extérieure. Leur loyauté à la souveraineté nationale l’emporterait sur toute divergence politique interne.
Parmi eux, un noyau de cadres éduqués sous le régime de Jean-Baptiste Bagaza, animés par un patriotisme farouche et un sentiment nationaliste prononcé, continuerait de préserver une influence notable. Ces officiers, entrés dans la vie professionnelle durant les années 90 et début des années 2000, ont été formés dans un esprit d’autonomie stratégique et de défense intransigeante de l’intégrité territoriale du Burundi.
Pour eux, le retour au pouvoir ne saurait se faire au prix d’une soumission à une puissance régionale étrangère. Cette perception est partagée par certains commandants d’unités, en particulier les forces spéciales et les troupes d’élite stationnées dans des régions stratégiques. Leur engagement à défendre l’indépendance du pays reste un facteur à ne pas sous-estimer dans tout scénario de crise militaire régionale.
Un argument avancé par certains pour justifier une intervention rwandaise contre le Burundi est que le président Évariste Ndayishimiye aurait engagé son armée au Congo pour « soutenir les génocidaires hutus rwandais du FDLR. » Cet argument est contestable. L’état-major des Forces de Défense Nationale (FDN) est composé d’environ 50 % de Tutsis et 50 % de Hutus. Comment une armée mixte, composée de ces deux groupes, pourrait-elle soutenir une rébellion génocidaire hutu ? Il s’agirait d’une rhétorique largement utilisée par Kigali pour discréditer tout ce qui s’oppose à ses intérêts, soutiennent les partisans du CNDD-FDDD. Une partie de la diaspora burundaise, en relayant ces accusations sans fondement, alimente malgré elle la propagande rwandaise, notamment sur les réseaux sociaux, renforçant ainsi l’image qu’elle sert les intérêts de Kigali au détriment de la souveraineté burundaise.
Une ligne rouge à ne pas franchir
Certains éléments de l’armée, notamment les commandos de Ngozi et les bérets rouges de Bujumbura Rural, sont certes critiques envers le pouvoir en place, mais ils verraient d’un très mauvais œil toute intervention étrangère, en particulier celle du Rwanda. Pour eux, toute ingérence étrangère, qu’elle vienne de Kigali ou de Tanzanie ou même de l’Occident, serait une provocation inacceptable et un casus belli.
Il semblerait d’ailleurs que leur rejet du général Niyombare en 2015 n’était pas tant lié à l’échec de son putsch qu’à son rapprochement avec un pays étranger pour renverser le régime en place. Cette méfiance illustre bien l’attachement profond d’une bonne frange militaire à la souveraineté nationale, malgré leurs divergences internes avec le pouvoir.
En février 2016, le Colonel N.D., un ex-FAB, m’avait avoué: « Je préférerais souffrir sous le joug des FDD qui sont des Burundais comme moi que de devoir vivre sous un régime à la solde d’un État étranger, et surtout si cet État est le Rwanda. »
L’histoire des Grands Lacs est complexe. Contrairement aux idées reçues, les lignes ethniques ne sont pas aussi tranchées et rigides qu’on veut le croire. Un Tutsi burundais se sentira toujours plus proche d’un Hutu burundais que d’un Tutsi rwandais, et vice-versa. En RDC, les Twirwaneho, les Tutsi Banyamulenge, se battent aux côtés de l’armée congolaise (FARDC) et des FDN contre les « Tutsi » du Nord-Kivu du M23, alliés de Red-Tabara et de l’armée rwandaise.
Un pari risqué pour Red-Tabara
Quant à Red-Tabara, longtemps présenté comme une alternative crédible, plusieurs sources crédibles disent que le mouvement est affaibli. Les opérations militaires menées contre lui en République démocratique du Congo (RDC) ont lourdement compromis ses capacités d’action et réduit sa marge de manœuvre. Privé de bases solides et confronté à des difficultés de ravitaillement, le groupe peine à maintenir son influence.
De surcroît, son image est ternie par sa dépendance vis-à-vis de financements étrangers et par la perception , à tort ou à raison, qu’il sert des intérêts extérieurs (du Rwanda) plutôt que ceux du peuple burundais. Historiquement, aucun mouvement armé perçu comme un instrument d’influences étrangères n’a réussi à rallier massivement la population burundaise. Cette dynamique fragilise encore davantage Red-Tabara, qui peine à s’implanter durablement au Burundi.
En outre, il ne faut pas sous-estimer les capacités et mécanismes de surveillance et de contrôle du pouvoir burundais qui rendent toute infiltration de grande ampleur particulièrement complexe. Contrairement aux groupes armés congolais, qui bénéficient souvent d’une porosité des frontières et de complicités locales, sur le terrain, Red-Tabara doit faire face à un environnement hostile, où chaque mouvement suspect est rapidement signalé aux autorités notamment par de jeunes imbonerakure, yeux et oreilles du pouvoir.
Ainsi, Red-Tabara, qui se présente comme une force de libération, risque d’être perçu par la population burundaise comme un acteur opportuniste, incapable d’offrir une alternative politique et sociale viable.
Un conflit qui pourrait embraser la région
L’histoire des Grands Lacs regorge de conflits déclenchés sur la base de calculs erronés. Ceux qui espèrent voir le Burundi plonger dans la guerre devraient méditer les conséquences à long terme. Une intervention militaire étrangère ne ferait qu’exacerber les tensions ethniques et politiques, avec un coût humain et économique catastrophique. Le Burundi n’est pas le Congo, et les dynamiques militaires et politiques qui y prévalent sont bien différentes.
Les Forces de Défense Nationale (FDN) disposent d’une expérience de terrain avérée, acquise en Somalie, en Centrafrique et en RDC. De plus, le système de sécurité burundais est hautement décentralisé et extrêmement efficace. Le contrôle exercé par l’État sur la population via l’armée, la police, les comités mixtes de sécurité et les Imbonerakure repose sur un système de « défense opérationnelle du territoire » (DOT). Un petit exemple et pas du tout anecdotique: tout nouvel arrivant dans un quartier est rapidement identifié et signalé. Ce contrôle étendu rend toute infiltration à grande échelle extrêmement difficile.
Certes, quelques éléments peuvent parvenir à franchir les mailles du filet, mais certainement pas en nombre suffisant pour coordonner une opération d’envergure. À moins d’une corruption à grande échelle des Imbonerakure, des comités mixtes de sécurité, des policiers et des soldats – un scénario hautement improbable – toute tentative d’insurrection serait étouffée dans l’œuf.
La densité des agents de sécurité surveillant la population a déjà son efficacité, avec une répression sans états d’âme à Bujumbura en 2016-2017. Les événements de décembre 2015, marqués par des affrontements sanglants à Nyakabiga et dans plusieurs autres quartiers, ont démontré l’efficacité, voire la férocité de ce dispositif.
Ce n’est pas un hasard si, depuis leur création, les groupes rebelles comme FOREBU et Red-Tabara n’ont jamais réussi à mener des opérations d’envergure, se limitant à des attaques sporadiques et très localisées sur des permanences du CNDD-FDD, des embuscades contre des civils ou des pillages de commerces.
Un appel à la responsabilité de la diaspora
La diaspora burundaise, plutôt que d’attiser les flammes d’un conflit dont les conséquences lui échapperaient totalement, ferait mieux de concentrer ses efforts sur la promotion de solutions pacifiques et durables. La politique de la chaise vide et des appels à la guerre ne fera qu’accentuer la division et ralentir toute perspective d’évolution positive du pays.
Le Rwanda, fidèle à sa politique, veille avant tout sur ses propres intérêts. Il appartient aux Burundais d’en faire autant, en évitant de tomber dans le piège d’une confrontation aux conséquences imprévisibles. Il est encore temps d’agir avec discernement et de privilégier le dialogue plutôt que la guerre. L’histoire a prouvé que cette dernière n’a jamais été une solution aux crises internes, mais toujours une source de souffrance accrue.
Conclusion
Face au risque d’un conflit entre le Burundi et le Rwanda, seule la voie du dialogue et de la diplomatie peut préserver la paix et la souveraineté nationale. L’histoire des Grands Lacs a prouvé que la guerre n’engendre que chaos et souffrances. Il est donc essentiel que tous les acteurs, y compris la diaspora, s’engagent pour des solutions pacifiques et durables. Miser sur la guerre serait une erreur aux conséquences incalculables ; privilégier la raison est un devoir collectif.
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