Interview exclusive :« Bujumbura est coincée entre deux milieux naturels hostiles et inamovibles »

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Interview exclusive :« Bujumbura est coincée entre deux milieux naturels hostiles et inamovibles »
Interview exclusive :« Bujumbura est coincée entre deux milieux naturels hostiles et inamovibles »

Africa-Press – Burundi. La situation géographique de la capitale économique, les ravins qui naissent surtout à l’est de la ville, la pression démographique, entre autres choses, exposent la ville de Bujumbura aux effets des changements climatiques. Elle est menacée. Docteur Erasme Ngiye, géographe, enseignant chercheur à l’Université du Burundi, fait le point et soumet des propositions pour que cette ville soit résiliente.

La ville de Bujumbura est confrontée à plusieurs défis d’aménagement. Lesquels ?

Bujumbura fait face à multiples défis environnementaux. Et ces derniers peuvent être groupés en deux catégories, à savoir la disposition naturelle du site et l’augmentation de la population urbaine.

Concrètement ?

La ville de Bujumbura est coincée entre deux milieux naturels hostiles et inamovibles. A l’est se trouve le relief des Mirwa, très escarpé. Et à l’ouest, il y a le lac Tanganyika. Ces deux éléments constituent déjà des obstacles naturels pour son extension. Vers le lac Tanganyika, l’extension est quasi impossible. Ceux qui le font violent le code de l’eau, polluent ce lac.

Cependant, nous voyons une tendance accrue d’installation humaine dans les Mirwa. Est-ce à encourager ?

Il est très difficile d’y construire des maisons. Malheureusement, la population s’y installe en désordre et devient très vulnérable aux catastrophes naturelles. Souvenez-vous des glissements de terrain d’Uwinterekwa, de Mugoboka qui ont emporté des vies humaines et causé plusieurs dégâts matériels.

Bref, les constructions dans les Mirwa sont à décourager. Il serait mieux de les boiser. Ce qui permettrait à l’eau de s’infiltrer dans le sol et réduirait considérablement le phénomène de ravinement et de glissement de terrain très fréquents sur ces versants. Cela protégerait la ville de Bujumbura contre les crues et les inondations observées après de fortes pluies en amont. Il sied de signaler que la grande part de ces eaux est collectée sur les toitures des maisons en tôles ondulées.

Impossible donc de faire l’extension de la ville ?

Elle ne peut s’opérer que vers les directions nord ou sud. Mais là aussi, il y a quelque chose à relever. Au nord, son étalement amenuiserait nos terres agricoles facilement irrigables. Des terres dominées par des sols alluviaux qui sont généralement riches. Ce sont des espaces depuis longtemps rizicoles, car facilement inondables.

L’autre défi de taille est l’inadéquation entre l’augmentation rapide de la population urbaine et l’offre d’habitation.

Comment ?

La population urbaine ne cesse d’augmenter. Cette situation influe sur la problématique de gestion de l’habitat urbain. L’urbanisation doit être au rendez-vous. Or, les services de l’Urbanisme sont très en retard par rapport à l’augmentation de la population qui a besoin d’être casée.

Le retard de la viabilisation et de l’attribution des parcelles loties poussent les gens à se rabattre sur l’achat des parcelles périphériques non viabilisées. Par exemple, à Nyabugete, Kizingwe-Bihara, la viabilisation a pris beaucoup d’années. De 2010 jusque aujourd’hui, l’attribution n’est pas encore effective. Ce qui pousse les gens à se chercher un chez soi n’importe où et n’importe comment.

Qu’en est-il de l’aménagement dans ces quartiers improvisés ?

Dans ces quartiers improvisés, on trouve que les routes sont inexistantes ou mal orientées. Ce qui rend très difficiles leur aménagement. Car, les routes sont sinusoïdales, les occupants ne laissent pas d’espaces réservés à ces artères. Pour se débarrasser des eaux usées, les ménages recourent au système D. Des gens construisent dans des zones non constructibles : zones tampons sur la rive du lac Tanganyika ou sur les berges des rivières traversant la ville de Bujumbura en violation du code de l’eau qui stipule en son article 5, alinéa 3, le respect d’au moins une zone tampon de 150 mètres pour le lac et 25 mètres sur chacun des bords de ses affluents. Une distance qui est calculée à partir du niveau le plus élevé qu’atteignent les eaux dans leurs crues périodiques.

Bref, les services de l’Urbanisme sont devancés par les constructeurs. Ce qui les pousse à revenir plus tard pour faire des corrections difficiles, voire impossibles.

Pourriez-vous donner des exemples concrets ?

Il suffit de visiter les coins comme Gatunguru, Gahahe, Gihosha rural, Mugoboka, Kibenga rural, Ruziba… pour s’en rendre compte. Pas de caniveaux pour évacuer les eaux pluviales.

Pourquoi cette accélération du phénomène de ravinement tout autour de Bujumbura ?

La construction incontrôlée des logements sur ces escarpements va accentuer les phénomènes de ravinement et de glissement. Car, le sol n’est plus couvert. L’extension des implantations, des maisons et des infrastructures socio-économiques réduit considérablement le couvert végétal qui facilitait l’infiltration sur ces versants pentus.

Des quantités d’eau qui devraient s’infiltrer pour alimenter la nappe et les sources des rivières ruissèlent en empruntant généralement les sentiers, les caniveaux des routes, pour enfin creuser et générer, au début, des rigoles et, plus tard, des ravins.

Dernièrement, nous avons vu des maisons s’affaisser, côté Mutanga-Nord. Pourquoi ?

Cela peut avoir été causé par un sapement latéral, affouillement des bases des berges.

C’est-à-dire ?

C’est une érosion localisée en bas de berge concave ou d’ouvrage provoquée par l’action des courants d’eau. Ces derniers deviennent beaucoup plus actifs quand ils portent des matériaux, car l’effet abrasif augmente. La lithologie du substrat n’est pas à ignorer. Quand elle est tendre, l’affouillement s’accélère. Or, la plupart des rivières qui traversent la ville de Bujumbura passent dans des formations alluvionnaires fluvo-lacustres non consolidées.

Cet affaissement peut être aussi provoqué par la masse des maisons construites sur les berges. Avant les travaux à Kigobe-Sud, j’ai observé un cas de suintement au niveau inférieur des berges alors que c’était pendant la saison sèche. Cela présageait que cette eau provenait des eaux des puits perdus des maisons presque perchées sur les berges d’une rivière.

Un autre facteur est l’exploitation des matériaux de construction, comme le sable, le gravier et les moellons des rivières. Cela peut perturber l’équilibre naturel du lit, accélérer la vitesse de l’eau et celle-ci creuse surtout au niveau des coudes.

Que faire pour éviter une telle situation ?

Il faut de la protection. La végétation typique des berges appelée végétation rivulaire ou ripisylve joue un rôle dans sa fixation, notamment lors d’épisodes de crue. Cependant, dans certains cas, les berges sont très abîmées et ne jouent plus leur rôle. Il est alors nécessaire d’utiliser des techniques pour les consolider.

Lesquelles par exemple ?

Il faut privilégier des techniques douces de génie végétal telles que l’usage de techniques végétales vivantes pour consolider une berge. Parfois, la chute d’arbres s’observe aussi en haut des berges alors qu’ils étaient censés les protéger. Dans ce cas, il faut alors recourir au fascinage en utilisant des branches d’essences locales inertes ou vivantes derrière des pieux afin de lutter contre l’érosion du pied de berge.

Concrètement ?

On coupe de longues branches d’une plante adaptée que l’on empile en alternant, une fois à droite, une fois à gauche, la base des tiges, au moyen d’une fagoteuse. Puis, on les lie ensemble au moyen d’un lien. Pour le cas du Burundi, on peut utiliser le bambou. Bien sûr, il y a d’autres techniques, mais le fascinage est très adapté pour nos rivières.

Aujourd’hui, le gouvernement a annoncé la politique des logements sociaux. Peut-elle aider dans la limitation de l’extension anarchique de la ville ?

Elle peut être une réponse à cette demande accrue de l’habitat de la population urbaine. C’est une bonne politique pourvu que le gouvernement subventionne ce programme. Sinon, en tenant compte des moyens dont disposent les fonctionnaires burundais, il sera très difficile de pouvoir payer ces maisons à location-vente. Car, les matériaux de construction sont aujourd’hui très chers. Il faut également impliquer les concernés. La bonne gouvernance veut que les concernés soient consentants pour toute nouvelle approche.

N’est-ce pas aussi nécessaire que le gouvernement régule les prix de loyers ?

C’est très important de faire la régulation des loyers. Et ce, en tenant compte des moyens dont dispose la population urbaine, l’état des maisons, la situation des quartiers, etc. Car, sans le régulateur, les propriétaires font monter les prix à leur guise. C’est d’ailleurs cela qui pousse les gens à aller vivre dans des endroits inappropriés, à se rabattre à la périphérie de la ville, une sorte de comportement suicidaire. Vous constatez qu’actuellement, beaucoup de familles vivent dans des chantiers pour essayer d’échapper à des augmentations excessives et répétitives des prix des loyers.

Que proposez-vous pour rendre Bujumbura une ville résiliente ?

D’abord, il faut que les services de l’Urbanisme anticipent et mettent en place une orientation rigoureuse de l’extension urbaine. Il faut que tous les plans d’aménagement urbain entrent dans la logique d’un Schéma directeur d’aménagement urbain. Et ce dernier doit être construit sur le long terme, sur une période de 50 ans. Ensuite, il faut couper court avec ce modèle de ville compacte, massive.

C’est-à-dire ?

Il faut une ville qui n’est pas continue, où l’on doit sauter certains espaces agricoles et lotir, par exemple, à Muzinda. Après laisser des terres agricoles et lotir à Musenyi, Randa puis Buramata et Kagwema. C’est le modèle de plusieurs villes européennes.

Je peux donner l’exemple de l’agglomération de Stuttgart en Allemagne qui comporte au moins cinq centres secondaires situés à moins d’une trentaine de kilomètres du centre-ville. Les principaux axes sont séparés par des zones plutôt rurales.

Quelles sont les préalables pour réussir ce modèle ?

Il faut doter la ville de voies rapides pour que le temps matériel ne soit pas un facteur qui pousse les gens à refuser de s’y installer. Si la voie est rapide, de Kagwema au centre-ville Bujumbura, on ferait 25 minutes alors que de Nyabugete au centre-ville, on fait plus de 45 minutes avec ces embouteillages monstrueux et l’étroitesse des routes.

Par ailleurs, ce modèle rendrait facile le traitement des eaux usées. Car, il se ferait en îlot. Et le secteur privé doit s’impliquer pour décongestionner la ville de Bujumbura en mettant en place des voies rapides qui s’apparenteraient aux autoroutes à l’européenne. Ces dernières sont construites par des sociétés privées. Mais, elles prélèvent des frais de péage en fonction de la distance parcourue par des véhicules des particuliers. Sans doute que ce modèle éviterait aux citadins de toujours venir s’agglutiner à Bujumbura.

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