Anouar CHENNOUFI
Africa-Press – Burundi. Quelques semaines en arrière, Xue Bing, l’envoyé spécial chinois pour la Corne de l’Afrique et ancien ambassadeur en Papouasie-Nouvelle-Guinée, a annoncé l’intention de son pays de parrainer la première Conférence de paix en Corne de l’Afrique cette année, la considérant (c’est-à-dire la conférence) comme une plate-forme importante pour le règlement des différends régionaux, et comme partie prenante de l’Initiative de développement pacifique dans la Corne de l’Afrique, qui a été annoncée par le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, lors de sa tournée en Afrique au début de l’année 2022, qui a fait suite à l’organisation à Dakar du Sommet sur la coopération sino-africaine, au mois de novembre 2021.
Cette initiative, qui représente en fait une opportunité pour Pékin de consolider son influence et de protéger ses intérêts stratégiques dans la Corne de l’Afrique, et constitue la deuxième étape stratégique après l’établissement de la base militaire chinoise à Djibouti en 2017, reflète l’évolution de la politique chinoise dans le région, car elle dépasse l’approche économique et de développement pour introduire de nouveaux mécanismes en jouant un rôle de médiation dans le règlement des litiges régionaux, notamment après la nomination, en janvier de cette année, d’un envoyé spécial dans la région.
Contexte géopolitique du mouvement chinois
Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi
Ce qui n’est plus un secret pour personne, c’est que l’approche chinoise à l’égard de la Corne de l’Afrique découle de l’importance particulière que Pékin lui accorde en tant que lieu stratégique important dans la compétition géopolitique autour de l’Afrique, et de sa conscience de l’ampleur des défis auxquels est confrontée la Corne de l’Afrique et des progrès vers leur règlement, ce qui renforce l’image mentale positive de la Chine dans l’opinion publique africaine.
L’invitation de la Chine à tenir cette conférence s’inscrit donc dans le cadre de ses efforts pour soutenir la sécurité régionale dans la région, qui reposent sur trois éléments :
• le renforcement de la gouvernance,
• la sécurité
• et le développement.
Cela reflète également la prise de conscience de la Chine que la paix et la sécurité dans la Corne de l’Afrique sont essentielles à la stabilité du développement et du commerce international dont dépend la Chine dans la région. Cela renforce également sa nouvelle approche en tant qu’acteur important jouant le rôle de médiateur de soutien pour donner aux pays de la Corne de l’Afrique (l’Ethiopie, l’Erythrée, la Somalie, et le Djibouti) l’occasion de résoudre leurs problèmes entrelacés de manière indépendante par un dialogue pacifique, sans ingérence extérieure.
Il s’agit là d’une décision chinoise qui intervient à la lumière de la complexité de la scène politique dans la Corne de l’Afrique, qui connaît un certain nombre de tensions politiques et sécuritaires et de conflits frontaliers.
Dans ce contexte, les répercussions du conflit déclaré dans la région du Tigré continuent de faire planer une ombre sur la stabilité politique et sécuritaire en Éthiopie. La scène apparaît floue en Somalie en raison des divergences politiques entre l’élite dirigeante en raison du report des élections présidentielles, en plus de la détérioration de la situation sécuritaire due à l’escalade de l’activité du Mouvement des jeunes moudjahidines et de ses répercussions, notamment sur la stabilité du pays, en plus de l’état d’incertitude politique quant à l’avenir de la paix au Soudan du Sud. La poursuite de la phase de transition au Soudan et les craintes des répercussions des défis actuels sur la scène politique là-bas, et cela représente un défi pour les pays de la Corne de l’Afrique qui affecterait négativement le développement et la croissance de la région.
Les motifs chinois
La tenue de cette conférence dans la Corne de l’Afrique fait apparaître d’importants motifs chinois, qui peuvent être vus dans ce qui suit :
• Aide accordée par Pékin à certains de ses alliés dans la région, comme Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, et Isaias Afwerki, le président érythréen, à faire face aux défis internes et à sortir en toute sécurité de la crise du Tigré, et à atténuer les pressions internationales croissantes sur eux. au cours de la dernière période.
• Renforcer la confiance des pays africains dans le modèle chinois en matière de règlement des crises politiques et de promotion du développement économique, et tenter de contenir certains pays de la Corne de l’Afrique qui sont entrés dans des relations tendues avec l’Occident et Washington, comme l’Éthiopie et l’Érythrée.
• Sauvegarder les intérêts multiples de la Chine dans la Corne de l’Afrique, car elle importe une grande quantité de pétrole du Soudan du Sud, possède une base militaire à Djibouti et entretient un partenariat politique et stratégique avec l’Éthiopie, et montre un intérêt croissant à jouer un rôle plus important en Érythrée, qui a rejoint l’initiative « Belt and Road », en Novembre 2021.
• Jouer un rôle plus important et plus actif dans la Corne de l’Afrique, notamment dans le domaine du règlement des différends et des conflits, ce qui contribue à l’influence croissante de la Chine et à sa présence dans l’espace géostratégique africain, d’autant plus qu’elle se présente comme une alternative au pays africain dans le but d’alléger la sévérité des sanctions américaines sur certains d’entre eux, comme l’Éthiopie et l’Érythrée.
• La volonté d’étendre l’influence économique chinoise en ouvrant de nouveaux horizons dans les pays de la région, comme l’élévation du niveau des relations avec l’Érythrée à un partenariat stratégique pour tirer profit de ses côtes sur la mer Rouge, d’autant plus que la Chine est le principal partenaire commercial de certains pays de la région, comme l’Éthiopie.
• Assurer la sécurité de la mer Rouge pour assurer le passage du commerce chinois sans aucune menace, étant donné que la région est un corridor important et un lien majeur pour l’initiative chinoise « Belt and Road », et le souci de renforcer la présence chinoise dans la région de la mer Rouge, surtout après que Washington y ait mené un exercice naval avec la participation d’autres pays en novembre 2021. En plus de surveiller les mouvements internationaux, notamment américains, dans la région occidentale de l’océan Indien.
• Tenter de gagner les pays de la Corne de l’Afrique à ses côtés dans le dossier « Une Chine unique », et barrer la voie à Taïwan pour améliorer sa présence dans la région, notamment à la lumière de l’apparent rapprochement entre cette dernière et le Somaliland, qu’une délégation représentée par Taïwan a visité en février 2022.
Les répercussions possibles
La dernière initiative chinoise dans la Corne de l’Afrique trouve un écho positif auprès des pays de la région, d’autant plus qu’elle s’inscrit dans la politique de Pékin de non-ingérence dans les affaires intérieures des pays africains.
De ce point de vue, les pays d’Éthiopie, d’Érythrée, de Djibouti, de Somalie en plus du Kenya souhaitent que Pékin joue un rôle plus actif dans les questions de sécurité et de paix dans la région. L’Éthiopie et le Kenya ont tous deux annoncé qu’ils étaient prêts à accueillir les travaux de la conférence, en référence à l’accueil favorable de l’Afrique à la proposition chinoise.
La position africaine peut être interprétée comme « considérant la Chine comme un médiateur acceptable » pour la plupart des parties de la région, en particulier à la lumière des tensions politiques entre Washington et l’Occident et certains régimes au pouvoir dans la région, en particulier l’Éthiopie et l’Érythrée, qui ont été soumise aux sanctions des États-Unis, au cours de l’année écoulée, qui les ont incitées à un rapprochement avec la Chine et la Russie sur le compte de Washington, outre l’empressement des pays de la région à ramener l’aide chinoise, et à doubler les investissements chinois pour surmonter les crises économiques auxquelles les deux pays sont confrontés en raison des répercussions de la pandémie de Covid-19, et de la crise russo-ukrainienne.
Ceci dit, tout cela peut entraîner un renforcement de la présence chinoise et des gains chinois à tous les niveaux, ce qui peut inquiéter les Américains et pousser à l’intensification de la concurrence américano-chinoise dans la Corne de l’Afrique. Cela peut constituer une épée à double tranchant pour les pays de la région.
D’une part, la région peut bénéficier de plus d’investissements internationaux, mais l’intensification de la concurrence internationale représente un défi majeur compte tenu de la crainte de niveaux croissants de militarisation dans la région et des répercussions qui en résultent et qui affectent négativement la stabilité régionale.
Le mot de la fin
La réponse et l’interaction de la Chine avec les problèmes de la Corne de l’Afrique, y compris son parrainage de la première conférence de paix dans la Corne de l’Afrique, créent un large espace de dynamisme pour Pékin qui lui permet de consolider son influence dans la région, avec la possibilité d’étendre à l’avenir sa présence militaire et sécuritaire en mer Rouge par la porte d’entrée de l’Érythrée.
Elle élargirait en plus son cercle de mouvement et d’influence, et surveillerait les mouvements internationaux et régionaux dans certaines zones stratégiques voisines telles que l’Ouest de l’océan Indien et le Moyen-Orient, à la lumière des préoccupations américaines et européennes concernant la crise russo-ukrainienne, qui pourrait stimuler le commerce chinois dans la région et assurer une meilleure protection de la route de la soie par voie maritime ainsi que le commerce chinois en mer Rouge.
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