Dr. Tunç Demirtaş
Africa-Press – Burundi. L’auteur, Tunç Demirtaş, est chercheur en politique étrangère au sein de la Fondation pour la recherche politique, économique et sociale (SETA).
Le 4e Forum diplomatique d’Antalya (ADF 2025) a ouvert le débat sur la capacité de la diplomatie, sous le thème « Réappropriation de la diplomatie dans un monde fragmenté », à rester un levier de transformation malgré les fractures du système mondial. L’ambiance du Forum a été marquée par les propos du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui a déclaré lors de l’ouverture: « Le monde est plus grand que cinq, car l’humanité est plus grande que cinq » et « Un monde plus juste est possible ». Ces paroles, loin d’un simple slogan, incarnent une vision de la diplomatie fondée sur la justice. En effet, elles tracent une orientation concrète pour bâtir la paix et le développement dans un ordre mondial de plus en plus confronté à une crise de représentation.
Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, hôte du Forum, a redéfini la diplomatie à travers sa lecture du multipolarisme, affirmant que « la Türkiye aspire à gérer le multipolarisme avec sagesse, et non par la compétition ». Cette déclaration reflète la philosophie de la politique étrangère turque. Elle constitue aussi le socle de la coopération égalitaire et complémentaire que la Türkiye entretient avec de nombreux partenaires en Afrique. Alors que les participants de l’ADF 2025 – chefs d’État, ministres des Affaires étrangères, universitaires et représentants de think tanks – s’efforçaient de trouver des solutions aux divisions du système mondial, la vision de la Türkiye pour l’Afrique a été fréquemment citée dans les échanges.
Dans ces discussions globales, la Corne de l’Afrique et la région du Sahel se sont particulièrement distinguées, à la fois comme zones de crise et d’opportunités de solutions. Les sessions de l’ADF 2025 consacrées à ces régions ont mis en lumière la réponse de la Türkiye sur le terrain, illustrant la cohérence de sa politique étrangère.
– Une réponse diplomatique concrète sur le terrain: le cas de la Somalie
La Somalie a été l’un des pays les plus évoqués lors de l’ADF 2025. La raison principale est qu’après des décennies d’instabilité, le pays amorce désormais la construction d’un nouveau modèle de gouvernance, d’un cadre de développement et d’une vision renouvelée de sa politique étrangère. Selon le président Hassan Sheikh Mohamud (HSM), la Somalie s’oriente aujourd’hui vers un système basé sur le principe « une personne, une voix », une première depuis 56 ans. Ce changement va bien au-delà d’une simple réforme technique: il s’agit d’un nouveau contrat entre l’État et ses citoyens.
Lors de la réunion « Diplomatie pour la Somalie » organisée dans le cadre de l’ADF 2025, le pays s’est imposé comme un exemple concret de la vision africaine portée par la Türkiye, ainsi qu’un modèle de réussite. Le président somalien a démontré que son pays ne se définit plus uniquement par les enjeux sécuritaires. En effet, au sortir d’un long conflit, la Somalie a non seulement reconstruit son appareil sécuritaire, mais également relancé ses services publics essentiels: depuis 2022, plus de 6 000 enseignants ont été recrutés et des centaines de professionnels de santé intégrés. Le dynamisme du marché immobilier et les investissements privés témoignent également de l’ampleur économique de cette reprise. Tous les indicateurs montrent que la Somalie est bel et bien engagée dans un processus de redressement prometteur.
La contribution de la Türkiye à cette dynamique est, sans conteste, déterminante. De la gestion de l’aéroport et du port de Mogadiscio aux projets d’infrastructure, en passant par les investissements dans la santé et le renforcement des capacités locales, l’empreinte turque est visible à chaque étape du développement somalien. Comme l’a souligné le président HSM dans son discours, la vision « 2060 », qui marquera le centenaire de la Somalie, s’aligne désormais sur la Türkiye, non comme une simple ambition, mais comme une feuille de route stratégique.
Par ailleurs, la présence turque en Somalie ne se limite pas au développement. L’action de médiation menée par la Türkiye dans le conflit entre l’Éthiopie et la Somalie incarne pleinement sa sagesse diplomatique. La Déclaration d’Ankara, issue de cette médiation, est devenue un document de référence majeur, tant pour la sécurité régionale que pour l’architecture sécuritaire à venir dans la zone. En somme, la stratégie turque en Somalie et dans la Corne de l’Afrique incarne concrètement l’appel à la justice lancé par le président Erdogan. Tandis que la Somalie illustre la diplomatie du développement en action, l’ADF 2025 a également mis en lumière une autre priorité: le nouveau paradigme sécuritaire porté par le trio sahélien.
– Vers un nouveau paradigme au Sahel: solidarité plutôt que compétition
En présence des ministres des Affaires étrangères du Mali, du Burkina Faso et du Niger à l’ADF 2025, il serait réducteur de considérer leur retrait de la CEDEAO comme une simple rupture organisationnelle. Les trois ministres ont clairement indiqué qu’il s’agissait d’un véritable changement de paradigme.
Dans ce cadre, ils ont présenté les avancées réalisées au cours de cette transition. Ils ont affirmé avoir reconquis 40 % de leur territoire, soulignant une amélioration de la situation sécuritaire après le départ des forces françaises. Ils ont également annoncé, qu’à partir de décembre 2024, un régime de libre circulation est entré en vigueur, qu’un marché régional a été mis en place, et qu’un nouvel ordre économique est en construction. Cette alliance ne repose donc pas uniquement sur une logique sécuritaire, mais se structure autour de principes mettant au centre les peuples, la politique étrangère et l’économie, dans une perspective de système confédéral. Cette nouvelle architecture s’articule autour de quatre piliers fondamentaux: une organisation politique fondée sur la souveraineté, une gouvernance qui respecte la dignité humaine, des politiques centrées sur l’intérêt général, et une vision ouverte à la solidarité panafricaine.
Comme cela a été observé lors de l’ADF 2025, l’Afrique aspire désormais à définir son propre modèle de développement, sa propre sécurité, et sa propre carte de partenariats internationaux. La question de la place de la Türkiye dans cette dynamique révèle qu’elle incarne un partenaire de confiance pour le continent africain, comme en témoignent les échanges établis à Antalya, les messages délivrés et l’intérêt mutuel manifesté. L’influence stratégique de la Türkiye repose sur un respect mutuel non contraignant, de la Somalie au Niger, du Soudan au Burkina Faso. Cela montre que la Türkiye va bien au-delà des discours diplomatiques classiques. Ces coopérations multidimensionnelles, avec des méthodes variées selon les pays, prouvent qu’elle n’est pas simplement un acteur, mais un partenaire qui inspire la confiance.
Par ailleurs, nous évoluons dans un monde d’incertitudes. Nous vivons une époque où les règles sont remises en question, la confiance ébranlée, et la diplomatie souvent reléguée au second plan. C’est précisément pourquoi il est plus urgent que jamais de restaurer les règles, reconstruire la confiance et replacer la diplomatie au cœur des relations internationales. À ce titre, la Türkiye se distingue par une politique étrangère fondée sur les besoins mutuels. À l’heure où l’interdépendance et les solutions partagées prennent de l’importance, la Türkiye a démontré à l’ADF 2025 sa volonté de résoudre les problèmes de manière collaborative, en privilégiant la coopération multilatérale. Comme l’a montré la session consacrée au Sahel, la Türkiye entretient avec les nouvelles structures de la région des relations fondées sur l’apprentissage mutuel et le partage d’expériences. En résumé, la Türkiye se positionne comme un partenaire solidaire, à l’écoute des attentes des peuples, et surtout, comme un allié qui soutient des solutions basées sur les besoins des autres plutôt que sur ses propres intérêts. Dans ce contexte, le rôle de la Türkiye prend à nouveau tout son sens. Les pays du Sahel perçoivent Ankara non seulement comme un partenaire militaire, mais aussi comme un acteur stratégique sensible au développement. Une attente commune émerge: renforcer la coopération turque dans les domaines des équipements techniques, de l’éducation, de la santé et des infrastructures.
Cette quête de transformation positive en Afrique est étroitement liée à une insatisfaction vis-à-vis des structures actuelles du système international. L’ADF 2025 a également révélé les critiques formulées par l’Afrique à l’égard de l’ordre mondial. L’Union africaine (UA) et les Nations Unies (ONU) ont été pointées du doigt pour leur inaction face aux crises et pour leurs rapports jugés déconnectés de la réalité du terrain. Les pays du Sahel, en particulier, estiment que l’ONU occulte les progrès en matière de sécurité et de développement. Les critiques adressées à l’UA ont mis l’accent sur le manque de participation et de concertation, soulignant le décalage entre l’idéal panafricain et les pratiques de représentation. La diplomatie de développement de la Türkiye ne se limite pas aux projets avec les gouvernements centraux ; elle s’étend également aux structures multipartites telles que les collectivités locales, les organisations de femmes et les mouvements de jeunesse, créant ainsi des réponses concrètes sur le terrain. Grâce à cette approche inclusive, pragmatique et fondée sur la présence, la Türkiye s’affirme comme un ami et un partenaire fiable aux yeux des acteurs africains.
– Donner un sens à la diplomatie
L’ADF 2025 a marqué une étape cruciale dans la redéfinition du rôle de la Türkiye en Afrique. Ce forum a confirmé une diplomatie turque ancrée dans le terrain, centrée sur l’humain et guidée par un sens aigu de la justice. Face à la perte croissante de confiance dans le système international, le développement par la Türkiye de coopérations plus inclusives, concrètes et localisées avec des institutions régionales telles que l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et l’Union africaine (UA) peut contribuer à transformer le multilatéralisme, souvent réduit à des principes, en un mécanisme réellement opérationnel.
L’intensification des coopérations techniques et diplomatiques avec l’IGAD et l’UA représente une réponse constructive à cette crise de confiance. Tous ces constats révèlent que l’ADF 2025 n’a pas été un simple forum, mais bien un espace où émerge une nouvelle conception de la diplomatie. Le discours et les actions de la Türkiye lors de cette édition traduisent une vision multidimensionnelle en faveur d’un ordre mondial plus juste.
Les propos du président Erdogan ont souligné la nécessité d’un modèle de gouvernance fondé sur la justice dans la représentation, dans lequel le Sud global dispose d’une voix égale dans les mécanismes de décision. Si la Türkiye poursuit cette vision d’un partenariat multidimensionnel, elle consolidera sa place en tant que partenaire de confiance pour l’avenir de l’Afrique. Toutefois, la pérennité de cette vision dépend de la continuité et de l’inclusivité de sa diplomatie, ainsi que de la stabilité sur le terrain.
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