LE DROIT D’HERITER DE LA TERRE POUR LA FEMME BURUNDAISE CONSTITUERAIT UN FACTEUR DE JUSTICE SOCIALE ET UN ATOUT AU DEVELOPPEMENT

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LE DROIT D’HERITER DE LA TERRE POUR LA FEMME BURUNDAISE CONSTITUERAIT UN FACTEUR DE JUSTICE SOCIALE ET UN ATOUT AU DEVELOPPEMENT
LE DROIT D’HERITER DE LA TERRE POUR LA FEMME BURUNDAISE CONSTITUERAIT UN FACTEUR DE JUSTICE SOCIALE ET UN ATOUT AU DEVELOPPEMENT

Africa-Press – Burundi. Environ 90 % de la population du Burundi vit de l’Agriculture. Au fil du temps, des générations se succèdent sur les terroirs et survivent en exploitant des terres qui se morcellent et s’amenuisent au fil du temps. Ce constat fait l’unanimité.

Plus controversé, si pas tabou est le droit d’hériter des biens de ses parents en particulier de la terre pour les femmes et les filles burundaises. Là les langues se délient et les avis divergent. Ceux qui sont hostiles au droit de la femme burundaise à hériter avancent les conflits liés à l’exiguïté des terres sont déjà chroniques, laisser les femmes hériter aggraverait ces conflits !

Le Gouvernement a opté pour le gel d’un projet de loi sur la question depuis bientôt une dizaine d’années, soit depuis 2004.

Dans sa livraison du 22 février 2022, Iwacu a publié un article intitulé : «Ces déshéritées qui souffrent de l’absence de loi sur la succession ». L’article révélait l’avis et les regrets des femmes déplacées suite aux intempéries survenues en province de Bubanza. L’auteur confirmait que la coutume réserve aux hommes le droit d’héritage, « même si certaines familles s’affranchissent de cette tradition ».

L’article m’a interpellé, à l’instar d’une recommandation faite ces derniers jours par quelques participants au Gouvernement du Burundi à étendre le droit d’héritage aux femmes. C’était au cours c’était au cours de la dernière session du Conseil des Droits Humains à Genève.

L’objectif de cet article n’est ni de provoquer, ni de polémiquer, encore moins de donner une opinion évidente et inattaquable. Mon souhait est de provoquer un débat sain sur une question sensible et qui empoisonne la vie de nombreuses familles au Burundi.

Je voudrais d’abord rappeler la place de la terre, « itongo », sous l’angle du droit successoral traditionnel. La gestion et la distribution des terres dans le Burundi monarchique faisaient partie de la gamme des droits reconnus au plus haut niveau au Roi, garant de toutes les richesses que Dieu, Imana, avait mis à sa disposition . Tenu d’assurer la prospérité et le bien-être de tous ses sujets, le Mwami redistribuait les terres et les cheptels du Royaume qui lui appartenaient d’office, selon un système bien élaboré et décentralisé, de sorte que toutes les catégories en bénéficient. Les chefs de famille en prenaient soin et les léguaient aux héritiers masculins. Ces derniers les transmettaient à leur tour à leur descendance. C’est cet héritage qui est généralement désigné sous le vocable de « Agatongo ka ba Sokuru ». D’autres voies d’acquisition comme l’achat ou les dons issus d’une quelconque relation permettaient aux patriarches d’agrandir leur terroir (itongo ry’umuheto, itongo ry ishiku etc.)

Pourquoi seuls les garçons avaient le droit d’hériter de la terre en général? La raison majeure était et est toujours d’ordre socio culturel et sociologique: la jeune fille était appelée à fonder son foyer ailleurs que dans la famille paternelle. Elle avait pour mission de nouer des alliances parentales, tout en garantissant la descendance patriarcale de sa belle-famille. Pour le garçon, c’est l’inverse. C’est lui qui amène son épouse sur le terroir de ses parents, assurant la sauvegarde du patrimoine foncier, assise du patriarcat et des lignages claniques. Ceci explique, du moins en partie, la préférence des naissances de garçons.

En effet, même si les familles cellulaires exploitaient chacune sa partie, la terre était considérée comme un bien commun à toutes les familles constituant le clan puisque les descendants du même ancêtre occupaient généralement la même zone géographique. De ce fait, donner de la terre en héritage aux filles s’interprétait comme une auto-expropriation, dans la mesure où la fille en se mariant céderait le patrimoine reçu au clan de son mari.

Aujourd’hui, quelques raisons majeures militent en faveur du droit à l’héritage pour les femmes et filles burundaises. La liste n’est pas exhaustive, je peux citer quelques-unes :

Déjà le système ancien contenait des nuances et laissait la place aux exceptions

Comme évoqué plus haut, le système monarchique reconnaissait la primauté du Roi dans la gestion des richesses, les terres et les cheptels en l’occurrence. Les meilleurs lui étaient réservés pour la jouissance de sa famille directe établie dans les différents sites dénommés ivyibare. Etant donné que ses descendants directs (désignés sous le vocable de princes Baganwa) détenaient le pouvoir à tous les niveaux administratifs et politiques à travers tout le Royaume, il arrivait que pour des mérites exceptionnels ou autres raisons, une princesse accède à ce statut. Ceci impliquait la possession des terres et des cheptels tout comme pour les princes. Dès lors la classe sociale s’avérait être un facteur d’exception dont bénéficiaient les femmes de la classe régnante.

Dans les familles où n’étaient nées que des filles, donc sans héritier masculin d’emblée, au lieu de léguer la terre à ses frères ou autres parentés proches, il arrivait qu’un père encourage un gendre à rejoindre son épouse chez elle et s’installe sur le patrimoine foncier de la belle-famille. Cette démarche de léguer la terre à sa fille en partage avec son mari, était bien toléré au sein des lignages ou clans puisque le défi de sauvegarder l’héritage au sein de la famille paternelle était gagné. Les sœurs quant à elles se réjouissaient que ce ne soit pas les oncles ou cousins qui héritent du patrimoine foncier de leur père, mais plutôt leur sœur.

L’autre cas concernait les femmes divorcées : quoique rares dans le Burundi ancien, car découragé par toutes les familles, même en cas de maltraitance, ils avaient quand même lieu. La femme retournait dans sa famille paternelle qui lui cédait un morceau de terrain tant pis si c’était sur l’Agatongo ka ba Sokuru. Elle ne pouvait pas le léguer à ses enfants dont le droit d’héritage était dû chez la famille de leur père. Mais, là encore, un père pouvait exceptionnellement conférer ce droit à un petit-fils né de sa fille.

Une évolution des mentalités et d’autres changements ont été observés au fil du temps.

Les facteurs énoncés dans le point précédent et bien d’autres sont observables aujourd’hui. A titre d’exemple, il serait impensable de nos jours que les hommes réclament d’hériter des patrimoines de leurs fratries du simple fait que ne soient nées que des filles dans telle famille. Au contraire, on remarque quelques changements dans la désignation du successeur d’un homme décédé le jour de la levée de deuil définitive appelée kuganduka. Les cas où l’on désigne une de ses filles comme « détentrice de la lance paternelle » ne sont pas rares. Pourtant il s’agit là d’une mission aussi honorable qu’exigeante où on doit jouer le rôle de représentant de la famille auprès de la société, assurer la bonne gestion et la juste répartition de l’héritage, et garantir la résolution pacifique des conflits au sein de la famille.

L’autre changement concerne la valeur et la place de la fameuse « Agatongo ka ba Sokuru » (la terre ancestrale). Face à la monétarisation de la société, le développement d’autres métiers et modes de vie autres que l’agriculture, l’achat des terres tend à supplanter leur héritage. La valeur économique de l’argent étant la même pour tous sans distinction, les femmes et les jeunes filles peuvent désormais accéder à la possession des terres par achat.

Le droit d’hériter de la terre par tous les enfants sans distinction serait bénéfique au développement du pays à plusieurs égards. La forte démographie, l’accroissement des villes et partant de l’exode rural, l’amenuisement dû au morcellement infini de la terre de génération en génération, autant de facteurs et d’autres qui seraient mieux maitrisés si au sein des familles tous les enfants avaient le même statut en matière d’héritage. Ajoutons à cela le fait que d’autres biens notamment immobiliers ont supplanté la valeur de la terre nourricière. Alors que dans le Burundi d’antan la richesse reposait sur la terre, le cheptel et une nombreuse progéniture, aujourd’hui, disposer d’un bien immobilier, un commerce, ou un métier bien rémunéré est un critère de richesse.

La pratique de morcellement de la terre cultivable serait atténuée, et non systématique à la mort d’un père où les ayants droit sont uniquement les garçons qui s’en pressent de la partager. Cela favoriserait mieux les exploitations en Coopératives. La propriété en partage serait source de projets plus marquants pour le développement tout en décourageant les tentations de ventes. L’exploitation commune inspirerait mieux l’adhésion aux méthodes agricoles modernes. De cause à effet, les bonnes récoltes permettraient plus de revenus certes, mais pas seulement. Plus d’usines et boutiques alimentaires verraient le jour, de même qu’un plus grand volume de produits transformés sur le marché intérieur et extérieur.

Loin de les aggraver, le droit d’hériter de la terre pour les enfants des deux sexes serait de nature à atténuer les conflits familiaux liés à la terre. Une des principales causes générant les conflits n’est-elle pas le sentiment d’injustice ?

En effet, ce qui est légal aux yeux de la loi ou qui est considéré comme une évidence selon les pratiques culturelles peut être perçu comme injuste par les parties lésées. Quelques exemples : rappelons que présentement, dans les familles où sont nées uniquement les filles, la jurisprudence s’est imposée de soi. Elles sont héritières des biens parentaux, y compris la terre. Mais des situations anachroniques sont actuellement observées. Des cas où sont nés un ou deux garçons et plusieurs filles, et que seuls les 2 enfants héritent de la terre, alors que les filles ont acquis plus de moyens et ont assuré plus d’aide à leurs parents de leur vivant, les cas contraires où deux filles sont nées parmi une nombreuse fratrie qui partage tout sans elles, arguant que « leur héritage se trouve chez leur futur mari. » Il arrive aussi que les filles plus nombreuses et ayant plus de moyens arrivent à s’imposer à leurs frères .

Cette situation génère actuellement des conflits et des litiges qui pourraient être évités si d’emblée tous les enfants sans distinction avaient le droit d’hériter du patrimoine des parents y compris de la terre. Concernant la forte croissance démographique, il est observable qu’une des raisons de faire beaucoup d’enfants est due à la préférence de garçons (avoir des héritiers comme on dit dans le langage courant). L’on peut en déduire que si tous les enfants avaient le même droit d’hériter des parents de tous les biens y compris de la terre, ce serait un catalyseur d’encouragement à réduire la natalité. Non moins déterminant est l’accroissement des citadins attirés par la rentabilisation de la terre dans les zones rurales depuis les années 2000. L’exode rural a longtemps concerné plus les hommes que les femmes et les filles. Ils accouraient vers les centres urbains pour embrasser d’autres métiers plus rentables que le travail de la terre. On constate aujourd’hui que les populations urbaines mêmes salariées manifestent de l’intérêt à l’exploitation des terres pour acquérir plus de revenus. Dans les cas où les filles et les garçons d’une famille donnée habitent tous et toutes loin de la terre dite ancestrale, d’aucuns considèrent comme injuste ou un non-sens que lorsque les parents décèdent, seuls les garçons héritent de la terre quand bien même les filles les ont aidés autant que leurs frères si pas plus. Vu ainsi, l’héritage de la terre pour les femmes et les filles s’impose comme facteur de justice sociale. Enfin, la raison de la conformité avec la loi fondamentale et autres instruments légaux préconisant l’égalité entre tous et la lutte contre les discriminations se passent de commentaires.

Telle est la contribution que je souhaitais faire concernant la problématique du droit d’héritage de la terre par les femmes et les filles burundaises. Vu le nombre de conflits et l’exiguïté continue des terres, tout indique que la question ne cessera d’interpeller la société et les politiques. Aussi, l’absence d’un Code spécifique ou d’une loi exclusive concernant le droit d’héritage en général est source de conflits en soi. Actuellement, la jurisprudence joue un grand rôle, mais les choses iraient mieux s’il y avait des références légales explicites. Dans l’hypothèse où le pouvoir politique et judiciaire entrerait en matière dans cette perspective, la mise en application axée sur la vision du futur sans rétroactivité exigerait à coup sûr un long travail de préparation des esprits, voire des consultations populaires vu le caractère sensible du sujet.

* Mme Samoya Kirura Colette est née au Burundi en 1952. Elle a obtenu le Diplôme de Licence en Histoire et Géographie à l’Université du Burundi en juin 1975. Elle détient également des titres post universitaires au sein d’institutions académiques suisses: un Diplôme d’Etudes Avancées (DEA) en Coopération internationale au Développement obtenu en 2005, un Diplôme en Médiation générale et familiale et en résolution pacifique des conflits lui délivrés en 2020.Après avoir presté comme professeur de Lycée, elle faisait partie des rares femmes membres d’Institutions politiques ou ayant exercé de hautes fonctions dans différents cadres notamment le Parti UPRONA(1979-1987), députée à l’Assemblée Nationale du Burundi (1982-1987), Secrétaire Générale de l’Union des Femmes Burundaises (1987-1991).

Mme Samoya Colette est arrivée en Suisse en début 1992 comme Représentante du Burundi auprès de l’ONU Genève (première femme burundaise à être nommée à la fonction d’Ambassadeur).

Elle jouit d’une longue expérience dans l’engagement pour la promotion et la protection des Droits Humains, la lutte contre les violences faites aux femmes, la Coopération internationale au Développement et la paix. Elle est promotrice de l’ONG BANGWE et DIALOGUE sur la paix et la non violence dans la sous région des Grands Lacs en Afrique. Elle faisait partie des mille Femmes nominées au Prix Nobel de la Paix pour l’année 2005.

Aujourd’hui, Samoya Colette est retraitée, basée en Suisse, pays lui ayant accordé la nationalité depuis une décennie. Elle est médiatrice, conférencière, écrivaine auteur de deux livres : un roman, et un essai sur l’Histoire politique du Burundi depuis son accession à l’indépendance.

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