Le Malheur des Médecins Fait-Il le Bonheur des « Guérisseurs » ?

7
Le Malheur des Médecins Fait-Il le Bonheur des « Guérisseurs » ?
Le Malheur des Médecins Fait-Il le Bonheur des « Guérisseurs » ?

Léon KabiKeza

Africa-Press – Burundi. Si vous flânez dans les rues de Bujumbura, il y a de fortes chances que vous le croisiez, oreilles aux aguets et regard à l’affût. Son passe-temps favori ? Observer, écouter et raconter ces petites histoires du quotidien qui en disent long sur notre société. Des débats animés au coin d’une boutique, aux scandales qui agitent le pays, rien ne lui échappe. Bienvenue dans les chroniques d’un curieux de Bujumbura, là où se mêlent rumeurs, vérités et scènes de vie bien réelles.

Bujumbura, c’est un théâtre à ciel ouvert. Et moi, Léon KabiKeza, j’en suis le spectateur le plus assidu. J’aime me mêler de ce qui ne me regarde pas. Non pas parce que mes parents ont failli dans mon éducation, non… (J’entends déjà les psys du quartier poser un diagnostic) mais disons par amour du spectacle. Parfois, les vraies histoires ne s’écrivent pas dans les journaux. Elles s’échangent à voix basse au marché, elles explosent dans les querelles de rue, elles se murmurent entre deux gorgées de…quelque chose. Certainement pas de bière. Parce que voir une bouteille de bière aujourd’hui,…Bref, ne nous égarons pas.

Donc aujourd’hui, mes amis, j’ai encore mis le nez dans une affaire qui vaut vraiment le détour. Tout a commencé ce matin, devant la boutique de Patrice, mon fournisseur officiel de chapati et accessoirement, la radio FM la plus fiable du quartier. J’étais en pleine dégustation de mon petit déjeuner, quand j’ai entendu une voix furieuse me parvenir: « Nous, on passe des années à étudier pour soigner des gens, mais au final, on nous traite comme des mendiants ! On travaille jour et nuit, et quand on demande un salaire décent, on nous menace ! » Le propriétaire de la voix en question était un type qui gesticulait dans une voiture garée devant nous, téléphone vissé à l’oreille. Il avait l’air épuisé, les yeux rouges et le front plissé par l’indignation. À ma gauche, un gars qui observait la scène lâcha une vanne. J’ai attrapé au vol que notre homme en colère est un jeune médecin qui habite dans le quartier. Ce même gars avait ce sourire en coin, vous savez, celui des oncles lors des réunions de famille quand ils s’apprêtent à équilibrer une « Vérité universelle ».Vérité qui, bien sûr, n’engage qu’eux, mais qu’ils la balancent avec la certitude d’un prophète.

« Regardez-le… Aujourd’hui, ce ne sont plus eux les médecins, qui guérissent les gens…ubu hagezweho abavura ishano ». Je n’ai même pas eu le temps de hausser un sourcil qu’il avait déjà sorti discrètement de sa poche une petite bouteille remplie d’un liquide suspect, couleur café trop diluée.

« Voilà la vraie médecine ! », a-t-il affirmé. J’ai failli avaler de travers mon chapati.

La vérité est quelque part entre les deux

Le gars a continué, imperturbable: « Vous avez vu combien de gens mourir subitement ces jours-ci ? Des hommes forts, en pleine santé, qui meurent dans une lente agonie ? Ni ishano nta kindi. Moi, je guéris ceux qui en sont victimes. Pas ces médecins-là. ! », a-t-il dit en pointant du doigt la voiture du médecin qui venait de démarrer en trombe.

Autour de nous, des murmures. Certains avaient l’air convaincu, d’autres pas. Parce qu’au fond, qui sait ? Peut-être que ces bouteilles contiennent vraiment un remède efficace. Ou peut-être que c’est un simple thé. Peut-être que la vérité est quelque part entre les deux, cachée sous une couche de croyances et de peur.

C’est à ce moment-là que j’ai compris. Il y a deux types de Burundais en ce moment: ceux qui pleurent et ceux qui encaissent. Pendant que les médecins en blouse blanche crient famine, les vendeurs de « potions magiques » font de bonnes affaires. Pendant que les uns se battent pour une revalorisation salariale, les autres prospèrent grâce à une peur peut-être bien entretenue.

Depuis ce jour, j’ai vu ces « guérisseurs d’ishano » se multiplier. On en trouve partout, leurs adresses sont maintenant connues de tous. Pendant ce temps, les « vrais médecins » continuent de lutter. Mais contre quoi au juste ? La maladie ? Les autorités ? Ou cette foi aveugle qui transforme chaque malheur en opportunité commerciale, chaque symptôme en preuve irréfutable d’un complot, et chaque flacon en dernier espoir pour ceux qui n’en ont plus ? Et certainement peut-être contre un système qui peine à leur offrir le salaire et la reconnaissance qu’ils méritent…

Mais bon, qui suis-je pour juger ? Moi, je ne prescris rien, je me contente d’observer… et de manger mon chapati.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burundi, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here