Les États-Unis Ont-Ils Perdu leur Influence en Afrique ?

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Les États-Unis Ont-Ils Perdu leur Influence en Afrique ?
Les États-Unis Ont-Ils Perdu leur Influence en Afrique ?

Par Pr. Hamdi Abdelrahman Hassan
Professeur de sciences politiques aux universités de Zayed et du Caire

Africa-Press – Burundi. Le 1er février 2025, le secrétaire d’État américain Marco Rubio a publié une note intitulée « Ramener la politique étrangère américaine à la maison: privilégier les intérêts des États-Unis », qui marque un tournant dans les priorités diplomatiques des États-Unis. Ce document insiste sur le renforcement des relations au sein de l’hémisphère occidental, notamment avec l’Amérique centrale et du Sud, au détriment des liens avec l’Afrique et d’autres régions.

Cette approche reflète la vision plus large de Rubio visant à aligner la politique étrangère américaine sur les intérêts nationaux, en mettant l’accent sur les domaines qui influencent directement la sécurité des États-Unis, leur croissance économique et leur stabilité régionale. Le document exprime la conviction que le développement de relations plus solides avec les pays voisins favoriserait la prospérité de l’hémisphère occidental, bénéficiant ainsi aux États-Unis et à leurs partenaires.

En donnant la priorité à ces relations, la seconde administration Trump entend relever des défis communs tels que la migration, le commerce et la sécurité, tout en limitant la dépendance aux alliances lointaines jugées moins alignées sur les objectifs immédiats des États-Unis. Ce changement stratégique traduit une rupture avec les politiques globales antérieures, mettant en avant une diplomatie axée sur le pragmatisme et l’efficacité.

Cette orientation soulève une question cruciale: quelles seront les répercussions de cette politique sur l’Afrique ?

Les risques de l’arrêt du financement américain pour l’Afrique du Sud

La décision du président Donald Trump de couper tout financement à l’Afrique du Sud en raison de la nouvelle loi sur l’expropriation des terres a suscité une vive controverse. Trump a accusé le gouvernement sud-africain de graves violations des droits humains en adoptant cette législation qui autorise la confiscation de terres sous certaines conditions, une mesure visant à corriger les injustices héritées de l’apartheid.

Cependant, ces accusations ont été largement réfutées par les dirigeants sud-africains et les organisations de la société civile, à l’exception d’AfriForum, un groupe de pression de droite représentant les Afrikaners et opposé à la loi. Le gouvernement sud-africain a assuré que la loi garantit une compensation équitable et qu’elle est conforme aux normes d’expropriation pratiquées aux États-Unis.

Malgré les assurances du président Cyril Ramaphosa selon lesquelles les aides américaines — à l’exception du Plan d’urgence du président américain pour la lutte contre le sida (PEPFAR), qui finance 17 % du programme sud-africain de lutte contre le VIH/SIDA — sont limitées, la perte potentielle du soutien américain pourrait avoir des conséquences dramatiques.

En 2024, les États-Unis ont alloué 453 millions de dollars au PEPFAR et 60 millions de dollars via l’USAID pour des initiatives telles que la lutte contre le changement climatique et la prévention de la violence. Ces coupes budgétaires s’inscrivent dans la politique plus large de Trump de gel des aides étrangères et de démantèlement de l’USAID, une approche qui risque de déstabiliser plusieurs nations africaines dépendantes de ces soutiens.

Les critiques estiment que la position de Trump, qui n’a jamais visité l’Afrique lors de son premier mandat, reflète une méconnaissance des réalités africaines et est influencée par des figures d’extrême droite comme Elon Musk, qui a tenu des discours hostiles à l’Afrique du Sud. Cette décision illustre la détérioration des relations entre Washington et Pretoria et alimente les inquiétudes quant à un recul des engagements américains en matière de droits humains et de gouvernance démocratique.

Ce que l’Afrique perd avec la politique de Trump

Lors de son second mandat, Trump marginalise davantage l’Afrique par rapport à sa première administration. En 2022, chaque pays africain a reçu entre 125 et 500 millions de dollars d’aide américaine, principalement pour des programmes de santé, de sécurité alimentaire et de gouvernance.

En 2024, l’USAID a consacré 8 milliards de dollars à des initiatives en Afrique, avec des bénéficiaires clés comme le Nigeria (622 millions de dollars), le Mozambique (564 millions) et le Kenya (512 millions). L’arrêt de ces financements porterait un coup sévère aux efforts de croissance économique et aux actions humanitaires à travers le continent.

Les programmes américains axés sur la démocratie, les droits humains et la sécurité représentaient 10 % des aides américaines en Afrique en 2024. Sans ce soutien, des pays déjà fragilisés par la pauvreté et la mauvaise gouvernance risquent d’enregistrer une hausse des violations des droits humains et une perte de confiance dans les institutions publiques.

Ce vide politique et financier pourrait être exploité par des groupes extrémistes tels que Boko Haram, Al-Shabab et l’État islamique en Afrique de l’Ouest, en particulier dans des régions instables comme le Sahel, la Somalie et le Mozambique.

L’orientation America First de Trump a également conduit au démantèlement de plusieurs programmes d’aide au développement, compromettant les efforts de lutte contre l’insécurité alimentaire et le changement climatique. En 2024, les États-Unis ont fourni 6,6 milliards de dollars d’aide humanitaire à l’Afrique subsaharienne. La suspension de ces initiatives pourrait priver des millions de personnes de services essentiels, notamment les traitements contre le VIH/SIDA ou les secours alimentaires d’urgence.

Ce que les États-Unis perdent en se retirant d’Afrique

En réduisant leur engagement en Afrique, les États-Unis prennent le risque de perdre leur influence économique, sécuritaire et diplomatique.

L’Afrique, qui abrite certaines des économies à la croissance la plus rapide au monde, offre d’importantes opportunités commerciales et d’investissement. En se désengageant, Washington laisse la place à des concurrents comme la Chine, qui domine déjà le commerce africain avec des échanges atteignant 282 milliards de dollars en 2021, contre 64 milliards pour les États-Unis.

Par ailleurs, un recul américain en matière de sécurité risque de favoriser l’expansion des groupes terroristes. Le retrait des troupes américaines du Niger, par exemple, a affaibli la lutte antiterroriste au Sahel, une région clé pour la sécurité mondiale. Des groupes comme Al-Shabab renforcent déjà leurs liens avec les Houthis au Yémen, ce qui pourrait élargir leur rayon d’action vers des zones menaçant directement les intérêts américains.

En somme, l’abandon de l’Afrique par Washington compromet des décennies de partenariats en faveur de la stabilité et du développement, tout en affaiblissant la capacité des États-Unis à promouvoir la démocratie et les droits humains.

Que doit faire l’Afrique ?

Face à cette nouvelle réalité, les pays africains doivent adopter une approche proactive pour réduire leur dépendance aux aides américaines tout en diversifiant leurs partenariats internationaux.

1. Mobiliser les ressources locales: Améliorer les systèmes fiscaux, lutter contre les flux financiers illicites et renforcer la transparence des dépenses publiques.

2. Renforcer le commerce intra-africain: Exploiter la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) pour stimuler la résilience économique et créer des emplois.

3. Diversifier les partenariats internationaux: Collaborer davantage avec la Chine, l’Inde et l’Union européenne pour attirer des investissements alternatifs.

4. Encourager les partenariats public-privé: Attirer les capitaux privés pour compenser la baisse des aides extérieures.

5. Développer la coopération régionale en matière de sécurité: Réduire la dépendance aux interventions militaires étrangères en renforçant les capacités locales.

En mettant en œuvre ces stratégies, l’Afrique peut mieux faire face aux défis liés à la diminution du soutien américain tout en consolidant son développement à long terme. Comme le disait Kwame Nkrumah: « Les forces qui nous unissent sont fondamentales et plus puissantes que celles qui nous divisent. » Cette citation souligne la résilience du continent et sa capacité à surmonter les obstacles par la coopération et l’unité.

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