Liberté d’action des OSC : âge d’or ou service téléguidé ?

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Liberté d’action des OSC : âge d’or ou service téléguidé ?
Liberté d’action des OSC : âge d’or ou service téléguidé ?

Africa-Press – Burundi. Le président de l’OLUCOME vient de faire une sortie médiatique fracassante au cours d’une conférence. Avec le franc-parler que nous lui connaissions avant la crise de 2015, il a dénoncé avec véhémence les iniquités qui caractérisent la gouvernance. Il a même jeté en pâture des noms très craints aux médias présents. Le président de Parcem n’est pas en reste. Une semaine après sa rencontre avec le Premier Ministre, il en est à sa deuxième conférence de presse. Que cache cette liberté d’expression toute retrouvée? Ces blogueurs essaient de lire entre les lignes.

Cela faisait une éternité, a-t-on envie de dire, qu’on n’avait pas entendu la voix cassante de Gabriel Rufyiri, défendant bec et ongle une cause. Et il n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. « Amasoko ya Reta araba ifumbire, ivy’ibitoro, imbuto zirobanuye n’ibindi, hari akarwi k’abantu bayahawe (…) Olivier Suguru, Adrien Ntigacika na Vénérant Kazohera biciye muri FOMI, bahawe isoko yo kuzana ifumbire » (Les marchés de fourniture des fertilisants, le carburant, les semences sélectionnées, etc., ont été confiés par l’Etat à trois ténors : Olivier Suguru, Adrien Ntigacika et Vénérant Kazohera à travers la société FOMI), a-t-il martelé lors d’une conférence de presse qu’il a tenue ce 21 mars 2023.

Avec ces propos, les réminiscences de l’avant 2015 ont resurgi des mémoires des auditeurs qui ont écouté religieusement un Rufyiri vindicatif comme avant. Et d’enfoncer le clou : « Abategetsi basigaye begeranya ibigori bakabidandaza mw’ishirahamwe PAM, aho ariryo ryozanye imfungurwa mu Burundi ». (Les dirigeants regroupent désormais du maïs pour le vendre au PAM alors que c’est ce dernier qui devrait fournir de la nourriture au Burundi, Ndlr) Après cette sortie, ils ont été nombreux à se dire que Rufyiri, ce vieux routier de la société civile reprend du service. Il est vrai qu’il n’était pas inactif après son retour de l’exil, mais c’est la première fois qu’il est aussi tranchant dans ses propos.

Le gouvernement en prend pour son grade Faustin Ndikumana du Parcem n’a pas fui le pays. Mais il a vu son organisation suspendue près de deux ans, de juin 2019 à avril 2021. Ce n’est donc pas pour rien qu’il faisait profil bas. On se souviendra qu’à un certain moment une conférence de presse planifiée par les deux responsables d’organisations de la société civile (OSC) avait été interrompue et brusquement annulée par les forces de l’ordre. De quoi faire dire à certains que bien de l’eau a coulé sous le pont. Les sorties de Rufyiri et Faustin ont déclenché une vague d’incrédulité.

Loin de trembler devant une petite foule de micros, le patron de l’OLUCOME n’a pas hésité à mentionner la société PRESTIGE qui, selon lui, semble avoir monopolisé le commerce des produits pétroliers. Et de souligner le fait que personne n’ose poser cette question au sein du gouvernement. Sieur Rufyiri a aussi dénoncé ce qu’il qualifie de complicité des autorités étatiques dans cette situation.

Une autre incongruité a suscité son courroux : les exonérations qui atteignent 100 milliards de BIF alors que la loi budgétaire prévoit un plafond de 18 milliards, soit un dépassement de 500%, selon les calculs de Rufyiri qui trouve que les hommes d’affaires sont finalement plus puissants que l’Etat. Il est allé jusqu’à demander au gouvernement de justifier cet état de fait.

Des questions, et encore des questionsTout compte fait, ils n’ont fait que dire à haute voix ce que beaucoup pensent tout bas. Mais, ce timing « trop parfait » pour certains, aurait quelque chose d’étrange. Gabriel a-t-il osé donner un coup de pied dans la fourmilière sans aucune assurance de protection ? Pourquoi se sent-il soudain si confiant jusqu’à citer les noms de certains caciques du régime sans courir de risques ? Est-ce la fin de la recréation (ou le retour en grâce des OSC), comme aime le répéter le chef de l’Etat dans ses interventions ? Pourquoi cet activiste est sorti audacieux et vaillant de la rencontre avec le Premier Ministre? On serait tenté de croire qu’il a été rassuré en haut lieu que rien ne va lui arriver. Il a même caressé dans le sens du poil son ôte en le félicitant pour avoir reconnu la contribution de la société civile dans le développement du pays.

Pour notre part, au sortir de la conférence de presse, nous étions stupéfaits. Nous avons longuement réfléchi à cette sortie médiatique. Gabriel Rufyiri, rappelons- le, est le président d’une ONG dont le vice-président a été sauvagement assassiné la nuit du 8 au 9 avril 2009 alors qu’il enquêtait sur « un marché public ».

Des intérêts qui coïncident ? Oui, mais…Rufyiri lui-même sait que ce courage peut lui couter cher. « Nous sommes prêts à mourir car nous savons que c’est possible mais vaut mieux mourir que faillir. Ces hommes d’affaires qui cherchent à être plus puissants que l’Etat en passant par des voies illégales sont des bandits », a lâché Rufyiri sans trembler. Pour rappel, il est rentré du Luxembourg en mars 2022 après 6 ans d’exil. Il avait été encouragé par le président de la République lors de sa visite à Washington en septembre 2021.

Si c’est avec son seul courage que Gabriel Rufyiri a dit ce qu’il a dit, on ne peut que s’incliner. Félicitations, pour avoir osé tirer la sonnette d’alarme (et de quelle manière ?) sur les errements dans la gestion de la chose publique. « Peut-être que c’est parce que ses intérêts et celui des dirigeants coïncident », a glissé mon ami quand nous partagions nos réflexions. Ce n’est pas bête, mais que se passera-t-il quand leurs intérêts ne vont plus coïncider ? On peut aussi le laisser parler, juste pour prouver au monde entier que la liberté d’expression est garantie. Un moyen pour restaurer des relations de confiance avec les bailleurs du pays qui se sont retirés après 2015, comme semble le laisser entendre un papier que Yaga a récemment publié ? Le temps nous le dira.

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