Opinion | « Le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride : ni une démocratie ni une dictature. »

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Opinion | « Le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride : ni une démocratie ni une dictature. »
Opinion | « Le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride : ni une démocratie ni une dictature. »

Africa-Press – Burundi. Un lecteur d’Iwacu répond à l’économiste André Nikwigize suite à son article où il évoquait le « miracle » singapourien et s’interrogeait si le Burundi pourrait faire de même.

M. Ndihokubwayo évoque le prix payé par Singapour pour le « miracle ». Pour lui, ce n’est pas la meilleure voie et il démontre pourquoi. Toujours est-il que lorsque deux Burundais, visiblement bien formés tous les deux débattent, avec respect, c’est tellement enrichissant. Merci à nos deux compatriotes, leurs analyses élèvent le débat.

En avril 2023, lors du Forum national du développement en deuxième Édition, tenue au Palais des congrès de Kigobe, Faustin Ndikumana, dans l’une de ses interventions, il a conclu sa prise de parole en recommandant au président Ndayishimiye de s’inspirer au leader singapourien Lee Kwan Yuu. C’était après avoir dressé un tableau de comparaison entre le Burundi et le Singapour : population, situation géographique, diversité linguistique, trajectoire historique, etc. C’est qui m’a interloqué le plus (vous allez le comprendre en bas de ma réflexion) c’était de voir comment un activiste de la société civile, dont la prise de parole ne ménage du tout pas le pouvoir en place à Bujumbura, met les projecteurs sur l’incompétence des autorités politiques.

Et voilà, six mois plus tard, l’économiste Nikwigize conseille aux autorités du Burundi de s’inspirer de Singapour. En lisant son opinion, je me suis demandé si vraiment, il tient compte des tenants et des aboutissants de la réussite singapourienne. Si vraiment il a une idée sur les conséquences possibles si les autorités burundaises se mettaient purement et simplement à « reproduire » ce modèle qui n’en est pas un vraiment.

En effet, la réussite économique de Singapour ne peut pas être analysée objectivement si on ignore en particulier le rôle de la démocratie illibérale. C’est pour cette raison que l’on parle de démocratie imparfaite quand il s’agit du Singapour. De ce fait, dans les écoles de développement, sans toutefois remettre en cause ses exploits, le Singapour n’est pas étudié comme un modèle. Il sera difficile de le dupliquer pratiquement. Vous me diriez, si le Rwanda le fait, le président Kagame s’inspire de lui mais reconnaissons quand même que le Rwanda reste un pays toujours classé parmi les plus pauvres de la planète. De plus, on ne sait pas de quoi demain sera fait, rien ne garantit si ces « miracles » du pays des mille collines vont durer après le Kagame. La Libye, dont les réussites ne peuvent pas être comparées à celles du Rwanda, en est un exemple éloquent). Encore plus, il faut vraiment intérioriser que la comparaison ne permet pas seulement de généraliser, mais qu’elle facilite aussi de dégager des singularités. Alors c’est une erreur de vouloir se comparer au Rwanda ou à un autre pays sans que nous ayons connu la même trajectoire. Chaque pays a sa propre trajectoire, ses propres réalités politiques, économiques, sociales, culturelles.

Lisez comment ça s’est passé à Singapour

Alors par démocratie illibérale, sans donner des définitions très compliquées, il s’agit d’une démocratie de façade, autrement dit, un autoritarisme pur et simple. Signalons que le Burundi aujourd’hui est considéré comme un régime hybride, donc il n’est ni une démocratie ni une dictature. Alors, si le Burundi du président Neva venait à instaurer une démocratie illibérale, à l’instar de Singapour comme Monsieur Nikwigize et Faustin Ndikumana le recommandent, qu’en seraient les conséquences. Lisez bien comment ça s’est passé au Singapour, vous allez trouver un schéma ressemblant à celui-ci dessous.

– Assassinats, emprisonnements des leaders politiques qui refusent de se joindre au parti au pouvoir, de jouer le jeu du parti au pouvoir. ( Rwasa, Léonce, etc., en prison, ou sous terre. Mutabazi et consorts survivront et continueront à bénéficier de la cooptation)

– Interdiction de fonctionnement de la société civile (indépendante) (Faustin Ndikumana, etc. sera bâillonné, emprisonné, voire assassiné). Ceci explique mon étonnement mis en exergue au début de mon texte.

– Fermeture des médias qui ne sont pas contrôlés par le pouvoir (je vois en particulier Iwacu dans le viseur. Emprisonnement sans jugement, assassinats de ses journalistes. Seuls les médias qui ne dérangent pas du tout le pouvoir seront tolérés. Les médias qui font de l’ infotainment. Où est-ce que les intellectuels comme Nikwigize, les journalistes critiques comme Kaburahe, et des chercheurs pourront publier leurs opinions et leurs idées)

– Refus de toute alternance au sommet de l’État. Lee Kwan Yuu est resté au pouvoir pendant 31 ans (1959-1990). Ainsi le président Ndayishimiye pourra rester au pouvoir aussi longtemps qu’il le voudra.

– Consécration du monopartisme (le parti de Lee Kwan Yuu (People’s Action Party) est au pouvoir depuis 1959). Souhaiteriez-vous cette longévité au sommet de l’Etat burundais, un seul parti, le Cndd-Fdd pour le coup ?

– Je voudrais poser des questions à Monsieur Nikwigize, en quoi la démocratie illibérale au Burundi pourra nous être utile au Burundi ? Le financement de ce décollage économique par les ressources internes n’étant pas possible, vous savez bien en tant qu’économistes qu’en raison de la faiblesse de l’épargne des Burundais, les autorités burundaises devraient à tout prix faire recours aux ressources externes (principalement les IDE, les aides). Dans un contexte de répression féroce et de restriction des libertés, d’assassinats politiques, d’emprisonnements des leaders politiques et de la société civile, de fermeture de tous les médiaş qui ne sont pas contrôlés par le pouvoir, de consécration du parti unique, de guerres probablement, en tout cas de crises politiques permanentes à coup sûr plus qu’ils l’ont déjà été, d’où est-ce que ce pouvoir tirera les ressources pour financer la concrétisation des exploits singapouriens ? En Russie ? En Chine ? En tout cas, pas auprès des Institutions financières internationales (Banque mondiale).

– En conclusion, je trouve cette opinion incomplète dans la mesure où elle n’intègre pas l’importance de l’ODD 16 par exemple et son importance dans les études du développement. De surcroît, cette opinion ne creuse pas en profondeur pour comprendre les singularités possibles entre les deux pays pourtant très significatives pour faire décoller l’économie du Burundi. Le Burundi, a-t-il par exemple le potentiel fiscal de Singapour ?

NB : Après le pouvoir, souvent on se rend compte de ses erreurs. En 2010, dans une interview au Times, Lee Kwan Yuu lui-même reconnaissait avoir commis la faute morale d’enfermer des opposants pendant des décennies, sans jugement. Etc.

Si Monsieur Nikwigize, auteur de cette opinion, voudrait que l’on s’appelle pour prolonger la discussion et creuser ce sujet, ce sera avec plaisir.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Burundi, suivez Africa-Press

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